À chacun sa lecture
Depuis le vote de la loi sur le droit des malades, en mars dernier, les patients ont la possibilité d’avoir accès directement à leurs données médicales. Tenus de mettre à disposition ces informations, hôpitaux, médecins… mais aussi pharmaciens travaillent à l’élaboration d’un véritable dossier qui doit permettre d’améliorer le suivi du patient.
Le dossier médical, on en a fait une mousse médiatique mais il n’y a rien de nouveau. C’est plutôt l’aléa thérapeutique qui risque de poser problème », estime le Dr Cressard, praticien hospitalier, qui s’occupe d’éthique et de déontologie au Conseil national de l’ordre des médecins.
L’accès aux données médicales ? Pour Nicolas Brun, représentant de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), ce n’est pas une révolution, plus un élément symbolique qu’autre chose : « Un certain nombre de pays européens permettent déjà à leurs ressortissants d’avoir accès à leur dossier et il n’y a que 6 à 10 % des patients qui demandent effectivement à le lire. Il n’y aura pas d’explosion de la demande en France. Mais peut-être, au départ, un effet de curiosité ou un effet de stock (des gens qui réclamaient depuis des mois) qui vont augmenter les statistiques. »
Tout, sauf les notes « non formalisées » ! Ce n’est pas le droit à l’information – qui faisait partie des obligations fixées par le code de déontologie aux professionnels, et notamment aux médecins libéraux -, mais les modalités de celui-ci qui vont changer : la loi sur les droits des malades du 4 mars 2002 offre désormais au patient un accès direct à ses données médicales. Il n’a plus besoin de passer par l’intermédiaire d’un médecin. « Nous avons fait à ce sujet un petit sondage et nous avons été surpris du résultat, se souvient Nicolas Brun. Nous nous sommes aperçus que la principale difficulté avec la réglementation précédente était de trouver des médecins qui acceptaient de servir d’intermédiaires, soit parce que ce n’était pas un acte valorisant, soit qu’il y avait une prise de responsabilité. »
Le décret d’application du 29 avril dernier liste les informations médicales que les professionnels de santé doivent tenir à disposition. Une liste non exhaustive : résultats d’examen, compte rendus de consultation, d’intervention, d’exploration ou d’hospitalisation, protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en oeuvre, feuilles de surveillance, correspondances entre professionnels de santé. Mais il exclut en revanche les notes personnelles non formalisées du médecin, les informations recueillies auprès de tiers ou ayant rapport aux tiers.
Autre modification importante, celle concernant les mineurs. « Il reste encore des points à définir, C’est flou, estime le Dr Cressard. Qu’entend-on par exemple par « données formalisées » ? On le saura à l’usage. »
La loi a également défini le déroulement de l’opération : la consultation des documents peut se faire sur place ou bien en faisant des photocopies des documents, lesquelles seront facturées au demandeur.
Une fois la demande effectuée, le professionnel a 48 heures de réflexion et huit jours pour répondre. Si les documents datent de plus de cinq ans, le délai s’allonge à deux mois.
Des problèmes de délai. L’information n’est pas toujours facile à obtenir constatent les associations de patients, et notamment à l’hôpital. Il n’y a pas forcément de blocage pour la transmission des informations médicales, mais les services sont débordés. Michel Bonjour, vice-président de SOS Hépatites, s’en est aperçu quand, traité à l’hôpital Saint-Louis, il est venu en Franche-Comté où il a été suivi dans le cadre du CHU de Besançon. Son médecin n’a jamais reçu son dossier médical.
La loi va-t-elle changer la donne ? Pas si facile. Lors du 75e congrès de l’Union hospitalière du Sud-Est, fin septembre, les hôpitaux ont dénoncé le délai trop court imposé pour l’accès du patient aux données médicales. « Hormis pour les consultations sur place du dossier, le dépassement du délai de huit jours est inéluctable », a observé Solange Zimmerman, directrice de l’hôpital de Gap. Une difficulté soulignée par le Dr Cressard, qui évoque les 35 heures et le manque de personnel. « Il faudra une certaine souplesse dans l’application de la loi. »
Mais la loi aura de toute façon un impact sur les pratiques, selon Nicolas Brun. « C’est peut-être un moyen, tout en laissant la liberté aux médecins, de vérifier qu’un certain nombre de documents restent dans les dossiers médicaux. Du côté des établissements, il y a un effet structurant car le dossier pourra sortir. Jusqu’ici, on rencontrait tout et n’importe quoi : des pièces qui manquent, des dossiers mal tenus, des hypothèses griffonnées. Bon nombre d’établissements travaillent sur une recomposition d’un dossier unique pour un patient. »
En ville, aucun texte ne précisait jusqu’à présent les informations que les médecins libéraux devaient collationner. Aujourd’hui, pas un médecin n’a les mêmes critères pour établir un dossier. « Parfois, ce sont quinze photocopies pas toujours très lisibles, souligne Isabelle Guy, déléguée adjointe de l’association Alliance Maladies rares, mais les dossiers sont parfois plus travaillés avec des comptes rendus, le résumé du diagnostic, les pathologies. »
Une trame commune pour tous les dossiers. Pour permettre une harmonisation, l’ANAES travaille actuellement sur des recommandations. Prévues pour la fin de l’année, elles sont destinées à définir une trame commune pour les dossiers des médecins généralistes et des spécialités soumises à l’évaluation. En attendant, les professionnels sont déjà censés mettre à disposition les informations médicales dont ils disposent. Une règle qui s’applique à l’ensemble des professions de santé. Y compris les pharmaciens.
« Dans la mesure où le pharmacien dispose d’éléments, il n’y a pas de raison qu’il n’ait pas les mêmes obligations que les médecins », précise ainsi Jean-Luc Audhoui, du Conseil national de l’ordre des pharmaciens. Mais ces éléments sont limités. Pour l’instant, vous pouvez avoir deux types d’informations : l’identité du patient et le total des médicaments donnés. » « Actuellement, l’officine ne dispose que des éléments administratifs et comptables qu’on peut extraire des factures, confirme Henri Lepage, président du conseil de l’ordre des pharmaciens du Centre. Ces éléments permettent déjà de corréler un traitement à une personne. » Une situation qui devrait changer avec la mise en place de l’opinion pharmaceutique et de dossiers de suivi thérapeutique. « Le schéma établi par l’Ordre, poursuit Henri Lepage, également vice-président du conseil central A, consiste à conserver chaque opinion pharmaceutique pour témoigner de l’acte accompli. La collection des données qui constituent les opinions pharmaceutiques rapportées à un patient déterminé est structurée pour constituer, à son bénéfice, un dossier de suivi pharmacothérapeutique. Celui-ci, lors de chaque opinion pharmaceutique, sera nourri au fur et à mesure de l’information acquise par le pharmacien. Ce processus lui permettra, dès 2003, de disposer d’un niveau d’informations de plus en plus élevé pour aiguiser ses analyses et ses décisions au profit du patient, et non dans le cadre d’une protection contre un éventuel contentieux. »
La crainte judiciaire. « Lorsqu’il s’agit de justifier des choix plusieurs années après qu’ils ont été opérés, face au patient, à l’expert, voire au juge, il est bon de disposer de notes, précisait Catherine Paley-Vincent, avocate, lors de la conférence d’ouverture du salon Médec. Mais « l’accès direct du patient à son dossier médical n’entraînera pas de rush sur les dossiers, affirmait Bernard Kouchner pour rassurer les médecins. Il devrait même aboutir à moins de recours aux tribunaux et plus de confiance entre le praticien et son malade. » Le ministre de la Santé, promoteur du projet, estimait que « la crainte des professionnels de devoir complètement changer leur écriture [du dossier médical] n’est pas totalement fondée ».
Pourtant, selon Isabelle Guy, le risque de voir se créer des dossiers « à deux vitesses » existe bel et bien. Le Collectif interassociatif sur la santé (CISS), dont fait partie Alliance Maladies rares, a participé de près à l’élaboration de la loi, et notamment en étudiant ses titres I, II et III. Le CISS a souhaité que l’idée « d’espace réservé » du professionnel ne soit pas inscrite dans la loi, « sinon c’était la porte ouverte… ». Le professionnel de santé a simplement le droit de ne pas communiquer les informations recueillies auprès de tiers ou concernant un tel tiers, et il peut écarter « les petites notes qui constituent des hypothèses de travail, de diagnostic ». Mais cela n’empêchera pas celui-ci de donner ce qu’il veut. En cas de refus, la loi n’a pas prévu de sanctions pénales. Le professionnel de santé peut risquer en revanche des sanctions disciplinaires. « La question n’est pas de savoir si le professionnel doit ou non tout mettre dans le dossier mais plutôt si le patient doit ou non savoir. Il faut rappeler au patient que le dossier médical n’est pas neutre, qu’il peut y avoir des informations difficiles à supporter, souligne Nicolas Brun. C’est un dialogue qui s’instaure entre le professionnel et le patient. Quand on pense dossier médical, on pense tout savoir. Or, il peut être très technique et complexe, excepté pour ceux qui ont acquis des compétences importantes sur leur pathologie. » Souvent, la communication du dossier nécessite un accompagnement du professionnel qui explique les données. « On le voit dès maintenant quand le dialogue est bon, peu de personnes demandent la communication de leur dossier. C’est en général parce qu’ils changent de lieu ou d’établissement ou qu’ils souhaitent un deuxième avis. »
C’est aussi l’avis de Bernard Huynh, gynécologue-accoucheur et président de l’Union régionale des médecins libéraux d’Ile-de-France : « La loi ne fait jamais que formaliser et rendre légale une manière de faire qui était quotidienne. Le médecin communique depuis longtemps en toute transparence les informations médicales aux patients qui le souhaitent. Aujourd’hui on ne doit plus passer par lui pour se procurer les données médicales, mais, de toute façon, il devra toujours être là pour les expliquer, que ce soit pour une analyse de sang ou un cas de séropositivité HIV. La loi est peut-être utile pour le 1 % de praticiens qui ne communiquent pas. Mais si l’on a pas confiance en son médecin, ça ne sert à rien qu’il donne des explications. Le patient ira voir un autre médecin avec son dossier. »
A retenir
Tous les professionnels de santé doivent permettre aux patients d’avoir accès aux données médicales qui les concernent. Le décret du 29 avril 2002 a établi une liste non exhaustive : résultats d’examen, comptes rendus de consultation, d’intervention, d’exploration ou d’hospitalisation, protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en oeuvre, feuilles de surveillance, correspondances entre professionnels de santé.
A retenir
En cas de refus, la loi ne prévoit pas de sanction pénale mais des sanctions disciplinaires.
Après un délai de réflexion de 48 heures, le dossier doit être transmis dans les huit jours qui suivent la demande. Dans les deux mois s’il s’agit d’un dossier d’archives vieux de plus de cinq ans ou concernant des données d’un patient psychiatrique.
Un mineur peut désormais s’opposer à la transmission de son dossier à ses parents s’il souhaite garder le secret sur son état de santé. Une exception considérable au principe de l’autorité parentale.
L’Europe a une longueur d’avance
– La France est loin d’être pionnière en accordant le droit au patient d’accéder directement à son dossier. Tous les pays européens permettent déjà cet accès direct, soit par des textes législatifs comme en Grande-Bretagne, au Danemark et aux Pays-Bas, soit par jurisprudence, comme en Belgique et en Allemagne.
Dans les trois pays où il est organisé par la loi, le droit d’accès est plus large. Il s’applique à la totalité des informations figurant dans le dossier. Seules les données qui sont susceptibles de nuire à la vie privée de tierces personnes ou de l’intéressé peuvent ne pas être consultables.
– En Belgique, en l’absence de cadre juridique spécifique, les droits du patient ont été « définis » par la jurisprudence qui estime que les patients et les prestataires de soins de santé concluent un accord tacite. Mais le code de déontologie médicale belge précise que le médecin n’est pas tenu de permettre à ses patients de consulter directement leur dossier : il décide de la « transmission de tout ou partie […] en tenant compte du respect du secret médical ».
– D’après la jurisprudence allemande, les « prestataires de soins de santé » sont liés par un contrat de services qui fonde la plupart des droits du patient. Mais là aussi, elle limite le droit d’accès aux seuls éléments objectifs du dossier, en excluant par exemple les commentaires d’analyse. Et les patients allemands n’ont aucun recours en cas de refus, sauf s’il s’accompagne d’une faute professionnelle.
– Au Danemark, les patients peuvent s’adresser à la commission d’examen des plaintes comme aux Pays-Bas.
– Outre-Manche, ils peuvent saisir les tribunaux de droit commun.
Dossier médical, informatique et libertés
Créer soi-même son dossier
– Certains prestataires proposent déjà sur Internet un service de gestion des données médicales. Sur le modèle américain, Primadoctor.com par exemple a déjà mis en place cette offre depuis deux ans. Sur le site, l’internaute peut se créer quand il le souhaite un dossier personnalisé qu’il remplit au fur et à mesure de données sur ses vaccinations, ses consultations médicales… Intérêt du service : l’accessibilité, car, en cas d’urgence, les données sont immédiatement disponibles. Avec la mise en place de la loi, les offres devraient se généraliser car la question se pose : que va faire le patient des données qu’il va recueillir ?
Comment et où le dossier sera-t-il conservé ?
– Comment les professionnels de santé comptent conserver ces informations ? « La solution informatique paraît la plus pertinente », affirmait récemment Jean Parrot. Plusieurs idées comme celles de « coffres-forts virtuels » dans lesquels les professionnels mettraient les dossiers ou celles de sites centralisateurs ont circulé. Mais la mise en ligne de données médicales nécessite des précautions pour assurer leur confidentialité. La sécurité des données doit être particulièrement validée par des pare-feu (firewall), identifiants, mots de passe et techniques de cryptage. Ensuite, l’utilisation des données doit être clairement établie, un point sensible souligné par la Commission nationale de l’informatique et des libertés : les données de santé qui revêtent un caractère directement ou indirectement nominatif doivent faire l’objet d’une protection particulière et ne devraient faire l’objet d’aucune exploitation à des fins commerciales. La loi sur les droits des malades a prévu un encadrement de ceux que l’on appelle « les hébergeurs de données », mais le décret qui prévoit les modalités d’agrément de ces sociétés n’est toujours pas sorti. Les réseaux de soins qui ont choisi de communiquer via Internet devront aussi se faire agréer.
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