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Comment soigner la corticophobie

Publié le 25 mars 2023
Par Caroline Guignot
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Répandue parmi les patients, mais aussi les professionnels de santé, la crainte des corticoïdes topiques est contre-productive car elle conduit à un usage inadapté et à un risque majoré d’effets secondaires. L’information et l’éducation thérapeutique constituent les meilleurs outils pour améliorer l’efficacité de ces traitements.

 

Anti-inflammatoires, antiprolifératifs, immunosuppresseurs, cytotoxiques : les dermocorticoïdes constituent la pierre angulaire du traitement de nombreuses maladies dermatologiques, notamment des dermatoses inflammatoires – dermatite atopique, eczéma allergique, psoriasis, prurigo nodulaire, dyshidrose, lichen plan et des dermatoses rares (dont la pemphigoïde bulleuse est la plus connue). Pourtant, ces médicaments sont souvent décriés pour leurs effets secondaires. Qui existent, certes, mais qui restent relativement rares, et le plus souvent transitoires, lorsqu’ils sont utilisés selon les bonnes pratiques en vigueur. « La corticophobie résulte surtout d’une mauvaise information, et se traduit par un mauvais usage, insiste la Pre Manuelle Viguier, vice-présidente du groupe de recherche sur l’eczéma atopique (Great) de la Société française de dermatologie. Et de façon étonnante, la dermocorticophobie est plus répandue que la corticophobie, y compris chez les médecins et les pharmaciens. » Pourtant, même dans les indications rares impliquant le recours prolongé à des doses élevées de dermocorticoïdes puissants, comme dans la pemphigoïde bulleuse, la fréquence des effets secondaires est bien moindre que celle observée sous corticothérapie orale prolongée.

 

La dermocorticophobie est telle qu’un score (le Topicop, pour Topical Corticosteroid Phobia) a été scientifiquement validé pour évaluer les croyances, craintes et comportements la concernant dans la population. Afin de les combattre, l’éducation thérapeutique des patients (ou de leurs parents pour les indications pédiatriques), mais aussi l’information des professionnels de santé constituent le meilleur levier d’action pour favoriser le bon usage, l’efficacité et la tolérance de cette classe thérapeutique.

Rappels des bonnes pratiques de prescription et d’utilisation

 

Encore insuffisamment appliquées, les recommandations de bon usage de ces topiques datent de 2005 : les dermocorticoïdes s’utilisent à raison d’une application unique par jour, le soir. « La recommandation la plus appropriée est celle de l’application d’une couche à la manière d’une “tartine de Nutella”, ni trop épaisse ni trop fine, précise la Pre Anne-Claire Bursztejn, du service de dermatologie et d’allergologie du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy (Meurthe-et-Moselle). Elle doit être suffisante pour cacher la rougeur de la lésion sur toute sa surface. Elle doit pénétrer en une quinzaine de minutes, sans massage, uniquement nécessaire pour finaliser la pénétration ».

 

La puissance du dermocorticoïde est adaptée à la pathologie, à l’âge du patient et à la zone du corps : ceux de classe 4 sont réservés à un usage temporaire sur les zones lichénifiées, les paumes et les plantes de pied, et pour certaines pathologies rares et sévères. On évite ceux de classe 3 ou 4 pour les enfants et les zones du visage. La galénique est choisie en fonction de la zone à traiter : pommade (toutes les régions sauf les zones pileuses, le visage ou les plis), crème (toutes sauf les zones pileuses), lotion (cuir chevelu et plis) ou mousse (toutes les régions du corps). Des pansements peuvent être employés ensuite en cas de lésions suintantes, et une occlusion a son utilité pour les peaux lichénifiées. Enfin, des pansements humides sont parfois préconisés transitoirement pour les dermatites atopiques associées à un fort prurit.

 

Lorsque les dermocorticoïdes sont utilisés en quantité suffisante, les lésions guérissent en un à trois jours pour les lésions les plus légères et jusqu’à sept à dix jours pour les plus sévères. L’arrêt immédiat est recommandé. La dégressivité du rythme d’application en fin de traitement n’a plus lieu d’être, car lorsqu’on fait un usage correct du topique, les doses sont déjà naturellement moindres à ce stade. Et les effets rebonds sont en réalité peu fréquents. « Les dermocorticoïdes sont parfois utilisés en traitement d’entretien des eczémas récidivants à raison de deux jours par semaine : ce rythme diminue la fréquence et augmente l’intervalle entre les poussées tout en limitant la dose cumulée », ajoute Anne-Claire Bursztejn.

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En cas de récidive inflammatoire des lésions de psoriasis ou de dermatite atopique, une nouvelle application doit être la plus précoce possible : « A l’image d’un traitement antalgique, l’inflammation sera d’autant plus facilement jugulée que le traitement sera précoce », remarque-t-elle. Et si la récidive survient à plusieurs reprises dès l’arrêt du traitement, il est préconisé de consulter son médecin pour réévaluer le diagnostic ou pour adapter le traitement. « Des lésions qui récidivent systématiquement à l’arrêt d’un traitement bien conduit, des applications massives et prolongées de dermocorticoïdes imposent de revoir la prescription et d’envisager le passage à un traitement systémique, insiste Manuelle Viguier. Ils sont efficaces et leur tolérance est bien connue ».

Craintes réelles et croyances erronées

 

« L’une des autres raisons pour lesquelles la dermocorticophobie existe est sans doute liée au fait que les effets indésirables systémiques rapportés sur les résumés des caractéristiques du produit sont équivalents pour les formes topiques et systémiques : troubles de l’équilibre glycémique, risque d’hypertension artérielle, de glaucome, d’ostéoporose… », poursuit Anne-Claire Bursztejn. Ce risque dépend de multiples facteurs : âge du patient, localisation, étendue et nature de la lésion, durée, dose, puissance et forme galénique du traitement. Mais, en pratique, « ces complications sont rares chez les utilisateurs de formes topiques », martèle Manuelle Viguier. Elles concernent généralement des jeunes enfants atteints de dermatoses inflammatoires sévères, des personnes de phototype foncé détournant l’utilisation des corticoïdes pour une dépigmentation volontaire et des patients atteints de pemphigoïde bulleuse qui ont besoin de fortes doses.

 

Une autre explication reposerait sur les risques cutanés : atrophie cutanée et vergetures. Bien que réelles, ces complications sont en réalité maîtrisées lorsque les corticoïdes sont administrés selon les bonnes pratiques précédemment édictées. « Elles surviennent quand le principe actif s’accumule dans la couche cornée de la peau, qui agit alors comme un réservoir, poursuit la spécialiste. Cela arrive lorsque le dermocorticoïde est appliqué plusieurs fois par jour. Ou encore si, par précaution, les patients appliquent des doses trop faibles : elles sont inefficaces, ce qui les conduit à utiliser le traitement sur des durées plus prolongées. La plupart du temps, ce mésusage conduit à une dose cumulée totale plus élevée ». Les âges extrêmes de la vie (enfants, personnes âgées) sont toutefois plus vulnérables et imposent de suivre les bonnes pratiques le plus scrupuleusement possible. Aussi, on préfère parfois un traitement oral chez les sujets âgés qui présentent une dermatoporose (peau fine et fragile qui s’érode).

 

Qu’en est-il des risques de dépigmentation ? « Cette propriété est convoitée par des personnes ayant un phototype foncé et recherchant un blanchiment de la peau avec un usage prolongé de dermocorticoïdes de puissance 4, mais elle est exceptionnelle en cas de bon usage », souligne Manuelle Viguier. « Les patients pensent à tort que les corticoïdes sont photosensibilisants, cependant il n’y a pas de contre-indication à l’exposition au soleil. D’ailleurs, ils sont employés pour leur effet immunosuppresseur dans le traitement du vitiligo. Aux patients qui souffrent d’une dermatite ou d’un psoriasis, il est intéressant de préciser qu’après guérison les lésions peuvent présenter une dyschromie transitoire par rapport à la peau saine environnante, sans lien avec le traitement par corticoïdes ». Reste l’hypertrichose, un effet secondaire des dermocorticoïdes forts qui peut être rencontré par les sujets ayant un phototype foncé et celles d’origine méditerranéenne, mais qui est peu fréquent et limité au temps du traitement.

 

In fine, l’automédication doit être restreinte car les dermocorticoïdes aggravent les dermatoses, comme l’acné ou la rosacée, ou les infections cutanées (herpès, impétigo, mycose, varicelle, gale, etc.), que les patients pourraient considérer à tort comme une manifestation inflammatoire.