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La grille n’a plus la cote
Si la grille des salaires vient d’être revalorisée de 2,2 %, les préparateurs dénoncent la faiblesse de leurs rémunérations. Si la pénurie actuelle joue en leur faveur, ce sont surtout les jeunes diplômés qui osent négocier à la hausse leurs salaires.
Une augmentation de la grille ne veut pas dire pour autant que tous les préparateurs en pharmacie vont voir leur pouvoir d’achat augmenter. Depuis le 1er juillet 2003, les salaires dits minima des préparateurs en pharmacie et des apprentis ont augmenté de 2,2 %. 1134 € pour un coefficient 100 (salaire mensuel brut pour 35 heures hebdomadaires), 1 213,27 € pour un coefficient 230 et 1 582,52 € pour un coefficient 300… Les employeurs ne sont bien évidemment pas tenus de répercuter cette augmentation sur les rémunérations qui sont supérieures aux minima. « 80 % de la branche est en réalité déjà au-dessus le grille », souligne Jean-Pierre Lamothe, vice-président et président de la commission « Relations sociales » de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). La FSPF précise avoir mené une enquête de laquelle il ressort que les salaires sont supérieurs à ceux de la grille. Mais elle ne tient pas à révéler les chiffres de son analyse : salaires supérieurs de 1, 10, 20 ou 50 % ? Il est donc difficile d’avoir une vision exacte des salaires des préparateurs en pharmacie. « Le gros problème, c’est effectivement de connaître les salaires réels de la profession. Nous aurons bientôt des réponses avec l’enquête lancée par la Commission paritaire nationale pour l’emploi », précise Dominique Drouet, chargée du secteur « santé privée » à la CFDT. La Commission paritaire nationale pour l’emploi (CPNE) a lancé une grande enquête prospective sur les équipes officinales. Les résultats de cette étude devraient être disponibles en 2005. Quoi qu’il en soit, votre journal Porphyre a déjà enquêté à plusieurs reprises auprès des collaborateurs de l’officine (voir encadré). Avec moins de 1 300 euros brut mensuels pour plus de la moitié d’entre vous, vous êtes loin d’être satisfaits de vos rémunérations.
Insatisfaction généralisée chez les préparateurs
« J’ai 42 ans, je travaille depuis huit ans comme préparateur dans une pharmacie du sud de l’île de la Réunion. Aujourd’hui, je gagne environ 1 320 € net, déplore Antoine. J’ai l’impression de faire le travail d’un assistant, je suis en permanence au comptoir et je contrôle les ordonnances des apprentis. » Antoine envisage de changer de profession, mais étant insulaire, le choix vers d’autres branches s’avère difficile. Nadine, préparatrice dans l’Yonne, est également très déçue par les salaires qu’on lui propose. « J’ai eu mon BP en 1987, je suis actuellement au coefficient 300. Après m’être arrêtée pendant un an, je suis à la recherche d’un poste. Mais on ne me propose que 1 150 € net, sans prime, sans rien d’autre. Personne ne veut reprendre mon ancienneté. Je vais changer d’orientation professionnelle en raison du salaire, même si j’aime ce métier », témoigne-t-elle. Certains jeunes préparateurs s’en sortent apparemment mieux, ce qui ne les empêche pas d’être critiques. Ainsi Michaël, diplômé en 1999 et âgé de 26 ans, gagne 1 980 € net. Mais Michaël s’est expatrié sur l’île de Mayotte. « Je vais bientôt rentrer en métropole pour des raisons personnelles, et j’envisage de m’orienter vers l’industrie pharmaceutique pour maintenir mon niveau de salaire », précise-t-il. Thierry, diplômé en 2001 et âgé de 28 ans, travaille quant à lui dans une clinique privée à Saint-Denis. Il est satisfait de sa situation, avec un salaire net de 1 550 € sur treize mois et une prime annuelle de 450 €. « Beaucoup de mes amis sont loin d’être dans une situation aussi confortable, ils sont très mal payés avec de surcroît une mauvaise ambiance au travail. Certains titulaires ne nous paient pas à notre juste valeur car ils nous considèrent comme de simples vendeurs », analyse-t-il. Cependant, les jeunes préparateurs, et notamment les hommes, négocient actuellement des salaires d’embauche au-dessus de la grille, notamment en région parisienne. « À Paris, un jeune préparateur peut gagner entre 1 300 et 1 400 € net. Le problème, c’est qu’à 40 ans il gagnera aussi 1 400 € net et qu’il partira en retraite avec, au mieux, un salaire de 1 700 € net, explique Jean-Marie Fonteneau formateur et syndiqué à la CGT. Certains gagnent plus, mais ceux-là, peu nombreux, font beaucoup d’heures supplémentaires ou ont d’autres responsabilités à l’officine. » Dominique Drouet, de la CFDT, fait aussi remarquer que le recours aux temps partiels fausse l’analyse des salaires du préparateur à l’officine : « Le secteur de l’officine est fortement féminisé, avec des temps partiels imposés et non choisis. »
À quand une refonte totale de la grille ?
Dans ce contexte, la grille des salaires apparaît presque comme une provocation pour les préparateurs en pharmacie. Et ils sont nombreux à réclamer une hausse substantielle des salaires conventionnels. « Quant on regarde la grille des salaires, c’est vraiment une honte ! Les préparateurs sont payés à peine 80 € brut de plus qu’une femme de ménage », dénonce Thierry. « Une revalorisation de la grille d’au moins 20 % serait bienvenue », estime de son côté Antoine. Ces salaires conventionnels sont d’autant plus critiqués que la convention collective des collaborateurs de l’officine offre peu d’avantages par rapport au Code du travail, pas de treizième mois ni de prime de prévus. « Nous souhaitons une refonte totale de la grille, avec une valeur du point qui soit enfin raisonnable. Le coefficient 400 pour les pharmaciens devrait au moins correspondre au plafond de la Sécurité sociale, avec une déclinaison de tous les autres coefficients », estime Jean-Marie Fonteneau. Le plafond de la Sécurité sociale a été fixé à 2 432 € mensuels en 2003. En cas d’arrêt maladie, de congé maternité par exemple, les indemnités sont calculées à hauteur du plafond de la Sécurité sociale. La CFDT, qui plaide également pour un coefficient 400 au moins égal au plafond, demande également une augmentation de 5 % de la grille des salaires.
2,2 % d’augmentation, à prendre ou à laisser…
Mais la négociation entre les organisations syndicales représentatives des salariés et celles des pharmaciens, qui a eu lieu le 7 juillet dernier, n’a obtenu que 2,2 %. Le syndicat Force ouvrière a été le seul à signer l’accord proposé par la FSPF et l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF). « Ce que l’on ne signe pas, on ne le rattrape jamais. 2,2 %, c’est à prendre ou à laisser », estime Patrick Le Métayer, responsable de la branche officine pour FO. Patrick le Métayer souligne que FO et la CFTC avaient précédemment négocié pour janvier 2003 une augmentation de 5 % de la grille. « Nous avons maintenant un taux horaire de 7,48 € au coefficient 100 pour 35 heures, alors que le SMIC est à 7,19 €. Nous sommes une des rares branches qui ont pris en compte l’augmentation du SMIC 35 heures », plaide le responsable de FO. Patrick Le Métayer rappelle que des avenants conventionnels ont été négociés avec les fédérations patronales : salaires maintenus pendant les congés paternité, chèques-vacances… « Nous apportons le minimum conventionnel. Il revient aux salariés de négocier leurs salaires. Mais tout ce que nous pouvons dire, c’est à salaire minimum, travail minimum », ajoute Patrick Le Métayer. Pour Dominique Drouet, la devise est plutôt à travail égal, salaire égal. « Nous souhaitons une proximité salariale avec les rémunérations des préparateurs à l’hôpital. Nous ne prétendons pas à l’égalité, les charges n’étant pas les mêmes. Mais les écarts constatés vont de 300 à 500 €, voire plus, c’est tout à fait anormal », déplore-t-elle.
Les jeunes quittent l’officine en raison des bas salaires
« Si les employeurs ne veulent pas de pénurie, alors il faudra qu’ils rémunèrent leurs collaborateurs plus sérieusement », souligne Dominique Drouet. « Après l’obtention de leur BP, 40 % des jeunes quittent la branche dans les deux ans en raison des salaires trop bas », ajoute de son côté Patrick Le Métayer. La profession de préparateur est effectivement une profession à courte durée de vie. Lorsque l’on interroge les préparateurs de l’officine encore en exercice, beaucoup envisagent de se réorienter. Pour les pharmaciens, la fuite des préparateurs ne s’explique pas pour autant par la faiblesse des salaires. « La pénurie des préparateurs tient à une multitude de facteurs. Avec l’embellie économique de 1998-2001, il y a eu énormément de créations d’emplois. Notre branche s’est donc trouvée en compétition avec d’autres branches d’activité », explique Jean-Pierre Lamothe. Le vice-président de la FSPF rappelle que le taux de chômage de la branche officine est actuellement inférieur à 3 %, ce qui correspond à une situation de sous-emploi. Pour Claude Japhet, président de l’UNPF, la pénurie des préparateurs correspond au « mal de la santé », secteur qui voit diminuer ses effectifs médicaux et paramédicaux. « Nous devons faire face à un déficit chronique de jeunes, estime-t-il. À partir du moment où les possibilités d’accès à la formation BP ont été réduites, le nombre de jeunes candidats pour ce métier a été tari à la source. »
Les titulaires estiment ne pas pouvoir payer plus
Les syndicats de pharmaciens tiennent tout d’abord à rappeler qu’il existe une grande différence entre la grille des salaires et les salaires réellement pratiqués sur le terrain. « Nous sommes arrivés à un niveau de revenus corrects pour les salaires réels, il y a eu un rattrapage considérable ces dernières années. Nous ne pouvons donner de rémunérations supérieures à celles que l’officine peut actuellement se permettre. Il faudrait que nous ayons des marges plus importantes pour augmenter nos collaborateurs, ce qui n’est pas d’actualité », déplore Jean-Pierre Lamothe. Et le responsable de la FSPF de souligner que la branche est réellement aux 35 heures, ce qui est selon lui loin d’être le cas dans d’autres secteurs d’activités. Pour Claude Japhet, la rémunération doit aussi rester fonction de la capacité d’un collaborateur à s’adapter, à se développer et à faire valoir ses compétences. Et d’ajouter : « Les pharmaciens se sont adaptés à toutes les tâches, y compris aux tâches administratives. Ce n’est pas toujours le cas pour les préparateurs. Nous sommes dans un monde économique compétitif, certains salariés doivent se différencier des autres. Les jeunes qui sortent des écoles n’ont pas de grandes compétences techniques, ce qui n’incite pas les titulaires à leur faire confiance et à leur donner des responsabilités. » Pour le président de l’UNPGF, il faudrait également revoir le positionnement de cette profession : « La responsabilité du préparateur est limitée et elle sera de plus en plus limitée. Il y a là un vrai souci car nous risquons d’avoir du personnel pas assez qualifié ou trop qualifié au regard de ce qu’ils peuvent faire en officine. Il faudrait redéfinir la profession en fonction des attentes des pharmaciens. ».
Quid des attentes des préparateurs ? Si ceux-ci ne se bougent pas, l’avenir risque fort de leur échapper, qu’il s’agisse de l’évolution de leurs salaires ou de leur rôle au sein de l’officine.
Tous nos remerciements à Bruno Bader, titulaire de la pharmacie où a été réalisé le reportage photographique (Paris), ainsi qu’à l’ensemble des ses collaborateurs.
Content« Il faut négocier, oser demander plus, l’audace paie »
« Pour 35 heures par semaine, mon salaire est supérieur au coefficient 400 des pharmaciens assistants et je touche parfois des primes d’intéressement. J’ai eu mon BP en 2001, j’ai 26 ans, je travaille en région parisienne dans la même officine depuis six ans, c’est-à-dire depuis le début de ma formation. J’envisage un jour de changer de métier, mais pas en raison de mon salaire, que je trouve satisfaisant. J’espère un jour monter ma propre entreprise. J’entends souvent parler de la grille des salaires, mais cette grille a été faite pour assurer un minimum, chacun peut négocier. Il faut oser demander plus, l’audace paie. Le salaire pour un préparateur en Ile-de-France doit être au minimum de 1300 € net par mois ! Il est temps de créer un comité de préparateurs avec à sa tête des personnes qui bougent, qui peuvent représenter l’avenir de la profession. À nous de montrer que nous ne sommes pas diplômés pour rien, et que notre niveau de compétence sera un jour à la hauteur de celui des pharmaciens et non du rayonniste de base. Car préparateur ne suffira plus, il faudra aussi se spécialiser. »
Christophe, 26 ans (Val-de-Marne) Préparateur
Pas content« Nous ne sommes remerciés que par des poignées de mains »
« En 1975, je gagnais 10 000 F par mois (1 524 €), en 2003, je gagne 12 000 F (1 829 €) par mois. J’ai 55 ans, je travaille depuis l’âge de 15 ans. Nous, préparateurs, nous ne sommes remerciés que par des poignées de mains, nous sommes pieds et mains liés à la volonté du titulaire. Peu d’entre nous bénéficient d’un treizième mois ou de primes. Je suis au coefficient 300, et le titulaire me dit que je n’ai pas à me plaindre puisque j’ai une rémunération supérieure à celle de la grille. Les conditions de travail sont difficiles, les employeurs ne respectent pas la médecine du travail. Nous sommes toujours debout, nous piétinons, et nous portons de lourds colis. Je suis le seul homme dans l’officine, s’il y a quelque chose de pénible à faire, c’est à moi qu’on le demande. Je suis en arrêt maladie en raison d’une sciatalgie et d’un tassement des vertèbres. Je ne touche que les indemnités journalières de la Sécurité sociale. Si je suis licencié, je ne pense pas retrouver du travail à 55 ans. Les employeurs préfèrent des jeunes, moins payés et plus malléables. C’est un métier que j’ai exercé par passion, mais je suis amer aujourd’hui. »
Jean-Philippe, 55 ans (Essonne) Préparateur
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