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Le contrôle en question

Publié le 1 mars 2005
Par François Cusset
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Et si le préparateur délivrait sans contrôle d’un pharmacien ?

En pratique officinale courante, le « contrôle effectif », prévu par le Code de la santé publique depuis bientôt 30 ans, est plus ou moins systématique aujourd’hui.

Et sujet à interprétations diverses…

On ne peut pas avoir un pharmacien derrière nous en permanence, c’est impensable et impossible. Si j’ai un doute sur une ordonnance, je n’hésite pas à en parler à un pharmacien ou à une autre préparatrice. Et c’est comme ça que cela fonctionne, je crois, dans la plupart des officines actuellement. » À 33 ans, brevet professionnel décroché en 1991, Lætitia Blancheton a déjà seize années de métier et trois officines derrière elle. Actuellement préparatrice dans une pharmacie parisienne, elle y partage le comptoir avec les autres membres de l’équipe : le titulaire, deux pharmaciens adjoints et trois autres préparatrices. Pour elle, comme effectivement beaucoup de préparateurs en France aujourd’hui, le contrôle par un pharmacien des médicaments qu’elle délivre se résume à la possibilité d’interroger un pharmacien en cas d’incertitude. De la lettre à l’esprit de l’article L. 4241-1 du Code de la santé publique en vigueur depuis 1977, il y a un pas, celui des réalités de la pratique officinale, qu’ont franchi beaucoup de pharmaciens titulaires aujourd’hui. Pas tous, car certains, de plus en plus rares, appliquent très rigoureusement le « contrôle effectif » prévu par la loi. « Chez moi, les deux préparatrices montrent toujours l’ordonnance et les médicaments à l’un des cinq pharmaciens avant de passer à la délivrance, assure un titulaire montpelliérain sous couvert d’anonymat. Car je ne cherche pas à être cité en exemple pour exercer mon métier comme il doit l’être, me semble-t-il. En tout cas, comme je le conçois et l’exerce depuis trente ans. » La réalité de cette pratique du contrôle au quotidien ne souffre guère l’ombre d’un doute : cette officine est connue des pharmaciens inspecteurs de la DRASS pour être l’une des rares de Montpellier où le contrôle effectif est scrupuleusement pratiqué. « Nous ne sommes pas psychorigides sur le contrôle effectif, un contrôle systématique n’étant pas réellement applicable, ni toujours nécessaire, estime Gérard Latcher, pharmacien inspecteur régional à la DRASS du Languedoc-Roussillon. Ce qui nous importe, c’est la présence d’un pharmacien dans l’officine, proche du préparateur qui délivre. En fait, le réel problème dans certaines officines est celui de la délivrance de médicaments par des gens non diplômés. Pas celui de l’absence de contrôle systématique des délivrances par préparateur. En inspection, quand nous voyons un préparateur au comptoir et un pharmacien à l’écart, nous interrogeons simplement pour savoir comment peut s’effectuer un contrôle par un pharmacien. Mais nous ne saisissons pas l’Ordre. » Pierrette Melé, son homologue à la DRASS de Provence-Alpes-Côte d’Azur, confirme : « Le contrôle effectif, cela veut dire la vérification des médicaments remis par le préparateur. Mais, dans la pratique, cela peut être de travailler côte à côte, pharmacien et préparateur, pour pouvoir se consulter. »

Lecture restrictive et usages professionnels

Fin 2003, lors d’une importante vague d’inspections (lire encadré) après un coup de sang de Jean-François Mattei, alors ministre de la Santé, qui avait personnellement constaté l’absence de pharmacien dans plusieurs officines parisiennes, quelques pharmaciens inspecteurs s’étaient montrés très zélés. Jusqu’à relever l’infraction de non-contrôle effectif de délivrance par préparateur alors qu’ils étaient en train d’interroger le titulaire et seul pharmacien des officines concernées ! Ces incidents avaient suscité un vif émoi dans le monde officinal : « Purement scandaleux ! La lecture restrictive du Code de la santé publique fait fi des usages de la profession », s’était notamment offusqué Jean-Pierre Lamothe, vice-président de la FSPF, le plus important syndicat de pharmaciens. Ils ont aussi donné lieu, à tort, à des approches différentes voire contradictoires de ce contrôle effectif qui perdurent dans le monde officinal. « Le contrôle effectif, cela veut dire avoir à proximité du préparateur un pharmacien qui peut être sollicité en cas d’interrogation », tranche Jean-Jacques Des Moutis, président du conseil régional d’Île-de-France de l’ordre des pharmaciens. De son côté, Claude Japhet, président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF), lance : « Le préparateur est là pour le médicament. Je plaide même pour qu’il puisse délivrer hors de l’officine en maison de retraite ou à domicile avec validation préalable d’un pharmacien. Très provocateur, je dirais que si on lit les textes comme certains les interprètent au ministère, à quoi sert le préparateur à l’officine ? En tout cas, si c’est juste pour sortir des boîtes d’un rayon et tarifer, il n’y a pas besoin de préparateurs à l’officine. »

Et si le Code de la santé publique évoluait ?

Avant 1977 et l’introduction du contrôle effectif, la question ne se posait pas : les préparateurs n’étaient même pas légalement autorisés à délivrer des médicaments. Depuis, leur formation initiale et leur rôle à l’officine ont changé, de plus en plus tournés vers le médicament. De là à envisager une évolution des prérogatives du préparateur instituant la délivrance sans contrôle, il y a un gouffre dans lequel le ministère de la Santé, l’ordre des pharmaciens et la plupart des syndicats de pharmaciens et de préparateurs ne semblent pas disposés ou prêts à se précipiter. À l’exception de la fédération nationale de la pharmacie FO, comme l’explique Patrick Le Métayer, préparateur, secrétaire fédéral de la branche officine : « Nous avons engagé la réflexion de longue date et c’est une revendication depuis plusieurs années pour être en phase avec la réalité du terrain. » De son côté, la CFDT n’a pas arrêté de position : « nous réfléchissons à la suppression du contrôle effectif des préparateurs depuis un moment, avance Michel Le Diréach, préparateur, élu CFDT au sein de plusieurs instances professionnelles. Mais il faut poser la problématique à froid, parce que c’est une vraie question. Le préparateur est un professionnel du médicament à part entière et nous demandons surtout qu’il n’y ait plus au comptoir que des professionnels du médicament pour délivrer des médicaments. » La CGT, qui refuse d’entrer dans le débat du contrôle effectif, pointe également du doigt les dérives au comptoir :« Plus que cette notion de préparateur sous contrôle effectif d’un pharmacien, les dérives constatées nous semblent graves : la quasi-totalité des élèves préparateurs délivre des médicaments, la majorité sans aucun contrôle, surtout en deuxième année, témoignent anonymement un préparateur et enseignant en CFA. Et, ce qui nous semble plus préjudiciable pour la santé publique, la majorité des élèves bac pro commerce et même des élèves de BEP sanitaire et social. Que dire de la délivrance par des vendeuses, des esthéticiennes ou des conjoints de titulaire… ? »

Délivrances illégales par des vendeuses ou élèves

Son de cloche peu dissonant émis par Roger Halegouet (CGC), préparateur enseignant et nouveau président de la Commission paritaire nationale de l’emploi, qui dénonce : « Je veux bien que l’on restreigne la délivrance sous contrôle effectif, mais il faudrait commencer par contrôler et sortir du comptoir tous ceux qui délivrent du médicament dans l’illégalité. Nouvelle dérive : le rectorat de Nice vient d’accorder une dérogation pour délivrance aux élèves de BEP carrières sanitaires et sociales en stage en pharmacie ! »

Pour Danièle Paoli, présidente de la commission d’exercice professionnel au sein de la FSPF, il n’y pas lieu de revenir sur le contrôle effectif prescrit par le Code de la santé publique. « Le contrôle effectif est un garde-fou, une garantie de délivrance de qualité. Le supprimer serait prendre le risque d’ouvrir une brèche dans laquelle s’engouffreraient les grandes surfaces, soutient-elle. Nous avons un monopole qu’il faut continuer de défendre. Il faut que les patients sachent qu’en entrant dans une officine, ils sont sécurisés. Le responsable du médicament à l’officine, c’est le pharmacien et il doit seul le rester. Cela ne remet pas en cause les qualités et compétences professionnelles des préparateurs. »

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Côté Conseil national de l’ordre des pharmaciens, « il n’y a pas d’ouverture envisagée sur ce sujet », se contente d’indiquer Isabelle Adenot, présidente du conseil central A (pharmaciens titulaires), qui estime le Code de la santé publique « précis et clair ». Préparatrice dans une officine de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine), Aurélie Goncalves ne partage pas vraiment cet avis : « Si le pharmacien devait revérifier chaque ordonnance que nous délivrons, à quoi servirions-nous ? Les automates, de plus en plus répandus, sortent les médicaments. Les pharmacies disposant d’un automate n’auraient donc plus besoin d’un préparateur ? Parce que si le préparateur n’est là que pour les préparations… Ou si c’est juste pour le tiers payant, je n’aurais pas eu besoin de faire un BP après mon bac sciences médicosociales ! » De nombreux pharmaciens partagent cet avis. Lors d’un sondage réalisé en mai 2004 auprès de 558 pharmaciens adjoints via le site internet du Moniteur des Pharmacies (encadré page 15), ils sont 58 % d’accord à ce que les préparateurs délivrent sans contrôle.

Le contrôle, une garantie pour la délivrance

Et pourtant le contrôle effectif peut avoir son intérêt. Préparatrice depuis près de trente ans, Florence a délivré un patch anesthésique Emla au lieu d’un patch contraceptif Evra. Sans le contrôle effectif de l’un des deux cotitulaires de l’officine, ni du pharmacien adjoint ou de l’une des quatre autres préparatrices de l’équipe. Il n’y a pas eu plainte de la cliente auprès de la juridiction civile ou pénale. La préparatrice a reconnu son erreur auprès de son employeur qui l’a aussitôt licenciée, cet accident survenant dans un climat conflictuel. « J’ai été mise à la rue du jour au lendemain. Depuis, j’ai été dépressive. J’en ai été malade de penser qu’une jeune femme aurait pu être enceinte à cause de mon erreur. » Au point, selon elle, de « n’avoir pas été assez forte pour réagir » et poursuivre son employeur pour obtenir de la justice prud’homale l’indemnisation d’un licenciement abusif. Car, en l’espèce, l’attitude de ce titulaire contrevient non seulement à cette disposition de contrôle effectif prévue par le Code de la santé publique, mais aussi aux usages en vigueur dans la profession. Pour Jean-Jacques Des Moutis, aucun doute : « Dans ce genre de cas, le pharmacien doit être responsable. » C’est aussi l’avis de tous les syndicalistes préparateurs et pharmaciens consultés à ce sujet, le contrôle effectif par un pharmacien ayant pour principal objet de limiter le risque d’erreurs de délivrance. Pharmacien titulaire à Domont (Val-d’Oise), Jacques Lamarre synthétise : « Ce serait vraiment démentiel de vérifier toutes les ordonnances. Alors, en cas d’erreur, j’assume les bêtises de tous mes collaborateurs. Car personne n’est à l’abri d’une erreur, pas plus un préparateur qu’un pharmacien. » Facilitées par l’informatique et l’usage de plus en plus répandu de logiciels relevant les contre-indications, les démarches qualité mises en œuvre dans certaines officines visent entre autres à garantir les délivrances. À Freneuse (Yvelines), la Pharmacie Principale des cotitulaires Jean-Jacques Des Moutis et Nathalie Besoin est certifiée ISO 9001 (version 2000) depuis juin dernier. Ils emploient quatre pharmaciens adjoints, cinq préparateurs, un responsable dermocosmétique, trois rayonnistes, deux administratifs, deux apprentis préparateurs et une femme de ménage. Une pharmacienne responsable qualité y a en charge une veille réglementaire qui permet à l’ensemble de l’équipe d’être informé chaque semaine des nouveautés ou des changements d’AMM. Au comptoir, un premier contrôle de délivrance sous assistance informatique s’effectue en portant sur la facture subrogatoire le nombre de produits délivrés et la signature de la personne qui les a délivrés. « En cas de problème constaté, précise Jean-Jacques Des Moutis, le système impose un double contrôle par l’intervention d’un pharmacien qui contresigne. Voilà un ensemble de procédures qui sécurisent au mieux la délivrance de l’ordonnance. »

zoom

Une inspection tous les dix ans

Y a-t-il un pharmacien dans l’officine ? Poser la question, c’est chercher à répondre à la première condition nécessaire et indispensable à un « contrôle effectif » par un pharmacien de la délivrance de médicaments par un préparateur. Les consignes ministérielles récemment données aux pharmaciens inspecteurs des DRASS vont dans ce sens : le contrôle effectif, au sens strict, c’est-à-dire réel et systématique, n’est pas exigible aujourd’hui. Les deux premières phrases et l’esprit de la circulaire de février 2003 – ayant entraîné la « vérification de l’exercice personnel pharmaceutique et des conditions de délivrance des médicaments » dans 1 715 officines – sont très clairs à cet égard : « L’attention du ministre de la Santé a été appelée sur les conditions de délivrance des médicaments dans les pharmacies. Il apparaît en effet que certaines officines seraient ouvertes au public sans qu’aucun pharmacien ne soit présent, et que les médicaments seraient délivrés par du personnel non qualifié. »

La vague d’inspection de fin 2003 visait essentiellement à vérifier le respect des dispositions légales « relatives à l’exercice personnel du pharmacien et aux prérogatives des préparateurs excluant la légitimité de toute délivrance de médicaments par du personnel non qualifié ». Pas la réalité d’un contrôle permanent des délivrances par un préparateur. Bilan des infractions constatées : sur 1 715 officines inspectées, 52 cas (3 %) d’absence de pharmacien ont été relevés, 318 (18,5 %) de nombre insuffisant de pharmaciens adjoints (18,5 %) et 47 (2,7 %) de délivrance par personnel non qualifié, ni pharmacien ni préparateur. Les conseils régionaux de l’ordre des pharmaciens ont été saisis de 66 plaintes et 32 dossiers ont été transmis à un procureur de la République. Ces affaires sont encore en cours. « Au ministère, confie un pharmacien inspecteur, les principaux enseignements tirés de cette série d’inspections sont que leur périodicité est insuffisante (une tous les dix ans en moyenne) et les sanctions pas assez dissuasives. »

repères

Ce que dit le Code de la santé publique

Article L. 4241-1 : « Les préparateurs en pharmacie sont seuls autorisés à seconder le titulaire de l’officine et les pharmaciens qui l’assistent dans la préparation et la délivrance au public des médicaments destinés à la médecine humaine et à la médecine vétérinaire. Ils assument leurs tâches sous la responsabilité et le contrôle effectif d’un pharmacien. Leur responsabilité pénale demeure engagée. »

Article L. 4241-2 : « Tout pharmacien est autorisé à se faire aider dans son officine par un ou plusieurs préparateurs en pharmacie. »

Article L. 4241-3 : « Les préparateurs en pharmacie ne peuvent, en aucun cas, se substituer à la personne du pharmacien quant aux prérogatives attachées au diplôme de pharmacien et quant à la propriété des officines. »

Responsabilités

La responsabilité pénale du préparateur peut être recherchée pour des infractions à des textes de loi correspondant à des faits plus graves que de simples fautes relevant de la responsabilité civile.

La responsabilité professionnelle ne concerne à l’officine que les pharmaciens, titulaires ou adjoints, responsables des dommages causés à des tiers et liés à l’activité officinale ou à l’exploitation de l’officine.

La responsabilité civile incombe aux seuls pharmaciens titulaires, responsables du fait de leurs collaborateurs.

Les préparateurs ont donné leur avis sur

Il est normal que les ordonnances que nous délivrons soient vérifiées. Dans l’officine où je travaille, le contrôle des ordonnances n’est pas un manque de confiance – les pharmaciennes contrôlent les ordonnances que j’ai délivrées et je vérifie les leurs – c’est que l’erreur peut arriver à tout le monde, préparateur, pharmacien adjoint ou pharmacien titulaire. L’essentiel, c’est que le patient ait le traitement prescrit. Si une erreur est constatée, on appelle notre client afin de rectifier l’erreur sans pour autant en faire toute une histoire.

Un préparateur (06)

L’erreur est possible pour tout le monde. Je pense que rien ne remplace l’expérience et surtout nous devons tous – préparateurs et pharmaciens – nous méfier de l’habitude ou de la routine. En période d’épidémie, par exemple, quand on délivre pratiquement toute la journée des ordonnances similaires, il peut arriver que notre attention se relâche et la faute peut arriver. Le meilleur moyen d’éviter cela est de vraiment lire la prescription de haut en bas avant toute sortie de médicament et ne pas hésiter à demander de l’aide en cas de doute. Dans mon officine, les ordonnances sont systématiquement contrôlées lors de la préparation du tiers payant par la titulaire ou l’assistante.

Nathalie Fauguet, préparatrice (97)

Je suis seule avec ma patronne et je ne trouve pas que vérifier chacune l’ordonnance que sort l’autre soit possible. Il nous arrive de passer l’une derrière l’autre au comptoir et de « jeter un coup d’œil » à l’ordonnance, mais je ne nous imagine pas demander : « Fais-moi voir si tu as sorti les bons médicaments ! » Je vérifie les médicaments en les sortant, en les scannant pour tarifer et en les mettant dans le sac. Une erreur est toujours possible, mais est-ce possible de faire vérifier chaque ordonnance par son patron ? Ne faut-il pas s’appliquer et se faire confiance ?

Aurélie Goncalves, préparatrice (92)