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Epiphénomène ou crise nationale ?

Publié le 1 février 2003
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Depuis lundi, la faculté de Châtenay-Malabry a fermé ses portes pour quinze jours. Une décision destinée à faire des économies de fonctionnement. La recherche pèserait lourd sur le budget. Coup médiatique et politique ou malaise des universités scientifiques ?

La banqueroute. L’université Paris-Sud-XI serait au bord de la faillite, faute de pouvoir payer ses factures d’eau et d’électricité. Le conseil d’administration a donc décidé de fermer tour à tour les sites de l’université, à commencer par la faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry. Le président de l’université, Xavier Chapuisat, qui estime son déficit à un million d’euros (pour un budget fonctionnement de 70 MEuro(s)), souligne que si l’université peut compter sur de nombreux partenaires extérieurs pour ses investissements en recherche, elle reste dépendante de l’Etat pour payer ses factures de fonctionnement, de maintenance du patrimoine immobilier ou d’entretien général du campus.

S’il s’agissait d’émouvoir les pouvoirs publics, c’est raté. Les fermetures tournantes, votées mi-décembre par le conseil d’administration, n’ont pas fait ciller le ministre de l’Education nationale. Il rétorque même qu’Orsay dégageait un excédent de 5 MEuro(s) à l’issue de l’exercice 2001 et qu’une rallonge de 1 MEuro(s) sur deux ans avait précédemment été attribuée à son fonctionnement, malgré une diminution des effectifs étudiants. Le ministre met en cause la gestion de l’université : elle aurait trop dépensé pour des opérations d’investissements. « L’autonomie des établissements implique en corollaire un pilotage, une évaluation et un contrôle rigoureux », lance-t-il a l’intention de la communauté universitaire. Alors, Paris-XI, cas isolé ou symptôme d’un mal profond des universités ?

Discours de la méthode.

« Fermer les portes ce n’est pas dans ma culture, lâche Alain Uziel, président de Montpellier-I. Toutes les universités ont des problèmes budgétaires. Notre dotation de fonctionnement de 6,8 MEuro(s) ne correspond qu’à 85 % de ce que l’Etat devrait nous donner. Evidemment, je souhaiterais plus de crédits, pour la maintenance, la sécurité des bâtiments, les conditions de travail des étudiants. Mais je ne me plains pas. » Même son de cloche à Lyon-I. « On a des difficultés à boucler les budgets mais on est très attentif à la gestion, quitte à faire des impasses sur certains investissements, explique le doyen de la faculté, François Locher. Nos projets pédagogiques sont à la mesure de ce qui nous est attribué. Heureusement, la taxe d’apprentissage nous permet de faire aboutir certains budgets. » Jean-François Robert, doyen de la faculté de Besançon et ex-président de l’université de Franche-Comté, reste pragmatique : « Le débat budgétaire est toujours le même en conseil d’administration. Il n’y a jamais assez d’argent, la dotation de l’Etat et le nombre d’enseignants sont toujours insuffisants. On craint de ne pas terminer l’année pour bien souvent s’apercevoir, en fin d’exercice, que l’on n’a pas tout dépensé. »

Si l’initiative d’Orsay est donc loin de faire l’unanimité, elle a le mérite de poser le problème du coût de la recherche à l’université. Car si les dépenses de fonctionnement d’Orsay explosent, c’est bien parce que le matériel de recherche nécessite d’énormes quantités d’électricité, d’eau, de chauffage, d’hélium, d’azote liquide…

Des millions en réserves.

La recherche est-elle si capitale qu’il faille faire grelotter les étudiants dans les amphis ou obliger une fac à fermer 15 jours ? « On ne peut pas opposer enseignement et recherche, s’emporte Hélène Guinaudeau, doyenne de la faculté d’Angers. Les deux vont de pair. Les enseignants sont aussi chercheurs et nos futurs docteurs es sciences ont besoin de moyens. Celle-ci fait aussi la renommée d’une université et permet des échanges internationaux indispensables. » « Si on veut un enseignement supérieur de qualité, il faut une recherche de qualité, affirme Jean-François Robert. Ce qui différencie l’université des IUT, c’est qu’avec des enseignants chercheurs l’enseignement s’adapte aux nouveautés de la recherche. » Pas question donc de toucher à la recherche. Luc Ferry a, lui, noté qu’il existait des réserves financières dans les universités, constituées sur plusieurs années souvent en vue d’acquérir des matériels coûteux. Or ces sommes sont disponibles… « Quelques millions d’euros par université, révèle Jean-François Robert. Dans lesquels les universités peuvent aussi piocher pour équilibrer un budget annuel »…

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A noter

L’herbe n’est pas toujours plus verte chez le voisin. Tony Blair vient ainsi de déclarer qu’il prévoyait de taxer les étudiants anglais, dont les frais d’inscription pourraient atteindre 3 000 £ (4 500 Euro(s)) par an, pour sauver de la faillite l’université britannique. Le gouvernement se refuse à recourir à l’impôt. Le ministre de l’Education a froidement estimé que la dette d’un étudiant entrant dans la vie active pourrait se monter à 31 500 Euro(s).

Les différents modes de financement

– La dotation de fonctionnement de l’Etat.

– Les droits d’inscription.

– Les crédits d’investissement dans le cadre de contrats quadriannuels avec l’Etat (lignes budgétaires spécifiques aux investissements, notamment en recherche).

– La taxe d’apprentissage.

– Les contrats « extérieurs », avec des collectivités territoriales, des organismes tels le CNRS, l’INSERM, l’INRA…, ou des entreprises privées.

A noter que seule la dotation de fonctionnement de l’Etat est a priori affectée aux charges courantes, les éventuels partenaires étant beaucoup plus enclins à participer à un investissement de recherche toujours plus prestigieux qu’une participation aux frais de fonctionnement !

Toulouse aussi ?

Le conseil d’administration de l’université Paul-Sabatier de Toulouse pourrait envisager une fermeture du campus lors de sa prochaine réunion qui se tiendra le 3 février. En cause, la dotation globale de fonctionnement (DGF) jugée « très inférieure aux besoins exprimés et réels de l’établissement ». Des besoins qui ne seraient couverts qu’à hauteur de 83 %, alors que la moyenne nationale se situe à 86 %. « Ceci place notre université parmi les plus sous-dotées de France. Ce niveau de DGF ne permettra pas aux étudiants d’avoir un enseignement conforme aux attentes du ministère », affirment les responsables de l’université.

Au total, il manquerait 900 000 euros pour rester à niveau.

Une négociation est engagée avec le ministère qui a dépêché sur place ses inspecteurs pour évaluer de plus près les besoins de l’université.

REACTION : GUY LEWIN

Professeur de pharmacognosie à Châtenay-Malabry : Ce qui me fait mal au coeur dans la fermeture de Châtenay, c’est le manque d’explications. Nous avons juste reçu un e-mail du président relayé par la doyenne annonçant la décision. Je pense que l’ordre a été donné sans concertation pour éviter la mise à jour de dissensions sur le bien-fondé de la fermeture.