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L’homéopathie vous fait-elle encore de l’effet ?

Publié le 18 mars 2023
Par Yves Rivoal
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Les remèdes homéopathiques ne sont plus remboursés en France depuis le 1er janvier 2021. Deux ans après et malgré l’animosité des débats de l’époque autour du sujet, les patients présentent-ils toujours autant de prescriptions de ces médicaments ? Et les pharmaciens, osent-ils encore conseiller l’homéopathie ?

 

« C’est bien simple, avant, je devais avoir une quarantaine d’ordonnances par mois. Aujourd’hui, je n’en ai plus qu’une. » Titulaire de la pharmacie du Trebon à Arles (Bouches-du-Rhône), Françoise Roux mesure dans son officine l’impact du déremboursement de l’homéopathie sur les prescriptions. « Deux des trois médecins homéopathes qui nous alimentaient en prescriptions sont partis à la retraite. Un seul a été remplacé, mais par un médecin allopathe. Et la dernière qui continue d’exercer est uniciste. Quand elle est en pleine forme, elle inscrit deux doses sur l’ordonnance, mais, la plupart du temps, il n’y a qu’une seule ligne », plaisante cette titulaire adhérente du groupement Giphar qui a placé l’homéopathie au cœur des expertises développées par son équipe.

Des prescriptions en baisse

 

Même constat à la pharmacie de la Laouve à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, dans le Var. « Actuellement, une dizaine de personnes continuent de prendre des traitements homéopathiques prescrits par leur médecin, contre une cinquantaine auparavant, résume Evelyne Stefan, cotitulaire avec Gilles Sauron de cette pharmacie Lafayette qui enregistre elle aussi une forte baisse des prescriptions. J’ai discuté avec une médecin homéopathe qui m’a confié avoir perdu 70 % de sa patientèle depuis le déremboursement. Lorsqu’il a fallu mettre la main à la poche, ses patients se sont tournés vers des médecins allopathes, ou ne consultent plus, et viennent directement à la pharmacie pour obtenir leur traitement homéopathique. »

 

Toutes les officines ne sont pas logées à la même enseigne. A Strasbourg (Bas-Rhin), Isidore Rubinstein, titulaire de la pharmacie du Pont de l’Europe, a, lui, été assez peu affecté par le déremboursement. « Nous constatons une légère baisse des prescriptions, reconnaît ce pharmacien qui a choisi d’adhérer au groupement Univers Pharmacie, expert en homéopathie qu’il enseigne à la faculté de pharmacie de Strasbourg. Mais à l’image de toutes les officines disposant d’un préparatoire en homéopathie, nous sommes plus ou moins retombés sur nos pieds. Même si les oncologues spécialisés en soins de support en cancérologie ont diminué le nombre de lignes sur leurs ordonnances, en éliminant les médicaments les moins fondamentaux, pour se concentrer sur la prise en charge des effets secondaires ou le drainage du foie comme des reins. » 

50 % de volumes en moins

 

« Sur les médicaments homéopathiques à non commun (HNC), qui étaient autrefois remboursés, nous avons perdu 50 % de nos volumes, confie Eric Lambert, secrétaire général de Boiron France, qui reconnaît toutefois que ce chiffre devait être pris avec précaution. « Un nombre croissant de patients ne se donnent même plus la peine de présenter l’ordonnance à leur pharmacien, puisque les médicaments homéopathiques ne sont plus remboursés. Et dans les officines, les équipes ont, elles, renoncé à coter les médicaments homéopathiques comme étant prescrits. »

 

Résultat : le marché s’est complètement inversé en deux ans. Les HNC, qui concentraient 75 % des ventes chez Boiron, ne représentent plus aujourd’hui que 25 % et l’automédication est, elle, passée de 25 à 75 %. Pour Isidore Rubinstein, ce report vers l’homéopathie de spécialités est l’une des conséquences du déremboursement. « Aujourd’hui, un jeune confrère qui n’est pas expert en homéopathie préfèrera orienter vers une spécialité pour le mal des voyages ou les allergies saisonnières, plutôt que de proposer un conseil unitaire classique, parce qu’il est plus facile de recommander une spécialité avec indication thérapeutique », note le pharmacien.

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Toujours conseillée et des clients fidèles

 

La croissance de l’homéopathie de spécialités semble en tout cas indiquer que les pharmaciens continuent de la proposer. « En ce qui me concerne, le déremboursement n’a rien changé à ma pratique, assure Anne Suissa, pharmacienne référente homéopathie de la pharmacie Apothical Cap 3000 à Saint-Laurent-du-Var (Alpes-maritimes), qui enseigne cette discipline au Centre de formation en homéopathie (CDFH). Je la considère toujours comme un outil à part entière de mon conseil au comptoir, notamment pour les femmes enceintes, les enfants, les nourrissons, les personnes âgées et polymédiquées. J’ai aussi recours à l’homéopathie en conseil de première intention pour des patients pour lesquels nous disposons de très peu de solutions pour les soulager efficacement. »

 

Dans l’officine d’Evelyne Stefan, l’équipe continue elle aussi de pratiquer comme avant. « Remboursée ou non, l’homéopathie garde toute sa place dans l’arsenal thérapeutique, assure la pharmacienne. Sous l’impulsion de l’une de mes préparatrices, qui a suivi des formations proposées par Boiron en gynécologie, en pédiatrie et en oncologie, et d’une conseillère “para” spécialisée en oncologie, nous avons même commencé à proposer aux patients atteints de cancers des entretiens sur rendez-vous afin de mieux prendre en charge les effets indésirables de leurs chimiothérapies, en mélangeant conseil en homéopathie et produits de parapharmacie. »

 

Côté patients, la donne ne semble pas avoir changé non plus. « Ceux qui avaient l’habitude de se soigner avec l’homéopathie lui sont restés fidèles. Et lorsque je la préconise, très peu de personnes se montre récalcitrantes, mais c’était déjà le cas avant qu’elle soit déremboursée, constate Anne Suissa. J’ai même le sentiment qu’elle est en phase avec les attentes des patients, de plus en plus demandeurs de naturalité. L’homéopathie s’inscrit donc pleinement, au côté de la phytothérapie, de l’aromathérapie ou de la micronutrition, dans les « packages » que nous sommes de plus en plus souvent amenés à formuler dans nos conseils. »

 

La baisse des prescriptions a toutefois déjà incité de nombreux pharmaciens à faire évoluer leur assortiment. « Nos stocks concernant les souches qui étaient majoritairement prescrites, et que l’on ne conseille pas spontanément, sont désormais moins importants, observe Evelyne Stefan. En revanche, nous mettons en avant, sur un présentoir, les nouveaux packs proposés par les laboratoires. Ils fonctionnent très bien, et contribuent à booster les ventes de spécialités. » Finalement le déremboursement ne s’est donc pas du tout fait ressentir sur son chiffre d’affaires (CA). Depuis le transfert de son officine, les ventes de spécialités ont progressé de 30 %. « Ce qui a permis de compenser la baisse des prescriptions, souligne la titulaire en reconnaissant que son officine n’est pas représentative du marché. Avec le transfert, notre CA global a enregistré une hausse de 25 %… »

 

Chez Isidore Rubinstein, l’impact a été plus que limité. « Grâce à notre préparatoire, nous avons conservé une grosse activité en homéopathie. Notre CA n’a donc pas été touché, constate-t-il. D’autant plus que le lendemain du déremboursement, les laboratoires ont pratiqué une première augmentation, puis une seconde en 2022. Le prix public des tubes de granulés est ainsi passé de 2,25 à 3 € en moyenne. »

Inquiétudes sur le long terme

 

Si l’impact du déremboursement semble pour l’instant mineur, les pharmaciens ne cachent pas leur préoccupation sur le long terme. « J’ai peur qu’avec la diminution des prescriptions, on perde en qualité de soins, d’écoute et de chance pour les patients, redoute Françoise Roux. Lorsque vous utilisez de moins en moins une thérapeutique, celle-ci finit par se dégrader. » Isidore Rubinstein se montre, lui aussi, plutôt pessimiste. « Le déremboursement et la polémique violente qui l’a précédée ont déjà déstabilisé nos pratiques, regrette le titulaire. Sur le long terme, je crains que les jeunes patients s’éloignent petit à petit de cette médecine douce parce qu’elle sera de moins en moins prescrite. Et dans l’esprit des gens, un médicament qui n’est plus remboursé ne sert à rien… Sur le fond, comme sur la forme, cette décision a donc beaucoup de mal à passer. » « Elle a d’autant plus de mal à passer que l’objectif initial, qui était de réaliser des économies, n’a probablement pas été atteint, ajoute Evelyne Stefan. L’homéopathie représentait une goutte d’eau dans l’enveloppe des remboursements. Or, beaucoup de patients se sont tournés vers la médecine allopathique remboursée, avec des traitements qui coûtent beaucoup plus cher… Je ne suis donc pas certaine que sur ce plan-là aussi, le déremboursement ait été une réussite », estime la pharmacienne.

     

À retenir 

Après son déremboursement, les volumes de ventes en homéopathie ont diminué. Mais compte tenu des hausses de prix, l’impact sur le chiffre d’affaires est modéré.

Les patients habitués à l’homéopathie lui sont restés fidèles.

Les pharmaciens ont adapté leur offre, en réduisant les stocks de souches homéopathiques et en privilégiant les spécialités avec indication thérapeutique.