Achat Réservé aux abonnés

Préparations La sous-traitance en un tournemain

Publié le 8 juin 2002
Mettre en favori

Pour faire des préparations une spécialité à part entière, le mode opératoire n’est pas si simple : une bonne part d’investissements financiers, beaucoup de rigueur, une dose de passion et de la constance en quantité suffisante pour rentabiliser une activité qui devrait enfin se voir officiellement reconnue.

Si certaines préparations sont à la portée de tous les tours de main, d’autres ne peuvent se réaliser « en deux coups de cuillère à pot ». Et si certaines pharmacies sont dotées de préparatoires adaptés, d’autres se révèlent sous-équipées. Autant de raisons qui expliquent l’existence d’officines spécialisées dans les préparations. Sans oublier les véritables problèmes que posent les matières premières : délais d’approvisionnement, quantités non adaptées à de faibles débits, prix disproportionnés en regard d’une production peu importante…

Magistrale ou officinale, la préparation nécessite compétences et respect des « Bonnes pratiques officinales » (voir encadré p. 41). Bernard Sauri, pharmacien installé à Laragne (Hautes-Alpes) et président de l’association TOP (Technique officine pharmaceutique), donne le ton : « Au pharmacien de s’engager dans une voie qu’il peut tenir. » Autrement dit, se donner les moyens pour assurer la qualité d’une fabrication « hors normes ». A commencer par la vérification sans failles des matières premières. François Bruneau (pharmacie Delpech à Paris) n’a pas hésité à acheter un spectromètre à infrarouge pour réaliser l’identification des produits. « Il faut investir beaucoup pour travailler correctement », assure-t-il. Actuellement, la sous-traitance de préparations magistrales représente 50 % de son chiffre d’affaires. Comme ses confrères, il a débuté cette activité « par hasard », « pour rendre service à un copain ».

Peu nombreux sont les officinaux à avoir valorisé leur savoir-faire manuel avec comme seul moyen de promotion l’irremplaçable bouche-à-oreille. Mais ça marche ! Environ 700 préparations quotidiennes à la pharmacie Delpech, une moyenne de 800 par jour pour la pharmacie des Rosiers à Marseille. « Au début, on tournait à sept ou huit préparations », se souvient Alain Jayne, son titulaire.

Une telle orientation ne peut se faire sans aménagement des locaux. En général, un préparatoire – véritable ruche en effervescence ou s’activent les préparateurs – est attenant à la pharmacie. Mots d’ordre : organisation, hygiène et précision. Car on ne badine pas avec la préparation magistrale ! Problèmes de faisabilité, de galénique, d’erreurs de prescription… Des aléas qui exigent un professionnalisme à toute épreuve et par conséquent un personnel correctement formé. Pour sa part, Alain Jayne se repose sur un pharmacien adjoint qui coordonne les travaux d’une quinzaine de préparateurs. « Chacun a un rôle bien défini », explique-t-il. Les 18 préparateurs de la pharmacie Delpech ont, eux, passé brillamment la période test (un CDD de trois mois) imposée. « Au départ, je ne demande pas d’être rapide. Ce qui compte, c’est l’attention et la concentration », rapporte François Bruneau, qui procède à la formation de ses préparateurs par étapes : conditionnement, voie externe puis médicaments par voie interne. A noter que les gélules représentent les deux tiers de son activité. Rien d’étonnant alors qu’une telle organisation génère des frais de personnel élevés. Selon Jean Philippe, titulaire rennais, ils sont multipliés par trois si l’on se réfère aux salaires d’une officine « classique ».

Un stock négocié mais des livraisons onéreuses

Rentabilité oblige, la marge brute s’avère largement supérieure aux normes. « Le bilan du préparatoire est comparable à un compte d’exploitation d’artisan », confie Jean Philippe, qui parle de « marge brute artisanale ». Alain Jayne se montre intransigeant : « Les remises appliquées sur mes préparations permettent aux confrères de dégager une marge honorable de 30 %, j’estime que la transaction doit m’être tout autant profitable. » Dans tous les cas, le seuil de rentabilité est élevé. Pour l’atteindre, pas de secrets. « Il faut produire beaucoup pour réussir à écouler le stock et à le faire tourner régulièrement », indique Jean Philippe. Par ailleurs, il avoue n’avoir jamais travaillé à perte, bien qu’il lui ait fallu plus de dix ans « pour décoller ».

Publicité

Quant aux prix d’achat des matières premières, ils font l’objet d’une négociation avec les fournisseurs (toujours des laboratoires pharmaceutiques). Marchés au volume mais aussi remises à l’année permettent également de se procurer des produits de dépannage à prix intéressant. Que demander de plus pour optimiser la rentabilité des préparatoires ? « La diminution des dépenses de logistique ! », réclament les professionnels à l’unisson. Car qui dit sous-traitance sous-entend livraison rapide aux confrères par l’intermédiaire des grossistes-répartiteurs. « J’ai un budget transport (comprenant l’achat du matériel) de 0,76 Euro(s) par colis transporté », regrette Alain Jayne. De son côté, François Bruneau fait appel à une société de coursiers pour livrer les grossistes. Mais quand les expéditions dépassent les frontières régionales, c’est la Poste qui prend le relais. Seulement voilà, pour assurer des délais convenables, il faut opter pour le Chronopost. Et le coût devient prohibitif par rapport à celui de la préparation. Une des raisons pour lesquelles Jean Philippe et Alain Jayne ont défini une zone de livraison se cantonnant aux départements limitrophes.

Gestion du personnel, des commandes, de la logistique, des factures, le préparatoire est une activité à part entière impliquant la présence quasi permanente des titulaires. L’opportunité pour Alain Jayne de casser le rythme infernal des tiers payants mais aussi de valoriser un métier en quête de reconnaissance.

Dans un contexte où la personnalisation des traitements séduit des patients toujours attirés par les médicaments d’antan. Une telle spécialisation semble donc avoir de beaux jours devant elle.

Et les préparations officinales ?

Vous désirez disposer de produits conseil différents de ceux des confrères ? Vous aimeriez remettre au goût du jour d’anciennes formules ? La solution passe sans aucun doute par la préparation officinale dite « par lot ». Seulement voilà… Ne se lance pas dans cette activité qui veut. Effectivement, les contraintes de qualité sont les mêmes que pour les préparations magistrales. Auxquelles il faut ajouter les contrôles organoleptiques pour chaque lot. Pas de quoi décourager les frères Richard, pharmaciens dijonnais, qui, de plus, fabriquent leurs propres cosmétiques. Et là, ça se complique. « Il faut déclarer l’établissement à la préfecture, déposer les formules au centre antipoison et établir un dossier propre à chaque produit », explique Claude Richard. Son officine se remarque tout d’abord pour ses boiseries anciennes et se démarque par son conseil et des vitrines faites maison, à l’image des préparations. Ici, les cosmétiques de marque sont dans les tiroirs. Les sirops conseil s’appellent Elixir de Terpine ou Sirop de Desessartz. Une différentiation qui fidélise sans aucun doute une clientèle mais qui implique un conseil et une disponibilité non-stop.

Bernard Sauri, lui, a opté pour les compléments alimentaires à la marque. Les formules qu’il établit sont directement visées par la DGCCRF. Puis le mélange des matières premières et la mise en gélules sont sous-traitées. Il ne lui reste qu’à apposer sa marque. « Les produits sur le marché ne correspondent pas forcément aux attentes des clients à la recherche de principes actifs naturels de qualité, se justifie-t-il. Cette démarche véhicule une image de marque au même titre que toutes les préparations officinales. » A méditer.

La sous-traitance bientôt reconnue

La réglementation en matière de préparation est dictée par les « Bonnes pratiques officinales » (BPO) parues au Journal officiel en 1988. Un bail !

Actuellement, les BPO font l’objet d’une actualisation très attendue par la profession. Selon Anne-Marie Ardoin, qui a animé la commission de révision, le nouveau texte devrait voir le jour en fin d’année. En attendant, les recommandations des anciennes BPO font loi mais comportent des lacunes. A savoir :

– La sous-traitance des préparations magistrales est autorisée de manière exceptionnelle.

Anne-Marie Ardoin en convient : « L’activité des préparatoires est actuellement tolérée même si elle n’est pas prévue dans les textes. » L’intérêt d’une reformulation des BPO tient donc dans la reconnaissance de la spécialisation, avec des exigences d’équipements et de procédures. Bernard Sauri (qui a participé à la commission de révision des BPO) entrevoit la définition d’un agrément de préparatoire.

– Aucune précision sur la responsabilité juridique en cas de sous-traitance.

A qui est imputée la faute en cas d’erreurs ? « Il règne là un flou juridique, mais nous évoluons vers une responsabilité bien partagée : celle de la qualité pour le pharmacien qui prépare et celle de la délivrance pour le pharmacien en contact avec le patient », informe Bernard Sauri.

– L’utilisation d’un ordonnancier pour y inscrire les préparations.

Or, l’ordonnancier classique n’est pas adapté à une parfaite traçabilité. Où noter le numéro de lot des matières premières ? Où inscrire le mode opératoire ? Réponses dans quelques mois…