- Accueil ›
- Préparateurs ›
- Métier ›
- L’officine à la traîne
L’officine à la traîne
Moins de 5 % des 20 000 signalements annuels auprès des Centres régionaux de pharmacovigilance sont le fait des officinaux. Méconnaissance du dispositif, manque de temps, Porphyre a mené l’enquête.
« Le peu d’intérêt des officinaux pour la pharmacovigilance est dramatique. Beaucoup trop de confrères sont commerçants, ils ont oublié que nous sommes des professionnels de la santé et du médicament », déplore Jean-Luc Puyfaucher, titulaire d’une pharmacie aux Lilas, en région parisienne. Jean-Luc Puyfaucher fait une ou deux déclarations par an. Il a sensibilisé ses collaborateurs, pharmaciens adjoints et préparateurs, à ce qu’il considère comme une nécessité au regard de la sécurité d’emploi des médicaments. « Il est important d’avoir au comptoir du personnel qualifié, et non des vendeurs qui ne se rendront pas compte d’un problème », continue-t-il. Jean Larmarche, titulaire d’une pharmacie parisienne dans le VIIe arrondissement, est également l’un des rares officinaux à participer au système de pharmacovigilance. « Même si cela me semble fondamental, je ne blâme pas mes confrères de ne pas faire de déclaration. Avec la systématisation du tiers payant, nous n’y arrivons plus. Le métier est devenu trop difficile, nous sommes tous submergés par la paperasserie », explique Jean Lamarche. Une déclaration de pharmacovigilance prend au moins une bonne demi-heure, le temps de remplir la fiche Cerfa. Les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV), chargés de recueillir et d’analyser les signalements, peuvent aussi rappeler le professionnel qui a fait la déclaration pour avoir des informations complémentaires. Dominique Guérin, titulaire d’une pharmacie rurale à Champtoce-sur-Loire dans le Maine-et-Loire, a fait plusieurs déclarations : une allergie à l’ibuprofène chez un enfant, une réaction inattendue avec le vaccin contre l’hépatite B… « En général, je remplis la fiche Cerfa avec le patient, puis je lui communique les informations retournées par le centre, dit-elle. Si nous sommes surchargés de travail, je prends rendez-vous avec la personne dans les jours suivants ».
Une sous-déclaration importante.
Mais ces pharmacies sont en réalité exemplaires car la pharmacovigilance est loin d’être une préoccupation dans les officines. « Le problème actuel du système, c’est la sous-déclaration puisque seulement 5 % des effets indésirables graves ou inattendus sont déclarés. Je ne suis pas certaine que tous les professionnels de santé connaissent l’existence des centres régionaux de pharmacovigilance et savent qu’ils ont obligation de déclarer », estime Catherine Noblet, du CRPV de Rouen. Les déclarations des officinaux sont rares, de 1 % à 5 % environ des signalements selon les centres. Et il est difficile de dire si ces déclarations sont faites par des pharmaciens ou des préparateurs, puisque les centres ne demandent pas la qualification du professionnel déclarant. « Nous passons vraisemblablement à côté d’un certain nombre de choses. Les officinaux pourraient pourtant apporter beaucoup pour les médicaments délivrés sans ordonnance », note le responsable du centre de Tours. D’après les derniers chiffres de l’Afssaps (agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) , qui centralise les déclarations des CRPV, environ 20 000 notifications en provenance des 31 centres régionaux sont effectuées chaque année en France. Il faut rajouter à cela les 10 000 signalements qui sont faits directement auprès des laboratoires pharmaceutiques. « Environ 8 % de ces déclarations ont été effectués par des pharmacies, qui sont pour moitié d’entre elles des pharmacies hospitalières et pour l’autre moitié des officines. Mais la déclaration n’est obligatoire pour les pharmaciens que depuis 1995, et elle a bien progressé jusqu’aujourd’hui », précise Carmen Kreft-Jaïs, responsable de l’unité de pharmacovigilance de l’Afssaps. La majorité des déclarations de pharmacovigilance provient en fait des établissements hospitaliers et des médecins spécialistes. Les médecins généralistes ne sont pas non plus très sensibilisés à la pharmacovigilance puisque seulement 10 % des déclarations sont de leur fait.
Le rôle des préparateurs.
« Il me semble important que les préparateurs en pharmacie soient informés du fonctionnement de la pharmacovigilance. Leur participation effective, même si elle n’est pas obligatoire au sens de la loi, est souhaitée et prévue par les textes réglementaires », souligne Jean-Pierre Blayac, responsable du CRPV de Montpellier. Les professionnels de santé, comme les infirmières, les kinésithérapeutes ou les préparateurs en pharmacie, n’ont pas cette obligation légale de déclarer un effet indésirable grave ou inattendu. Mais le Code de la Santé publique précise que « Tout membre d’une profession de santé en ayant fait la constatation peut également en informer le Centre Régional de Pharmacovigilance. » (Art R. 5144). « La part des déclarations provenant de professionnels de santé, hors prescripteurs et pharmaciens, est de 3 %, et ce toutes professions confondues, ajoute Carmen Kreft-Jaïs.. Pour Hervé Le Louet, responsable du CRPV de l’hôpital Henri Mondor de Créteil, la pharmacovigilance est cependant bien l’affaire de tous les professionnels de santé. Un médicament peut en effet se révéler dangereux, c’est le rapport bénéfice/risque qui est évalué en permanence par la pharmacovigilance. Et de préciser : « La méthodologie retenue pour mettre en évidence l’efficacité d’un médicament va à l’encontre de la méthodologie nécessaire pour mettre en évidence sa toxicité. Lors des essais cliniques, les effectifs sont réduits et la population n’est pas représentative de la population générale. » Une fois sur le marché, le médicament sera employé chez une multitude de patients très différents (état pathologique, prise d’autres médicaments, âge, etc.). Des effets indésirables non mis en évidence lors des essais cliniques peuvent surgir à tout instant. Les notifications spontanées d’effets indésirables médicamenteux graves ou inattendus sont nécessaires pour identifier de nouveaux risques, et prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité d’emploi des médicaments après leur mise sur le marché.
Les CRPV interlocuteurs des professionnels de santé.
Les 31 centres régionaux de pharmacovigilance sont les premiers interlocuteurs des professionnels de santé. Ils ont une double vocation : centre de surveillance des effets indésirables médicamenteux mais aussi centre de renseignement sur le médicament. Ce sont en général de petites structures, implantées au sein des CHU, et dans lesquels travaillent en moyenne deux personnes ou plus. Ils sont le plus souvent dirigés par un médecin. Leur secteur d’intervention s’étend sur plusieurs départements. Les déclarations peuvent se faire par téléphone, par mail, ou mieux encore, au moyen d’une fiche Cerfa. Les CRPV recueillent et enregistrent les notifications, documentent les notifications, valident les données, évaluent le lien de causalité entre le(s) médicament(s) et l’apparition des effets indésirables, font la saisie informatique des dossiers, transmettent les observations à l’Afssaps. Ces observations sont informatisées dans le respect de l’anonymat du patient et du notificateur dans la banque nationale de pharmacovigilance à l’Afssaps. Toutes les notifications de pharmacovigilance sont centralisées au niveau de l’Afssaps, chargée d’assurer la mise en œuvre du système national de pharmacovigilance. Le comité technique réunit tous les mois les responsables des centres. « Nous faisons part des cas les plus graves ou du signalement répété de cas similaires et une enquête est éventuellement déclenchée », explique Marie-Josèphe Jean-Pastor, responsable du centre de pharmacovigilance de Marseille. Des alertes peuvent aussi être déclenchées par d’autres pays et relayées par l’Agence européenne du médicament. Chaque année, une centaine d’enquêtes de pharmacovigilance est menée sur le territoire français. « En cas d’alerte sur un produit, nous informons les officinaux en utilisant le circuit des grossistes mais aussi des lettres ciblées », précise Carmen Kreft-Jaïs. Pour les internautes, l’Afssaps dispose également d’un site Internet et d’une liste de diffusion (http://agmed.sante.gouv.fr/). Les enquêtes peuvent déboucher sur des retraits de produits, des modifications d’AMM (nouvelles contre-indications, modification de la posologie, nouvelles mises en garde ou précautions d’emploi, changement de liste, modification de l’information sur les effets indésirables…) et d’informations des professionnels de santé (modification du Résumé des Caractéristiques du Produit, lettres aux prescripteurs, communiqués de presse, etc.). Les retraits de produits sont toutefois rares. En 2002, deux médicaments ont été retirés du marché en raison de leurs effets indésirables : la fluorescéine 20 %, responsable de réactions d’hypersensibilité, et le produit de phytothérapie kawa, hépatotoxique. Le dernier produit retiré du marché en 2003 est le médicament de phytothérapie Pylosuril, en raison de signalements de cas graves d’atteintes rénales et de coma liés à son utilisation excessive (rôle de l’excipient).
La mission de renseignement des CRPV.
Si la pharmacovigilance permet de surveiller au plus près les effets indésirables, elle a aussi une autre vocation : une mission de renseignement qui gagnerait à être connue ! Une question sur un médicament chez une femme allaitante ou enceinte, sur des interactions médicamenteuses… Le préparateur ou le pharmacien ne doit pas hésiter à saisir son téléphone. Et Paul Laurent, pharmacien à Marseille de témoigner : « j’avais sous les yeux une prescription hospitalière d’un hypnotique, un comprimé de Mogadon trois fois par jour. Ca m’a interloqué. Comme nous ne pouvons contacter le médecin prescripteur, nous avons appelé le centre de pharmacovigilance qui a enquêté pour nous. En fait, l’ordonnance était adéquate. Il s’agissait d’un cas grave d’épilepsie et nous avons pu délivrer en toute tranquillité. »
La pharmacovigilance en bref
Un véritable réseau en France
Un réseau de 31 centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) enregistrent les signalements des professionnels de santé. La Commission nationale de pharmacovigilance siège auprès de l’Afssaps.
La surveillance des effets indésirables
La pharmacovigilance a pour mission de recueillir et d’évaluer les informations sur les effets indésirables des médicaments, de donner un avis sur les mesures à prendre et de proposer des enquêtes utiles à l’exercice de la pharmacovigilance. Après exploitation des informations recueillies, le directeur général de l’Afssaps prend, le cas échéant, les mesures appropriées pour assurer la sécurité d’emploi des médicaments. Cette surveillance peut conduire à une modification dans l’utilisation du médicament : restriction d’utilisation, mise en garde particulière ou retrait si le risque apparaît supérieur au bénéfice apporté.
Le renseignement
Les centres de pharmacovigilance sont aussi des centres de renseignements sur le médicament pour les professionnels (effets indésirables, risques médicamenteux, interactions médicamenteuses…).
Les laboratoires ont leur propre dispositif de pharmacovigilance
Les laboratoires pharmaceutiques sont tenus par la loi d’assurer une pharmacovigilance sur leurs produits. De plus, l’industrie pharmaceutique mène des essais cliniques post-AMM dits de phase IV, sur de grandes cohortes de patients. Enfin, leurs réseaux de visiteurs médicaux permettent de remonter les observations du terrain. « Nous ne refusons aucune information, y compris celles qui nous viennent des patients. Nous enregistrons environ 6 000 signalements par an en France sur nos produits », précise Eugène Rothschild, responsable du département pharmacovigilance, qui compte 35 personnes, au sein des laboratoires Aventis. L’industrie pharmaceutique dispose de sa propre base de données mondiales sur les effets secondaires, mais les laboratoires sont dans l’obligation d’informer les autorités de santé en cas de problème sur un de leurs produits.
En pratiqueLa déclaration des effets indésirables
Qui doit déclarer ?
Doivent déclarer (obligation légale) les pharmaciens, médecins, dentistes et sages-femmes. Sont invités à déclarer les autres professionnels de santé.
Que déclarer ?
Les effets indésirables susceptibles d’être dûs à des médicaments, spécialités pharmaceutiques, préparations magistrales, produits officinaux, sérums et vaccins, produits radio pharmaceutiques, médicaments homéopathiques, insecticides et acaricides à usage humain, contraceptifs, gaz médicaux, médicaments dérivés du sang, produits en autorisation temporaire d’utilisation (ATU).
Quel type d’effets indésirables ?
• Les effets graves même s’ils sont connus : provoquant ou prolongeant une hospitalisation, entraînant une invalidité ou une incapacité, mettant en jeu le pronostic vital ou entraînant le décès.
• Les effets inattendus : non répertoriés dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) ou les ouvrages de références (Dictionnaire Vidal).
Comment déclarer ?
La déclaration se fait auprès d’un centre régional de pharmacovigilance (CRPV) par téléphone, par mail, par courrier (papier libre ou au moyen d’une fiche CERFA disponible auprès des centres régionaux de pharmacovigilance sur demande). Les CRPV recommandent de donner des informations sur le patient (sexe, âge, antécédents, terrain…), sur le traitement (posologie, date du début, indications…), ainsi qu’une description la plus complète de l’événement (nature de celui-ci, date de survenue, gravité, évolution…).
- Formation à la vaccination : pas de DPC pour les préparateurs en 2025
- [VIDÉO] De la grossesse à la naissance : un accompagnement en officine personnalisé proposé par Amandine Greco, préparatrice
- [VIDÉO] Accompagnement post-natal en officine : les papas aussi !
- Entretiens pharmaceutiques en oncologie : tous concernés !
- Océane vient d’être diagnostiquée narcoleptique
![Pharmaciens et IA : l’ère du professionnel augmenté](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2025/02/iStock-2160652611-680x320.jpg)
![Maladie de Charcot : le Parlement vote une amélioration de la prise en charge](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2025/02/istockphoto-1463851735-612x612-1-612x320.jpg)
![Médicament contre la douleur : une alternative aux opioïdes](https://www.lemoniteurdespharmacies.fr/wp-content/uploads/2025/02/iStock-977724346-680x320.jpg)