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Guerre des prix et réactivité maximale

Publié le 3 mai 2003
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Dans un marché relativement paisible, c’est en effet Mary-Claude Montier qui a déclenché les hostilités, cassé les prix et entraîné des réactions en cascade sur l’agglomération tourangelle. Elle a bien sûr terrassé le rayon para de Carrefour mais aussi ceux de quelques-uns de ses confrères, ce qui explique une animosité certaine. La para représente aujourd’hui près de 20 % de son activité. Grâce au volume des ventes, la titulaire peut se permettre des prix attractifs. Mais selon elle, d’autres ingrédients expliquent ce succès : ouverture d’une caisse rapide hors ordonnances, mise en place du système de tickets d’appel pour réguler les clients, installation d’un meuble de produits soldés. D’autres projets sont dans les cartons avec la création éventuelle d’une mezzanine, ce qui permettrait de doubler la surface et peut-être d’installer des robots.

A Paris, Dominique Gabirault a dû faire face dans les années 90 à une parapharmacie indépendante, une chaîne de parapharmacie et une chaîne assimilée à la grande distribution. Le pharmacien a alors décidé d’appliquer les recettes de ses concurrents : des prix sur l’intégralité de la parapharmacie et, toute l’année, un merchandising soigné. « Il ne faut surtout pas changer de stratégie comme de chemise », confie-t-il. Pour baisser ses prix, le pharmacien n’a pas hésité à « exploser les volumes » en les multipliant par deux voire par six pour certains produits. « Notre avantage c’est notre capacité de réaction que n’ont pas les parapharmacies. Il faut s’adapter à leur politique de vente », dit-il. Troisième solution : monter des opérations en collaboration directe avec les laboratoires fournisseurs, « mais c’est à nous de proposer ces opérations, les labos ne viennent pas vous chercher ». Résultat : la parapharmacie indépendante a fermé ses portes après deux ans d’exploitation, la chaîne « n’a jamais fonctionné comme elle l’aurait souhaité ». Il reste la parapharmacie de la grande distribution contre laquelle il est plus difficile de lutter. Mais il continue d’appliquer ses recettes, ne relâche jamais son attention. « C’est une guerre d’usure », assure-t-il avec le sourire, et l’on sent bien que cela n’est pas pour lui déplaire…

Une question de vie ou de mort.

Cette guerre d’usure, Eric Larnouhet, ex-titulaire de la pharmacie Prado-Mermoz, à Marseille, l’a lui aussi expérimentée avec succès. « J’ai utilisé les armes des parapharmacies, plus mon diplôme », analyse-t-il. En 1987, la pharmacie qu’il achète dans les quartiers sud avec Pierre Renault fait un peu plus de 1 million d’euros, la quasi-totalité en vigneté. Quatorze ans plus tard, quand il vend, elle en affiche 9,15 MEuro(s), dont 40 % en médicament, et emploie 36 personnes. Réputée pour ses prix discount, elle a, avec la Pharmacie provençale, renvoyé les paras dans leurs buts et fait d’elles des « suiveurs ». A ses confrères qui le taxent de faire du commerce, Eric Larnouhet répond que vendre de la parapharmacie à prix cassé était pour lui « une question de vie ou de mort ». Après avoir fait passer « de manière traditionnelle » son CA de 1,22 à 1,8 MEuro(s) entre 1987 et 1992, Eric Larnouhet et son associé se sont trouvés confrontés à un espace parapharmacie Monoprix à 50 mètres. Six mois plus tard, ils avaient perdu 80 % du CA du rayon para, 7 à 8 % du CA total. Au départ, affirme-t-il, il souhaitait une réponse collective avec ses confrères… qui auraient décliné. Baze, puis Auchan Aubagne, Paraland… développent l’offre para sur la ville, l’ensemble des pharmaciens souffrent. Eric Larnouhet mènera son offensive en proposant les produits « au prix du marché, c’est-à-dire… moins cher ». Il avoue : « Je serais allé jusqu’au bout. Je voulais mourir debout. » L’agrandissement de son point de vente à 190 m2 lui permet d’élargir les gammes et d’agencer son officine différemment. Il améliore la signalétique intérieure, l’éclairage. En 18 mois, les associés récupèrent la clientèle perdue et changent l’image de l’officine qui devient un « espace santé et forme ». Eric Larnouhet et Pierre Renault ont gagné la guerre, stoppant la croissance des parapharmacies.

Depuis décembre 2001, à 47 ans, Eric Larnouhet a pris du recul en devenant consultant auprès de ses anciens confrères (et des laboratoires). Son leitmotiv : « En toute circonstance, il faut s’adapter au marché et réagir. »

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Toujours savoir ce qui se passe ailleurs.

Mais c’est bien Nîmes qui reste le symbole de la guerre des prix, restée larvée depuis six ans, même après la défaite en rase campagne des enseignes de para indépendantes (voir encadré p. 25). Là aussi, ce sont les « gros CA » qui mènent le jeu. A tel point que René Bramont, de la pharmacie de l’Horloge, la deuxième plus grosse officine nîmoise, « n’attache pas beaucoup d’importance » à la récente implantation d’un Parashop en galerie marchande du nouveau Géant. Idéalement située en plein coeur de ville, la pharmacie de l’Horloge emploie quarante personnes dont huit pharmaciens, trois esthéticiennes et réalise « plus de 50 % de chiffre d’affaires en parapharmacie ». A l’origine d’une guerre des prix engagée à Nîmes au milieu des années 90 pour répliquer aux ambitions de deux enseignes spécialisées et de trois grandes surfaces, il est décidé à ne rien changer de sa stratégie fondée sur la qualité de service et de l’accueil, la compétence et des prix discount.

Même son de cloche, ou presque, auprès de Christian Gerbaud, titulaire de la première officine de la ville (6,40 MEuro(s) de CA en juin 2002) : « L’implantation de Parashop n’est qu’une péripétie parmi d’autres, estime cet adhérent Giphar qui réalise près d’un tiers de son chiffre d’affaires en parapharmacie. Avec mes confrères nîmois, nous avons l’habitude de voir arriver ce type de magasin et je suis très serein : pharmacien, je ne fais pas le même métier qu’eux, et je continuerai à me battre comme je l’ai toujours fait, non pas contre la croix verte d’à côté, mais contre la grande distribution et contre les enseignes spécialisées. »

Contrairement à René Bramont, Christian Gerbaud, lui, observe les prix affichés par Parashop « car il est important de toujours savoir ce qu’il se passe ailleurs ». Pour lui, la recette de la lutte contre une enseigne spécialisée tient en trois points : « accueil, compétence, prix ». Ses 32 salariés, dont 9 pharmaciens, sont soumis aux impératifs du sourire permanent, de l’efficacité professionnelle et de douze heures quotidiennes d’ouverture (8 h/20 h) six jours sur sept. Et à une incessante remise à jour de leurs connaissances et pratiques, ce qui passe par « beaucoup de formations pour être toujours au top ». Et beaucoup de moyens. Le nerf de la guerre…

Michel Merlet, titulaire de la Pharmacie centrale à Orléans, a lui aussi voulu montrer « qu’on pouvait résister à la para pourvu qu’on en ait la volonté ». Ancien de la répartition, installé en 1981, il a connu « et subi » tous les bouleversements du marché avec l’installation à quelques pas de chez lui de VO, Sephora, Marionnaud sans oublier Parashop et des espaces para dans les hypermarchés. Avec son épouse titulaire d’une autre officine dans la galerie marchande Auchan d’Olivet, Michel Merlet a créé une force de frappe puissante. Tout en cultivant le goût du secret, il laisse deviner un CA proche de 2,5 MEuro(s), dont 42 % de para, affichant toute l’année en vitrine un grand calicot sur la vitrine : « Prix bas permanents sur la parapharmacie ».

Souvent traité de « commerçant » par ses confrères, il réplique bien volontiers : « Si on avait laissé le champ libre aux discounters, on serait morts aujourd’hui. La para permet de bien travailler, avec du personnel bien qualifié et bien payé. » Alors qu’il vient de vendre, la soixantaine passée, il estime que « pour une grosse officine la parapharmacie est un marché qu’on ne peut pas abandonner ».

Nîmes : Parashop se risque dans l’arène en outsider

Le 5 mars dernier, un Parashop a ouvert ses portes au sein d’un centre commercial Géant flambant neuf. « Pour l’instant, nous nous sommes alignés sur les prix discount pratiqués dans les grandes officines du centre-ville, indique Cécile Calmes, ex-adjointe à Montpellier, pharmacienne responsable de ce magasin de 170 m2. Mais nous espérons bien voir les prix remonter car notre stratégie, c’est plus le conseil et la qualité de service que des prix très bas. »

Le nouveau venu ne secoue pas plus que cela le milieu officinal nîmois, qui en a vu d’autres depuis les années 90. Tour à tour, au bout de douze à dix-huit mois, Euro Santé Beauté, Paraland, mais aussi Prisunic et Carrefour ont mordu la poussière. En pliant boutique pour les deux premiers, en revoyant leurs linéaires de parapharmacie très fortement à la baisse pour les deux autres. « Il n’y avait pas d’intérêt à rester dans une ville où le discount battait son plein », expliquait alors Alain Bartoli de Paraland.

Cette guerre des prix avait été lancée en guise de réplique par les deux plus grosses officines de la ville (voir p. 28), suivies par quelques autres ayant adhéré à des groupements ou en ayant créé d’informels. Alors, serait-on particulièrement téméraire à Parashop ? Coprésident nîmois du syndicat départemental des pharmaciens, Éric Garnier – comme beaucoup d’autres officinaux – inclinerait à le penser : « Pour l’instant, c’est tout nouveau, tout beau. Mais ici, la guerre des prix est tellement forte que je ne sais pas s’ils pourront tenir longtemps… »

F.C.

L’indispensable veille des prix

En matière de prix, la réactivité et la qualité de l’information sont fondamentales. D’où l’utilité des « observatoires » proposés par les répartiteurs ou certains groupements. Grâce au système d’information sur les prix mis en place par leur grossiste, Elisabeth et Frédéric Cazin, titulaires à Faches-Thumesnil (59), bénéficient ainsi deux fois l’an d’une étude de relevés de prix « fond de rayon » (hors promotion).

La première partie porte sur l’agglomération lilloise, hypermarchés (Auchan, Carrefour) et grandes surfaces spécialisées, la seconde sur les officines classées en trois catégories de chiffres d’affaires (inférieur à 91 500 Euro(s), de 91 500 Euro(s) à 1,22 MEuro(s), supérieur à 1,22 MEuro(s)). Cinquante quatre marques y sont citées avec plus ou moins de références. « Nous travaillons beaucoup avec cet outil qui permet d’adapter nos tarifs en portant une attention particulière sur les produits leaders pour lesquels nous faisons un effort supplémentaire. » J.-L.D.