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Axel Kahn : « Le progrès médical est source d’inégalités »
En ce début d’année 2002, un généticien, un économiste, un membre de la Commission européenne et un juriste ont bien voulu se prêter au jeu des prévisions pour « Le Moniteur ». Ils évoquent un avenir où embryons clonés, e-pharmacies, chaînes et « acte pharmaceutique » feront partie du langage quotidien.
Directeur de recherche à l’INSERM et membre du Comité consultatif national d’éthique, le Pr Axel Kahn est au coeur du débat sur la bioéthique. Il répond à nos questions sur le clonage thérapeutique, la médecine régénératrice, la pharmacogénomique…
« Le Moniteur » : Quelles avancées peut-on espérer en matière de thérapie cellulaire ?
Pr Axel Kahn : La thérapie cellulaire en elle-même, à partir de cellules-souches adultes, compte déjà des succès à son actif, comme les greffes de moelle ou les greffes de peau pour les brûlés. Il y a également quelques cas de greffes de cellules hépatiques pour des hépatopathies ou de cellules du pancréas chez des diabétiques. Quant à la thérapie cellulaire dite régénératrice, elle est effectivement prometteuse. Mais nous ne sommes pas encore à un stade où l’on peut affirmer que ce sera une révolution, si bien que l’on oscille aujourd’hui entre deux possibilités. La possibilité brillante, c’est que nous puissions assez rapidement offrir des traitements à toute une série de maladies qui vont du syndrome neurodégénératif – comme le Parkinson, voire l’Alzheimer -, l’infarctus du myocarde, les séquelles de lésions médullaires, le diabète, les hépatopathies, les problèmes cutanés…
Et si l’on est moins optimiste ?
La perspective, beaucoup moins enthousiasmante, c’est qu’en fait il s’agit d’une médecine personnalisée, très chère, très difficile, surtout si on fait du clonage thérapeutique. Jugez plutôt. J’ai un Alzheimer, donc la première étape est d’arriver à faire un embryon cloné. Comme vous le savez, cela marche très mal, donc il faut trouver quelque part des centaines d’ovules. Ensuite, une fois que l’on dispose de cet embryon cloné, on va essayer d’isoler une lignée, puis de multiplier ces cellules et après les amener à se différencier. Toutes ces étapes, extrêmement délicates, représentent le traitement… d’une personne. Alors il faut tout de même savoir raison garder. En réalité, les chercheurs qui travaillent sur les cellules embryonnaires rêvent d’une lignée universelle. C’est-à-dire une lignée qui a été parfaitement typée, génétiquement modifiée de telle sorte qu’elle ne présente pas d’antigènes majeurs d’histocompatibilité et disponible comme un médicament cellulaire standardisé dans de nombreux centres de thérapie cellulaire.
Ne se dirige-t-on pas irréversiblement vers une médecine à deux vitesses ?
Nous y sommes déjà. Le progrès médical, sans volonté politique de partage, est la principale source d’aggravation des inégalités. Et ce pour une raison claire, c’est que le progrès bénéficie avant tout à ceux qui sont technologiquement développés.
L’émergence de ces nouvelles thérapeutiques, plus prédictives, ne va-t-elle pas réduire la consommation de médicaments ?
Au contraire, la médecine prédictive peut aboutir à une surconsommation médicamenteuse. A partir du moment où vous détectez un risque génétique chez une personne, cela va vous amener non pas à réparer les gènes, parce que personne ne pense qu’on puisse réparer les gènes comme cela, mais à soumettre cette personne à un traitement médicamenteux préventif. Autrement dit, on va traiter une masse considérable de personnes, dont un pourcentage infime aurait réellement développé la maladie.
Quelles avancées peut-on attendre de la pharmacogénomique ?
Là encore, il faut savoir être pondéré. Pour des maladies comme le cancer, la maladie d’Alzheimer ou l’athérosclérose, nous commençons à connaître un grand nombre de mécanismes conduisant aux mêmes symptômes mais par des voies tout à fait divergentes. Il est certain que dans un nombre croissant de cas le traitement ne sera plus celui de l’athérosclérose ou de l’Alzheimer à proprement parler, mais de l’athérosclérose due à telle anomalie, du cancer lié à telle activation oncogène… Il y aura donc à l’avenir des médicaments plus différenciés et donc plus nombreux.
Peut-on espérer une personnalisation des traitements ?
Je ne crois pas trop au traitement personnalisé, au moins pour deux raisons. La première est liée à la faisabilité. En effet, si vous êtes obligé de pratiquer un scanning du génome entier avant de traiter quelqu’un, il devient intraitable. D’autre part, il faut tout de même pour les laboratoires pharmaceutiques que chacun des marchés soit suffisamment important. Sinon, il n’y aura plus que des médicaments orphelins. C’est quelque chose de parfaitement fantasmagorique.
La pharmacogénomique serait donc un fantasme ?
Oui, si on espère un traitement à la tête du client, non, si on base la recherche sur l’étiologie de la maladie. Par exemple, nous savons que les IEC [inhibiteurs de l’enzyme de conversion, NdlR] provoquent une toux iatrogène chez certains patients. Si nous arrivons à identifier ceux qui vont tousser sous IEC – et on pourra dans l’avenir le faire de plus en plus facilement -, on adaptera le traitement en conséquence. Donc, pour moi, la pharmacogénomique permettra notamment de limiter les effets secondaires, et donc d’améliorer la prescription du médecin.
Revenons au clonage. Va-t-on l’autoriser en France ?
Il n’y a pas en France de lois explicites empêchant de faire du clonage reproductif. Mais la proposition de réforme de la loi de bioéthique qui sera discutée en première lecture à l’Assemblée, vers la mi-janvier 2002, prévoit explicitement d’interdire le clonage reproductif.
Et le clonage thérapeutique ?
Pour ce qui est du clonage thérapeutique, tout d’abord on va parler en terme de faisabilité et d’autre part en terme légal. En terme de faisabilité, ce qu’il faut bien voir, c’est que l’expérience ACT* n’a fait que confirmer que le clonage humain, à ce jour, n’est pas possible. Ils ont obtenu trois fois un début de développement embryonnaire, qui deux fois s’est arrêté au stade « quatre cellules » et une fois a été jusqu’à stade « six cellules », ce qui est absolument négligeable. C’est à peine mieux que ce qui avait déjà été publié il y a une dizaine d’années et cela confirme les énormes difficultés rencontrées par des équipes qui ont tenté, sans succès, de cloner des primates.
Peut-on dire pour autant que l’on n’y arrivera pas ?
Non. Mon pronostic est qu’on y arrivera, peut-être malheureusement. Du point de vue légal, l’Angleterre a laissé ouvert la voie au clonage thérapeutique, mais de manière très logique puisque ce pays autorise depuis 1990 la création d’embryons pour la recherche. En Suède, on peut également créer des embryons pour la recherche. L’Australie a elle aussi laissé ouvert la voie au clonage thérapeutique, mais avec un moratoire de cinq ans. Israël n’a pas encore promulgué de loi, mais un comité auprès du Parlement s’est montré plutôt favorable. A contrario, de nombreux pays l’interdisent totalement, à l’image de l’Allemagne. Aux Etats-Unis, un projet de loi fédérale, déjà adopté par la Chambre des représentants et en attente de passer devant le Sénat, dit que tout clonage humain à visée thérapeutique comme à visée reproductive est un crime.
Quelle est votre position sur le sujet ?
Tout le monde est d’accord pour explorer la voie des cellules-souches embryonnaires, et moi le premier. En revanche, je fais partie de ceux qui considèrent que faire des embryons humains clonés n’est pas du tout utile pour progresser dans la recherche, et qu’en plus c’est dangereux. Si on me démontre que cette méthode va être révolutionnaire et que l’on ne puisse pas s’en tirer avec les autres méthodes, je suis prêt à reconsidérer ma position.
Les travaux sur les cellules-souches, adultes et embryonnaires, offrent-elles les mêmes perspectives de recherche ?
La réponse est oui. Je suis d’ailleurs personnellement favorable à ce que l’on mène parallèlement les deux types de recherche, avec une préférence pour que la recherche se fasse sur les cellules-souches d’adulte. Tout d’abord parce que c’est plus simple et ensuite parce que cela pose moins de problèmes sur le plan moral et éthique… D’ailleurs, les seuls essais thérapeutiques qui ont déjà eu lieu ont été faits sur des cellules-souches adultes. Il y a quelques mois de cela, des travaux extrêmement prometteurs ont montré qu’on arrivait à différencier les cellules nerveuses à partir de cellules-souches cutanées, qui peuvent de plus se multiplier très abondamment.
Mais quels sont les dangers du clonage ?
Outre celui de favoriser l’établissement d’un trafic d’ovules féminins, ce qui n’est pas rien, la question fondamentale est la suivante : on dit qu’on va faire du clonage thérapeutique. Très bien, mais comme on ne sait pas faire l’embryon grâce auquel on pourrait le mettre en oeuvre, ce qui serait autorisé c’est la course entre les laboratoires publics pour mettre au point la méthode de production d’un embryon humain cloné. Et c’est justement la seule chose qu’attendent les Raëliens et les autres pour poursuivre leur projet qui a été largement médiatisé, à savoir la méthode qui fait défaut à tout le monde. Il y a là un énorme problème de responsabilité.
* Le 25 novembre 2001, la société américaine Advanced Cell Technologies avait proclamé avoir créé les premiers embryons clonés à visée thérapeutique.
Dans votre domaine de recherche, qu’est-ce qui marquera selon vous l’année 2002, l’année 2010 et l’année 2050 ?
Axel Kahn : Je ne crois pas qu’en 2002 on annoncera la naissance du premier bébé cloné, peut-être en 2010…
Entre 2010 et 2050, nous assisterons à un changement important des pathologies et donc des traitements. Selon moi, la morbidité sera alors avant tout liée aux maladies infectieuses et aux maladies dégénératives extrêmes du grand âge. Un monde sans cancer, sans maladies virales, sans bactéries et parasites résistants ne peut pas se concevoir.
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