- Accueil ›
- Profession ›
- Interpro ›
- Oyez, Oyez le pharmacien est là !
Oyez, Oyez le pharmacien est là !
Organiser une tournée de commande d’ordonnances à domicile ! L’idée peut aujourd’hui paraître saugrenue. Pourtant elle a été mise en application par un officinal du Languedoc-Roussillon. La chambre de discipline du conseil de l’Ordre se prononcera sur son cas la semaine prochaine.
On croyait ces pratiques réservées à un autre âge, et pourtant… Tancé par le président de la chambre de discipline du conseil régional de l’Ordre, s’étonnant « qu’il y ait des villages où l’on voit passer des pharmaciens qui klaxonnent, comme le boulanger », Boris Bastide ne semble pas comprendre ce qui lui est reproché. « Je suis installé depuis quarante ans et je n’ai fait que poursuivre une pratique mise en place par mes prédécesseurs. Alors oui, je fais klaxonner, comme d’autres commerçants, pour assurer un service de proximité. »
A 71 ans, il est l’objet d’une plainte déposée par un confrère de 35 ans son cadet. Dès son installation en mai 2001 dans une officine d’un village voisin, près de Béziers, Daniel Charet a pourtant demandé à Boris Bastide de mettre fin à ces pratiques. Vainement. Dans trois villages sans pharmacie du secteur de rattachement de l’officine de Daniel Charet, Boris Bastide organise en effet une tournée quotidienne, confiée à une employée sans qualification officinale, pour prendre commande et livrer des médicaments.
Le rituel est bien huilé. Chaque jour en début d’après-midi, la « vendeuse » de Boris Bastide parcourt en voiture les rues des trois villages et klaxonne à tout-va pour signaler sa présence. Elle s’arrête aussi devant les maisons qui affichent à leur porte un sachet plastique ou un chiffon blanc en signe d’ordonnance à collecter. Une jolie petite affaire. Pour 91 heures déclarées de travail par mois, comprenant salaire fixe et intéressement de 5 % au CA, l’employée a empoché en moyenne 1 043 euros de rémunération mensuelle en 2001. Selon Boris Bastide, une dizaine d’ordonnances seraient ainsi ramassées quotidiennement.
Préjudice pour la concurrence.
Mais, de son côté, Daniel Charet voit rouge. Ce « démarchage illégal » de clientèle sur ses terres constitue pour son officine un préjudice qu’il évalue « à un minimum de 50 000 euros par an ». Avant de porter plainte devant l’ordre des pharmaciens, en juillet 2001, il a fait constater ces pratiques par un huissier puis, par la même voie, effectué une sommation interpellative pour que Boris Bastide y mette un terme. Rien n’y a fait. En septembre 2001 ce dernier n’en démordait toujours pas lors de son audition par un conseiller ordinal : « Le colportage tel que je le pratique aujourd’hui n’a pas évolué depuis des dizaines d’années avec l’assentiment des maires des communes concernées, la satisfaction des populations privées de pharmacie, et sans le moindre incident depuis quarante ans. » Il y a cependant renoncé, trois mois avant l’audience disciplinaire du 12 décembre dernier. « Monsieur Bastide a donc bien conscience que ce qu’il faisait était illégal. Sinon, pourquoi a-t-il arrêté ? », a demandé une conseillère ordinale. « Dans un esprit de conciliation », a répondu Boris Bastide sans se démonter.
La balle est désormais dans le camp de la justice ordinale.
Mais au-delà de la sanction logique, cette histoire « cloche-merlesque » posera une fois de plus le délicat problème de la sollicitation de clientèle aux contours souvent beaucoup plus insaisissables.
Ce que dit le Code de la santé publique
– Article L. 5125-25
« Il est interdit aux pharmaciens ou à leurs préposés de solliciter des commandes auprès du public. Il est interdit aux pharmaciens de recevoir des commandes de médicaments et autres produits ou objets mentionnés à l’article L. 4211-1 du Code de la santé publique par l’entremise habituelle de courtiers et de se livrer au trafic et à la distribution à domicile de médicaments, produits ou objets précités, dont la commande leur serait ainsi parvenue. Toute commande livrée en dehors de l’officine par toute autre personne ne peut être remise qu’en paquet scellé portant le nom et l’adresse du client. Toutefois, sous réserve du respect des dispositions du 1er alinéa de l’article L. 5125-21, les pharmaciens d’officine, ainsi que les autres personnes légalement habilitées à les remplacer, assister ou seconder, peuvent dispenser personnellement une commande au domicile des patients dont la situation le requiert. »
– Article R. 5015-22
« Il est interdit aux pharmaciens de solliciter la clientèle par des procédés et moyens contraires à la dignité de la profession. »
– Article R. 5104-4
« Les médicaments, produits ou objets mentionnés à l’article L. 4211-1 ne peuvent être dispensés à domicile […] que lorsque le patient est dans l’impossibilité de se déplacer, notamment en raison de son état de santé, de son âge ou de situations géographiques particulières. »
- Economie officinale : les pharmaciens obligés de rogner sur leur rémunération
- Grille des salaires pour les pharmacies d’officine
- Explosion des défaillances en Nouvelle-Aquitaine, Pays de la Loire et Occitanie
- La carte Vitale numérique, ce n’est pas pour tout suite
- [VIDÉO] Financiarisation de l’officine : « Le pharmacien doit rester maître de son exercice »
- Bon usage du médicament : le Leem sensibilise les patients âgés
- Prophylaxie pré-exposition au VIH : dis, quand reviendra-t-elle ?
- Indus, rémunération des interventions pharmaceutiques, fraudes… L’intérêt insoupçonné de l’ordonnance numérique
- Financement des officines : 4 solutions vertueuses… ou pas
- Prescriptions, consultations : les compétences des infirmiers sur le point de s’élargir