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les nouveaux collègues
L’automatisation des officines françaises est engagée depuis douze ans et s’accélère. Au bénéfice de la clientèle, mais aussi de l’équipe officinale.
Tout changement fait peur. Et quand ce changement prend le visage de l’automatisation, l’équipe officinale n’est pas toujours enthousiaste… « Quand les titulaires ont commencé à nous parler de l’automate, je me suis dit que la machine serait là pour nous remplacer », se souvient Marie Portal, préparatrice à la Pharmacie d’Ambrussum, à Lunel (Hérault). Mais, en quelques semaines, cette crainte s’estompera concrètement avec le recrutement d’une troisième préparatrice. Autant dire que, contrairement à une idée reçue, les automates ne sont pas des concurrents. En pariant sur la robotisation, les pharmaciens désirent avant tout un meilleur confort de travail au bénéfice de la satisfaction de leur clientèle et, à terme, de leur fidélisation.
85 % des références stockées. Cotitulaire de la Pharmacie d’Ambrussum, Cyril Lefèvre est un fou de technologie, persuadé de l’intérêt des robots. Mais son associé Christophe Didillon ne s’est pas tout de suite montré sur la même longueur d’onde. « Au début, je n’étais pas intéressé, reconnaît-il, non seulement parce que je n’en voyais pas l’utilité pour une pharmacie moyenne comme la nôtre, mais surtout pour des raisons financières… Et puis, à force d’en discuter, je me suis rendu compte que l’investissement, sur cinq ans, était gérable, et que l’automatisation, alors que la clientèle augmentait, apparaissait comme un moyen de mieux la servir. »
Les deux cotitulaires s’accordent alors pour investir 65 000 euros dans l’installation d’un automate Movetec proposé par le fabricant italien Tecnilab. Une armoire de 3 mètres de long et de 2,70 mètres de hauteur trône depuis un an à l’arrière de l’officine. « C’est une machine à 1 200 canaux de rangement qui contient plus de 900 références, se félicite Cyril Lefèvre. Elle nous permet de traiter 85 % de notre stock : les produits délivrés plus de deux fois par mois, hormis les grands conditionnements, les boîtes rondes et ce qui doit aller au frigo. » Toute l’équipe a été formée à son maniement en une seule matinée .
Apprendre à piloter. Ici, comme dans la plupart des officines équipées d’un automate ou d’un robot, l’approvisionnement de l’automate n’est pas réservé à un membre de l’équipe en particulier. « Tout le monde s’en occupe, en fonction de la disponibilité des uns et des autres, indique Blandine Lambert, préparatrice. C’est vraiment simple et rapide à intégrer. » Sa collègue Valérie Haro précise : « Le chargement de l’automate ne prend vraiment pas beaucoup de temps : trois fois un quart d’heure par jour en moyenne, le matin, en début d’après-midi et en fin de journée. Sauf le vendredi, jour d’arrivée de grosses commandes, où cela nous mobilise une bonne partie de la matinée. » Pistolet laser en main, il suffit de braquer celui-ci sur le code-barre de la boîte à ranger. Une diode s’allume alors pour identifier le canal d’automate où il faut disposer le produit. Quant à l’éventualité d’une panne, elle semble rare et relativement gérable. Autrement dit, l’équipe arrive toujours à servir manuellement, en attendant l’intervention du fabricant.
« L’automate, c’est comme une voiture de course. Il faut apprendre à le piloter pour ne pas tomber dans le fossé », explique Philippe Levy, consultant en automatisation. Selon lui, le décodage de la modernisation ne pose pas de problèmes particuliers. « En revanche, l’équipe doit être informée de ses tenants et aboutissants », insiste-t-il. « Nous avions pris les devants en expliquant bien que nous n’automatisions pas pour licencier quelqu’un, souligne Cyril Lefèvre. Au contraire, nous avons créé un cinquième poste de délivrance. Sans automate, ce poste aurait été trop éloigné de la zone de stockage. »
Gain de temps. À la Pharmacie d’Ambrussum, le bilan de l’automatisation est positif. « Nous bénéficions d’un gain de temps énorme qui permet d’en accorder beaucoup plus à la clientèle au comptoir, ce qui n’a pas de prix », assure Cyril Lefèvre. Conséquence : des clients mieux conseillés, une progression de 15 % du chiffre d’affaires et moins de vols grâce à une présence permanente au comptoir.
Installé à Marseille (Pharmacie de Château Sec), François Layet a travaillé pendant treize ans à l’OCP et considère l’automatisation comme une évidence, même dans les officines de taille modeste comme la sienne (une adjointe et deux préparatrices).« En ce qui nous concerne, l’investissement sera amorti en cinq ans. » Tour à tour, le titulaire et les deux préparatrices se relaient pour passer une heure par jour – en temps cumulé – au sous-sol de l’officine où est installé un automate Apotéka Apo 2 relié à un pneumatique. « Les médicaments arrivent au comptoir en moins de 30 secondes pour plus de dix mètres de pneumatique, précise François Layet. Au cours de mes cinq premiers mois d’installation, avant l’automate, j’avais perdu 8 kilos à force de descendre et de remonter de la cave pour y chercher des médicaments ! »
Régine Ivry, son adjointe, est également conquise par l’automate. « C’est beaucoup moins fatigant pour les jambes. Je suis devenue une inconditionnelle ! »
Retour au comptoir. Adjointe à la Pharmacie d’Ambrussum, Élodie Lefèvre ne partageait pas l’engouement de son titulaire de mari pour les nouvelles technologies. « Mais, aujourd’hui, je ne reviendrais pas en arrière. Avec un automate, c’est une autre façon de travailler, apprécie-t-elle. Au lieu de tourner les talons pour aller chercher les médicaments et d’abandonner le client au comptoir, on reste avec lui. On lui consacre beaucoup plus de temps. Ce qui permet de mieux commenter l’ordonnance, d’être plus à l’écoute, de faire plus de conseil associé. »
Cette plus grande présence au comptoir, encore faut-il savoir l’utiliser à bon escient. « Rester avec le client au comptoir, c’est une habitude à prendre qui n’est pas évidente au début, question de tempérament et de confiance en soi. J’avoue que j’appréhendais cette situation. En pratique, cela implique un vrai sens des relations humaines. On donne plus de soi mais la satisfaction des clients est aussi plus grande », confie Marie Portal, qui, comme beaucoup de ses collègues préparateurs, passait auparavant beaucoup de temps dans l’arrière-boutique, parfois plus qu’au contact de la clientèle. À Avignon, la Pharmacie Grégoire est également équipée depuis début 2003 d’un automate Tecnilab composé de quatre modules Movetec. Capacité totale de traitement : 2 000 références et 20 000 boîtes acheminées de la cave au comptoir en 5 à 6 secondes. Du coup, Élodie Nouveau, préparatrice, « trouve très intéressant et agréable d’avoir plus de temps pour parler avec les clients ». Et Éric Fromental, son titulaire, d’ajouter : « Si le chargement et l’utilisation de l’automate sont à la portée de tous, je regrette de ne pas avoir prévu une formation à la relation avec le client, maintenant que nous passons plus de temps en face-à-face. »
Réapprendre à écouter le client. Ces nouveaux comportements au comptoir impliquent une professionnalisation encore plus marquée de la délivrance. Pour le moment, seul le fabricant ARX propose une formation gratuite à la gestion du temps au comptoir dans le cadre de l’installation d’un automate. De son côté, le cabinet d’études et de conseils en automatisation d’officine Néo Pharma en a fait l’une de ses spécialités. Son fondateur et patron, Philippe Lévy, a réalisé une étude sur les 654 officines françaises automatisées à fin 2004. Principal enseignement : la nécessité pour les équipes officinales d’apprendre ou de réapprendre à écouter la clientèle, à conseiller et à vendre. « Les médecins ont de plus en plus de difficultés à assurer leur mission relationnelle et le rôle d’écoute des équipes officinales est donc appelé à se renforcer, soutient-il. L’automatisation est un outil qui permet de retrouver un espace et du temps pour cette écoute. Gagner du face-à-face, c’est bien, mais gérer efficacement le temps gagné, c’est mieux. » Parmi ses formations spécifiques, Néo Pharma propose un module d’une ou deux journées pour les managers (titulaires, adjoints ou responsables d’équipe) dédié à la conduite du changement des méthodes de travail. Un autre est plus particulièrement destiné à former les collaborateurs de l’officine aux techniques d’accueil et de gestion de la relation client : redéfinition des modes de communication, identification des différents types de clients et de leurs attentes, différentes étapes d’un entretien… « Finalement, l’automate est un collègue qui apporte une meilleure qualité de délivrance et qui peut même donner l’occasion d’évoluer, à partir du moment où l’on a bien fait connaissance avec lui et avec ses répercussions », assure le spécialiste, qui cite l’exemple de rayonnistes devenus responsables de la logistique arrière.
Valorisation du métier. Qu’en pensent les syndicats ? Pour Michel Le Diréach, préparateur, chargé de mission formation au sein de la CFDT des services de santé et services sociaux, « plus on dialogue au comptoir, plus se pose le niveau de formation des personnels : il faut armer les salariés de l’officine pour qu’ils ne se trouvent pas en situation de disqualification face à la clientèle ». Secrétaire fédéral de la branche officine de Force ouvrière, Patrick Le Métayer confirme : « Il n’est pas question pour FO d’aller contre le progrès. Par contre, il ne faut que des gens qualifiés et bien formés au comptoir, exclusivement des pharmaciens et des préparateurs. » Et si l’automatisation valorisait les métiers de l’officine ? Céline Tuso, préparatrice dans l’une des plus grandes pharmacies niçoises (déjà automatisée à son arrivée), en est persuadée : « disposer de plus de temps pour commenter l’ordonnance, donner des conseils associés, voir les médicaments arriver directement au comptoir, tout cela donne une image moderne et de qualité à notre métier, analyse-t-elle. Finalement, nous sommes des automates au comptoir quand il n’y a pas d’automate. Grâce à lui, nous redevenons plus humains. »
repères
Environ 3 % des officines sont aujourd’hui automatisées en France. D’après une étude sur le marché de l’automatisation réalisée par Néo Pharma, 654 officines étaient en effet équipées d’un automate ou d’un robot fin 2004. Depuis, au moins 150 autres installations auraient été réalisées.
L’automatisation d’une officine consiste à assurer la délivrance des médicaments au moyen d’un automate ou d’un robot grâce à un tapis transporteur, un pneumatique, un toboggan ou à un ascenseur.
Un automate est doté de systèmes à canaux (goulots de rangement) et d’éjecteurs multiples (pneumatiques ou électroaimants).
Cette technologie est plutôt destinée à distribuer des produits à forte rotation.
Un robot est doté d’un bras qui agrippe les boîtes stockées à plat.
Un combiné est un couplage des deux systèmes, automate et robot.
Robomate est une appellation déposée par un fabricant pour des appareils dotés d’un bras robot qui vient chercher les médicaments dans des systèmes à canaux.
Une association d’utilisateurs
Titulaire d’une officine à Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence) et premier pharmacien automatisé de France en 1993, Yves Comte a créé l’Association des utilisateurs de robots et d’automates pharmaceutiques (AURA) en 1999. Si le but principal de l’AURA est toujours de fournir informations et conseils à des confrères désirant passer le cap de l’automatisation, Yves Comte avoue « ne plus avoir le temps de se déplacer dans toutes les pharmacies pour étudier le dossier en détail ». Les conseils sont aujourd’hui dispensés par courriel. « Les systèmes sont de plus en plus performants et les automates intéressent de plus en plus de monde, observe Yves Comte, car, depuis 1993, les prix ont été divisés par six ! Sur le plan économique pur, l’automate n’apporte pas forcément un plus à l’officine. Par contre, pour la qualité de relation avec la clientèle, c’est un instrument précieux : il permet d’accorder quatre minutes au client au lieu de deux. Sans automate, trois minutes sont entièrement consacrées à la recherche de médicaments. »
Contact : aura@cosmosante.com
Une seule formation prise en charge
À ce jour, l’OPCA-PL n’a accordé son agrément qu’à une seule formation consacrée à l’automatisation, proposée par le fabricant Apotéka. Il s’agit d’un module d’initiation et d’optimisation de la gestion d’un automate. Aucune autre formation payante ne peut donc être prise en charge actuellement. Mais, face la demande et à l’offre croissantes de formations centrées sur la gestion du temps au comptoir, l’OPCA-PL devrait prochainement élargir son agrément.
en savoir plus
ERRATUM. Contrairement à ce que nous évoquions dans notre enquête « Délivrance, le contrôle en question » parue dans le Porphyre n° 411 (mars 2005), le rectorat de Nice n’a pas accordé de dérogation pour la délivrance aux élèves de BEP carrières sanitaires et sociales.
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