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La thèse : figure libre pour un exercice imposé
Passage obligé, la thèse qui clôt les six années d’études de pharmacie ne fait pas que des heureux. Entre les étudiants qui lâchent tout, qui calent ou qui y vont à reculons, il reste pourtant de la place pour ceux qui ont choisi de s’y plonger avec enthousiasme. Tour d’horizon.
Soixante-dix à quatre-vingts pages, des annexes en sus…, sur la balance, la thèse d’exercice pèse bien ses deux petits kilogrammes. Un document de poids mais un souvenir mitigé. « Elle est dans un coin, pas même dans ma bibliothèque. Rétrospectivement, c’est un bon souvenir parce que j’ai eu une mention très honorable, mais sur le moment cela a été très pénible, se souvient Catherine Blanc, titulaire à Paris et diplômée en 1984. Il m’a fallu notamment traduire un texte très technique en allemand déjà traduit de l’anglais. »
« Ma thèse ? J’en ai un exemplaire chez moi, mais vous dire où elle est…, répond Dominique Prévost, de Bordeaux. Je l’ai passée huit ou neuf ans après avoir fini mes études en industrie, car je n’en voyais pas l’intérêt. J’ai dû l’écrire pour travailler en officine. Je me suis servi du dossier d’AMM que j’avais réalisé sur le piracétam pour le laboratoire, j’ai changé quelques paragraphes. Une thèse bibliographique sans intérêt… »
Exercice obligé, la thèse de sixième année provoque son lot de réactions, à l’officine comme ailleurs. Il suffit pour s’en convaincre de venir dans les couloirs du Moniteur des pharmacies et de faire le test. « Alors, la thèse ? » Exclamations, soupirs… le résultat est garanti. Mais si les anciens potaches du journal en sont venus à bout, la thèse en décourage chaque année un bon nombre. « Environ 60 % d’étudiants en filière industrie soutiennent leur thèse, pas obligatoirement en sixième année mais dans les deux ou trois ans qui suivent », compte Pierre Tchoreloff, professeur à la faculté de Châtenay-Malabry. « Une majorité d’étudiants sort de la faculté sans diplôme », ajoute Jean-Pierre Dupeyron, maître de conférences en pharmacie clinique à Paris-V. A Lille, près de 20 % prennent du retard. « Il faudrait pourtant se fixer l’objectif de terminer la thèse en sixième année. Ensuite, entre les projets de mariage, les voyages ou le prolongement des études, elle devient un boulet », poursuit Jean-Pierre Dupeyron.
Il y a aussi ceux qui s’accrochent : les prévoyants, qui se concoctent leur sujet dès la cinquième année. Sandrine, filière officine, 5e année à Châtenay-Malabry, s’est servie de son stage dans le laboratoire de biochimie à la Pitié-Salpêtrière. « On m’a demandé de faire un dosage de protéines de l’inflammation dans le lupus pour un médecin. La biochimie est plus en rapport avec l’officine que la coprologie ou l’immunologie auxquelles on n’est pas trop confronté. J’ai presque terminé les dosages. J’ai voulu avancer le sujet pour voir les profs en juin avec une idée de plan. Il restera encore l’exploitation des résultats et la rédaction. »
Il y a les motivés, ceux qui veulent en finir le plus vite possible pour être débarrassés et, enfin, ceux qui ont tout leur temps. Comme Virginie, 5e année, industrie : « Je veux travailler dans l’industrie de la cosmétique. L’an prochain, je ferai mon stage industrie et ma thèse ensuite, ou bien un DESS et la thèse l’année suivante. Beaucoup d’étudiants en industrie font de même. Ce n’est pas un obstacle de ne pas avoir le titre de docteur dans l’industrie. » Lucille non plus ne s’en fait pas mais compte bien s’y mettre. En DESS de marketing à Lyon, elle a démarré un stage début avril et n’a pas l’ombre d’un sujet. « Je n’ai pas pu l’effectuer lors de mon stage hospitalier, mon chef de service ne voulait pas s’en occuper. Pour l’instant, mon stage marketing est ma priorité, il ouvre des portes. Mais les sujets ne manquent pas. Ne pas avoir de thèse nous bloque pour certains postes. »
Le but d’une thèse n’est pas de faire des découvertes
« Sous la pression des employeurs, pour des postes de pharmaciens responsables par exemple, certains se retrouvent à devoir passer subitement leur diplôme, constate Pierre Tchoreloff. De temps en temps, il y a de « gros coups de bourre » quand ces anciens étudiants nous demandent de corriger rapidement leur thèse et de passer leur soutenance dans un délai très court. »
Les sujets sont libres. Il y a les matières stars et celles qui n’attirent personne, qui se prêtent moins à l’exercice comme la biologie moléculaire, la chimie organique, la physiologie ou les maths ; puis les profs qui ont de l’aura, qu’on réserve dès la quatrième année, les sévères et les plus conciliants.
A Paris-V, la pharmacie clinique est très courue : en moyenne, Jean-Pierre Dupeyron suit entre huit et dix étudiants. « Les thèses sont liées à l’actualité de la pharmacie clinique, la pharmacologie et la toxicologie. Les étudiants s’intéressent à l’exercice officinal : médicaments chez la femme enceinte, heures de prise, interaction entre les médicaments… » Même succès à Lille, pour le laboratoire de pharmacologie, où le Pr Jean-Claude Cazin et sa femme voient passer nombre d’étudiants. Dans le laboratoire de François Locher, professeur à la faculté de Lyon, qui s’occupe, lui, plus particulièrement du droit, d’économie et d’histoire, on compte 30 ou 40 thèses chaque année.
« On a la chance de pouvoir choisir, alors autant se faire plaisir exprime Julien, en DESS de répartition à Limoges. Il faut sortir du cadre universitaire. Pour ma thèse « Choix stratégique de l’installation en officine », réalisée en binôme, j’ai repris tous les procédés pour l’acquisition d’une officine (évaluation du fonds, moyens de financement, formes juridiques…). Nous avons interrogé des titulaires, des banquiers, des fabricants d’automates… Je n’aurais pas eu autant d’entrain si le sujet m’intéressait nettement moins. »
Guillaume s’est penché sur les génériques. Le sujet, en binôme, a été proposé par l’enseignant de pharmacoéconomie qui avait déjà enquêté auprès des pharmaciens. « Il nous a demandé d’interviewer des médecins, deux échantillons de six médecins en réalisant des entretiens non directifs puis semi-directifs. L’intérêt était d’apporter de nouveaux éléments, pas de faire une simple synthèse de documents. »
En général, le but d’une thèse n’est pas de faire des découvertes. Un grand nombre sont d’ailleurs des synthèses bibliographiques plus que des travaux personnels tirés d’expérimentations. « C’est un exercice pédagogique, estime Jean-Claude Cazin, un exercice de synthèse. » « L’étudiant apprend ainsi un mode de travail auquel il n’est pas habitué », renchérit François Locher. « L’étudiant apprend à travailler un sujet, à le présenter clairement à l’écrit et à l’oral, précise Jean-Pierre Dupeyron. Le sujet typique est par exemple : « Les méthodes de contraception disponibles en France en l’an 2001 : quels conseils le pharmacien peut-il donner ? ». Il n’y a pas de recherche, il faut connaître les médicaments, avoir un peu de subtilité. »
Et puis, selon une étudiante, une thèse sert aussi… à faire des thèses. « On s’inspire évidemment de celles qui ont été écrites pour rédiger notre propre travail. » De la triche ? Pas si sûr, affirment les enseignants, qui assurent qu’ils la repèrent. « Les étudiants peuvent s’inspirer ou reprendre des passages d’ouvrages. On leur demande de nous donner des photocopies des articles cités et la bibliographie utilisée », explique Jean-Claude Cazin. François Locher reconnaît que c’est rare. « On m’a raconté l’histoire d’une filleule et de sa marraine qui passaient leurs thèses, la même, dans deux facultés différentes. Le membre de l’un des jurys a changé au dernier moment pour faire partie de l’autre jury, ce qui a révélé la fraude. Nous ne sommes pas à l’abri. Les étudiants me parlent aussi des « écrivains publics », des gens qu’on paye pour faire la thèse à votre place, mais je n’en ai jamais rencontré. »
Deux à six mois en moyenne pour rédiger une thèse
Le discours, côté étudiants, est un peu différent. « On a la possibilité de rencontrer de nombreux profs, notamment durant l’année hospitalière. Il suffit de trouver un directeur de thèse qui n’est pas trop exigeant. Certains vous filent la bibliographie. Beaucoup d’étudiants font du copier-coller. Avec Internet, c’est un grand classique. » Sur le web, l’ensemble des thèses réalisées dans les différentes facultés de pharmacie est facilement accessible en tapant l’adresse du site du Sudoc* ou celle du site de la bibliothèque de Paris-V. Certains sujets ont fait l’objet de dizaines et dizaines de thèses et publications.
En se débrouillant, on peut tout faire en deux ou trois mois estiment certains, plutôt quatre à six, préconisent des guides diffusés par les facultés. Certaines facs aménagent l’emploi du temps des bûcheurs. A Poitiers, raconte Nicolas, « nous ne sommes que huit étudiants en option industrie, chacun d’entre nous travaille dans un laboratoire de la faculté et réalise un projet de recherche qu’il présente en fin d’année. La thèse, qui s’appuie sur cette recherche, est plus travaillée. On y ajoute une bibliographie ».
« A Lyon, en cinquième année, tous les étudiants ont la possibilité de valider toutes leurs UV. Ils n’ont ensuite que leur stage et leur thèse à faire en sixième année, détaille François Locher. Pour les étudiants en industrie, le mémoire de stage peut servir de thèse. C’est ce que nous avons organisé avec l’Ecole de management de Lyon. La soutenance du mémoire est aussi la soutenance de thèse. »
Un groupe de travail vient d’être mis en place dans la faculté pour faire le point sur la thèse (nombre de thèses effectuées, abandons, thèmes employés…). « Il faudrait aussi régler quelques problèmes, souligne François Locher. Utiliser par exemple les nouvelles technologies de façon plus marquée sous forme de CD-ROM. Non seulement nous gagnerions en espace de rangement, mais cette solution éviterait de plus le surcoût considérable pour l’impression et le tirage des thèses imposé aux étudiants. La thèse d’exercice a aujourd’hui vingt ans d’âge. Les règles du jeu n’ont pas changé. »
* Sudoc : Système universitaire de documentation établi par l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur qui contient la totalité des références bibliographiques de la documentation conservée dans les universités. Le Sudoc est consultable à la bibliothèque de la faculté de pharmacie de Paris-V, 4, avenue de l’Observatoire. Sites Internet : http://corail.sudoc.abes.fr ou http://www.biup.univ-paris5.fr.
Vingt-trois années ans d’existence
Créé par la loi du 2 janvier 1979, le doctorat d’exercice – et donc la thèse d’exercice – ne fut pas toujours bien accueilli. « Les universitaires n’ont pas vu cette nouveauté d’un bon oeil. C’était un surcroît de travail pour eux », se souvient Jean-Claude Cazin, ancien doyen de Lille. Côté étudiants, ce ne fut pas non plus la joie. « Au début, certains ont espéré qu’elle serait finalement supprimée. Les étudiants ne la faisaient pas tout de suite. Il a fallu que l’Inspection s’y mêle. Dans le Nord-Pas-de-Calais, lorsque j’étais président du conseil régional de l’Ordre, nous avons fait une guerre prononcée contre les retardataires. Nous tolérions que les étudiants fassent des remplacements pendant six mois, ensuite cela devenait plus compliqué d’exercer sans avoir le titre de docteur en pharmacie. Il fallait une raison sérieuse pour n’avoir pas passé sa thèse. » La mise en place d’une thèse d’exercice s’est faite pour une raison simple. Jusque-là, les étudiants obtenaient le diplôme d’Etat de pharmacien, en 1979, ils sont devenus docteurs en pharmacie en effectuant cette fameuse thèse. « L’objectif était d’aligner les études de pharmacie sur celles des autres professions de santé en instaurant un diplôme de fin d’études et en accordant le titre de docteur aux diplômés comme c’est le cas en médecine », explique Michel Duneau, professeur de droit.
Des récompenses pour les meilleures thèses
La thèse est écrite, corrigée, approuvée par le directeur de thèse puis soutenue devant un jury de trois ou quatre personnes. Un président de jury (enseignant de la faculté), le directeur de thèse, une personnalité extérieure à l’établissement composent l’aréopage du jury. La note finale est accordée à l’issue de cet oral. Au choix : pas de mention, mention honorable, mention très honorable, mention très honorable avec les félicitations du jury. La thèse peut également être proposée pour un des prix de thèse décernés chaque année. La liste, non exhaustive, n’inclut pas les prix décernés au niveau régional.
– Le Prix Interfimo pour les thèses en officine : il comprend un prix d’université (305 euros), qui récompense la meilleure thèse de la faculté, et un prix national Vauquelin-Interfimo (un de 915 euros et un de 762 euros) auquel peuvent concourir les thèses ayant été couronnées dans chaque UFR par le prix d’université précédent.
– Le Prix du Conseil régional de l’ordre des pharmaciens :
Le prix d’un montant de 457 euros est attribué à une thèse concernant l’officine.
– Les prix décernés par l’Académie nationale de pharmacie :
– Le Prix de Biochimie végétale destiné à un travail ayant fait l’objet d’une publication portant sur l’analyse ou la biochimie des constituants d’un végétal (381 euros).
– Le Prix du Syndicat général de la réglementation des produits pharmaceutiques destiné à des travaux originaux ayant contribué à enrichir les sciences se rapportant à la pharmacie, de préférence à la chimiothérapie (762 euros).
– Le Prix de la Société d’histoire de la pharmacie (305 euros).
– Le Prix Albert-et-Jacques-Salmon (hygiène et orthopédie).
– Le Prix CESSPF.
– Le Prix Maurice-Bouvet.
Industrie
– Le Prix de l’AMIP (Association des médecins de l’industrie pharmaceutique) : d’un montant de 3 811 euros, il récompense des travaux de recherche dans le domaine de la pharmacologie clinique et thérapeutique.
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