- Accueil ›
- Préparateurs ›
- Métier ›
- Pharmacie rurale désertification des campagnes
Pharmacie rurale désertification des campagnes
Travailler dans une officine rurale, c’est presque toujours bénéficier d’une meilleure qualité de vie et d’exercice professionnel qu’en ville. Mais la désertification médicale menace.
Peu avant que je prenne ma retraite, il y avait encore trois médecins généralistes à Sainte-Geneviève. Il n’en reste que deux aujourd’hui. L’un est âgé de 58 ans, l’autre de 52 ans. Il faut espérer qu’ils seront remplacés quand ils partiront en retraite. Sinon, la survie de l’officine sera fortement menacée. » De 1968 à 2001, Bernard Coussergues a été titulaire de la pharmacie de Sainte-Geneviève-sur-Argence, la seule de ce canton de l’Aveyron d’à peine plus de 2 000 habitants situé aux confins de la Lozère et du Cantal. Une pharmacie de famille depuis 1897, d’abord tenue par son grand-père puis par son père auquel il succéda en 1933. Aujourd’hui, l’officine est classée en zone déficitaire en médecins généralistes. Cela n’a pas empêché Catherine Bors, la nouvelle titulaire, de la racheter en 2001 après une dizaine d’années d’assistanat en ville – notamment en officine de centre commercial – et à la campagne. Amie d’enfance de la fille de son prédécesseur, Catherine Bors a découvert sa vocation dans cette officine : « Je rêvais de racheter cette pharmacie depuis pas mal d’années. Ici, presque tout le monde me tutoie et m’appelle par mon prénom. Pour moi, c’est un retour aux sources et un choix de qualité de vie. Travailler en milieu rural, c’est la possibilité d’exercer à fond notre métier de pharmacien, de faire du social en prenant le temps d’écouter les gens sans forcément leur vendre quelque chose. »
Dans ce village d’un peu plus d’un millier d’habitants, 35 % des clients de l’officine sont âgés de plus de 75 ans (contre 26 % en Aveyron et 19 % à l’échelle nationale). En 2005, la Pharmacie Bors a réalisé 81 % de son chiffre d’affaires en médicaments remboursables, 3,51 % en médicaments non remboursables et à peine plus de 2 % (2,47 %) en produits cosmétiques. L’officine est ouverte six jours sur sept, de 9 h à 12 h et de 14 h à 19 h (18 h le samedi). Elle emploie trois salariées à temps plein, une pharmacienne adjointe et deux préparatrices. « Comptoir, administratif, tout le monde fait tout », indique Catherine Bors. Tableau B et prises de mesures pour bas de contention exceptés, réservés aux deux pharmaciennes.
Qualité de vie personnelle et professionnelle. Pour toute l’équipe, travailler à Sainte-Geneviève-sur-Argence relève d’un choix de qualité de vie, personnelle et professionnelle. « Je suis très heureuse de travailler en milieu rural et près de chez moi, ce que j’ai toujours voulu faire, explique Isabelle Cros-Pagès, préparatrice de 24 ans. Ici, nous avons beaucoup d’ordonnances, une clientèle assez âgée et nous faisons pas mal de maintien à domicile, ce que je trouve très intéressant. En ville, au contraire, c’est beaucoup de para, de cosméto et ça me plaît beaucoup moins. Et puis, le soir, quand je rentre chez moi, je suis contente de rester un peu dehors au calme, de pouvoir jardiner. Travailler un jour en ville, y habiter, il n’en est pas question : il me faut du calme ! »
L’autre préparatrice, Lætitia Raynal, 28 ans, est sur la même longueur d’onde : « La ville, il faut y être né pour pouvoir y vivre et y travailler, estime-t-elle. Et même moi qui suis de Rodez où j’ai vécu jusqu’à 18 ans, je n’ai vraiment aucune envie de vivre en ville et encore moins d’y travailler. Dans une petite pharmacie de campagne comme ici, c’est vraiment l’idéal : les gens sont très sympas, parlent facilement et prennent le temps de discuter. Et puis je touche à tout, télétransmissions et vérifications de factures comprises. »
La variété des tâches dans le travail n’est pas une exclusivité des pharmacies rurales : elle peut tout aussi bien être vécue en petite officine urbaine de centre-ville ou de quartier. Mais, côté qualité de vie, il n’y a évidemment pas photo entre ville et campagne. « Tous les matins, je suis réveillé par le chant du coq et non par des sirènes d’ambulance : c’est une nuisance acceptable », assure Vincent Eizaguirre, 40 ans, préparateur dans une officine d’Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques), après avoir précédemment travaillé dans une demi-douzaine de pharmacies de villes moyennes. « Je suis d’ici et je m’y sens vraiment très bien, à une heure des plages de la côte basque et à une heure des stations de ski. Bien sûr, le niveau des salaires est inférieur à ce qu’il est à Paris, mais la qualité de vie est largement supérieure. Sur le plan professionnel, en milieu rural, on a un bien meilleur contact avec les gens qui sont plus fidèles à leur pharmacie qu’en centre-ville. Il y a aussi moins de concurrence et plus de confraternité avec les pharmaciens les plus proches. »
Titulaire d’un bac professionnel de vente et représentation commerciale, Marjorie Corsini, 32 ans, a quant à elle été représentante en articles de bureau avant de se tourner vers l’officine. « J’étais tout le temps sur les routes et j’avais du mal à concilier ce métier avec ma passion pour les chevaux, explique cette heureuse propriétaire de trois chevaux. Le domaine de la santé m’intéressait et particulièrement celui de la pharmacie d’officine, notamment pour le contact avec les patients. » Voilà pourquoi Marjorie a d’abord passé un CAP, puis décroché son BP. Elle n’a eu ensuite aucun mal à trouver un poste de préparatrice dans une officine (« À quatre kilomètres de chez moi, en plus ! »). Marjorie travaille donc depuis huit ans à la Pharmacie du Viaduc, à Pélussin (Loire), au coeur du parc naturel du Pilat. Elle y est responsable du rayon vétérinaire, très largement dédié aux soins des chevaux. Et ne lui parlez pas de travailler dans une pharmacie de ville : « Ah non, jamais, j’aime trop ce que je fais dans mon travail ! Nous côtoyons des gens de la terre, francs, directs. Et chaque jour, avant, après le boulot et même pendant la pause de midi, je peux m’occuper de mes chevaux. »
Une officine rurale sur deux menacée. Qualité de vie, travail plus varié en règle générale et, contrairement à une fausse idée largement répandue, niveau de rémunération équivalent voire supérieur : la pharmacie des champs n’a rien à envier à celle des villes. Secrétaire fédéral de la branche officine de Force ouvrière, Patrick Le Métayer a été préparateur en milieu rural pendant trente ans à Beaugency (Loiret), avant de devenir syndicaliste permanent. Il confirme : « C’est vraiment beaucoup plus intéressant qu’en ville, on touche à plus de choses et il y a un vrai suivi des patients, témoigne-t-il. Problème : les jeunes préparateurs cherchent de plus en plus du travail à leur porte alors qu’ils ne devraient pas hésiter à faire quinze ou vingt kilomètres pour trouver un boulot plus intéressant. Et souvent mieux payé, au-dessus de la grille en général. » Tout irait donc pour le mieux pour celles et ceux qui ont choisi l’officine rurale plutôt qu’urbaine. À une grosse nuance près : déjà en situation de désertification médicale ou en passe de le devenir, de très nombreuses zones rurales risquent fort de voir nombre de pharmacies disparaître dans les prochaines années. Car qui dit fermeture d’un cabinet de médecin généraliste implique de graves difficultés économiques pour la ou les officines du secteur géographique concernés, avec risque important de faillite. Près d’un médecin sur deux actuellement en activité a été formé entre 1975 et 1985 et partira en retraite dans les dix à vingt prochaines années. En raison d’un numerus clausus fortement revu à la baisse depuis vingt ans, mais aussi de la désaffection des nouvelles générations d’étudiants pour la médecine générale et, a fortiori, pour l’exercice en zone rurale, le nombre de médecins va sensiblement baisser au cours des deux prochaines décennies. Ainsi, selon l’Association de pharmacie rurale (APR), la pérennité de 3 000 à 5 000 officines rurales pourrait être sérieusement menacée à court terme (lire par ailleurs l’interview d’Yves Trouillet, président de l’APR). Le nombre de pharmacies rurales – c’est-à-dire installées dans des communes comptant moins de trois officines – étant actuellement estimé à environ 10 000, près de la moitié d’entre elles seraient donc en danger. À la demande du ministère de la Santé, un recensement des zones déficitaires en médecine générale a été établi l’an dernier : elles sont au nombre de 343 et concernent toutes les régions de France, à l’exception de l’Alsace et de Provence-Alpes-Côte d’Azur. À peu près autant (328) ont été classées en « zones fragiles ».
En janvier dernier, le ministère a lancé un plan d’incitation à l’installation de médecins généralistes dans ces zones sous-médicalisées qui concerne 4 422 communes. Principale mesure, en vigueur depuis quelques semaines : le coût de la consultation y est toujours de 20 euros pour les patients, mais payée 24 euros aux médecins par l’assurance maladie. Ce plan s’ajoute aux multiples aides – bourses d’études, soutien à l’installation, rémunération des gardes en partie exonérée d’impôt… – que pouvaient déjà accorder les collectivités locales ou l’assurance maladie aux médecins qui s’installent en zones sous-médicalisées.
Renforcer le rôle du pharmacien. À l’initiative de professionnels de santé ou de collectivités locales, d’autres réponses sont par ailleurs apportées au problème de la désertification médicale. Ainsi, des maisons de santé rurale ont commencé à voir le jour. Elles regroupent plusieurs médecins et d’autres professionnels de santé (infirmiers, kinésithérapeutes, dentistes, podologues…) pour rompre l’isolement et maintenir une offre de soins de proximité. C’est par exemple le cas à Bréhan (Morbihan), commune de 2 700 habitants où une maison de santé rurale rassemble deux médecins généralistes, un podologue, une diététicienne et un dentiste auxquels vont prochainement se joindre des infirmiers. Ce pôle médical travaille en collaboration étroite avec la pharmacie du village, installée juste à côté. Soucieuse d’apporter sa contribution à la lutte contre les déserts médicaux, la Mutualité sociale agricole (MSA) accompagne actuellement neuf projets de création de maisons de santé rurale qui devraient ouvrir leurs portes l’an prochain dans neuf départements différents. « Coordination des soins, travail pluridisciplinaire sur des thématiques communes : c’est la médecine de demain en milieu rural », estime Arnaud de la Seiglière, médecin conseiller technique national à la MSA.
Afin de renforcer le rôle du pharmacien en milieu rural, la MSA a par ailleurs lancé deux expérimentations depuis fin 2005. La première concerne la dispensation à domicile pour des patients dépendants, sur prescription d’un médecin, rémunérée 10 euros au pharmacien, avec prise en charge de ses frais de déplacement. Une soixantaine de pharmaciens sont impliqués dans cette initiative qui se heurte pour l’instant à une certaine réticence des médecins. La seconde expérimentation a trait au maintien à domicile, avec le pharmacien ou un préparateur délégué dans le rôle de coordinateur de la prise en charge de la personne dépendante à son domicile : expertise des besoins en matériel médical, formation des aidants (famille, amis, voisins), proposition de devis et pilotage du travail en équipe avec le médecin traitant, les infirmiers et les services sociaux de la MSA. Le diagnostic est rémunéré 30 euros au pharmacien qui est également défrayé pour son déplacement au domicile du patient. L’expérimentation est menée dans dix départements et une centaine d’équipes officinales sont censées être impliquées. Mais, là aussi, « alors que le rôle de pivot technique et de professionnel de santé de proximité du pharmacien en milieu rural est une orientation européenne très forte qui va sa développer, l’expérimentation n’a pas débuté aussi bien que nous l’aurions souhaité », indique Omar Tarsissi, médecin responsable du projet à la caisse centrale de la MSA. « L’idée est géniale, mais n’a peut-être pas été assez bien présentée aux assurés MSA et aux médecins », estime Jean-François Robert, pharmacien installé à Ancenis (Loire-Atlantique), chef lieu d’un canton où ni lui ni aucun de ses dix-neuf confrères concernés n’a été sollicité depuis le début de l’expérimentation, en octobre dernier… Dommage. En définitive, ces deux initiatives ne fonctionnent pas. Leur évaluation est toutefois prévue au premier trimestre 2007. Il ne s’agit peut-être que d’un problème de retard à l’allumage. •
SondageL’Association de pharmacie rurale réalise chaque année une enquête d’opinion auprès de ses adhérents. Voici quelques enseignements de la dernière en date (2005), à laquelle ont répondu 317 pharmaciens titulaires installés en zone rurale.
La pharmacie rurale en chiffres
• 1 990 habitants par officine (moyenne nationale : 2 619 habitants par officine).
• 1,41 million d’euros de chiffre d’affaires moyen (+ 5,71 %).
• 58 m2 de surface clients moyenne.
• 145 contacts clients par jour.
• 53 % des pharmacies rurales fournissent une ou plusieurs maisons de retraite.
Des titulaires satisfaits de leur équipe…
• 90 % des pharmaciens titulaires très satisfaits du travail de leurs adjoints.
• 91 % des pharmaciens titulaires très satisfaits du travail de leurs préparateurs.
• 20 % ont recherché un adjoint en 2005.
• 10 % ont recherché un préparateur en 2005.
• 91 % croient en l’essor des marchés de l’hospitalisation à domicile et du maintien à domicile.
… mais inquiets pour l’avenir de l’officine
• 53,3 % sont pessimistes quant à l’avenir de la pharmacie rurale en raison (par ordre décroissant) :
– de la désertification médicale ;
– des lourdeurs administratives ;
– de l’évolution du métier ;
– de l’angoisse sur la revente du fonds de commerce ;
– du devenir de la Sécurité sociale.
• 46,7 % sont optimistes en raison (par ordre décroissant) :
– de leur rôle incontournable dans le secteur de la santé ;
– du marché est porteur ;
– de leur faculté d’adaptation ;
– de la valeur de leur fonds de commerce ;
– de l’existence de la Sécurité sociale.
« Mieux aménager la loi de répartition des officines »
Yves Trouillet
Président de l’association de pharmacie rurale
•Y a-t-il encore pénurie de préparateurs en milieu rural ?
Non, on ne parle plus de pénurie de préparateurs aujourd’hui en zone rurale : les pharmaciens trouvent facilement, sur place, des jeunes qu’ils forment. Certains ont par ailleurs créé des postes administratifs pour des tâches auxquelles contribuaient les préparateurs auparavant. Beaucoup de titulaires se sont aussi orientés vers le recrutement de pharmaciens adjoints.
•Comment rendre le travail en officine rurale plus attractif ?
Je ne pense pas que l’exercice en milieu rural soit moins attrayant qu’en ville et peut-être même au contraire. Maintien et hospitalisation à domicile, maisons de retraite, prescriptions vétérinaires, médicaments sortis de réserve hospitalière : en milieu rural, le rôle du pharmacien permet de toucher à plein de choses, plus qu’en ville. Pour un jeune pharmacien comme pour un jeune préparateur, si l’on veut découvrir le métier de façon concrète, il faut travailler en milieu rural. Quant à l’aspect rémunération, pharmaciens salariés et préparateurs ne sont pas mieux payés en ville qu’à la campagne, en tout cas que dans certaines villes universitaires comme Toulouse ou Montpellier, par exemple.
•La désertification médicale menace-t-elle la pérennité de nombreuses officines ?
Entre 3 000 et 5 000 officines vont être en situation difficile si, comme on peut le craindre, à peu près autant de médecins partent en retraite dans les cinq à dix ans sans être remplacés. Je ne crois pas du tout à l’efficacité des très nombreuses mesures d’aide à l’installation de jeunes médecins ou au maintien de médecins en milieu rural. Si on encourage les médecins à se regrouper dans des zones où il y a suffisamment de population, il y a risque de déstabilisation du réseau officinal. Je pense plutôt qu’il vaudrait mieux aménager la loi de répartition des officines. Il y a là une réflexion générale à mener que la profession ne pourra pas éviter.
Un comité de défense de la pharmacie
« Bravo pour votre mouvement, nos syndicats sont trop mous ! » C’est le commentaire d’accompagnement de l’une des premières adhésions enregistrées par le Comité national de défense de la pharmacie française (CNDPF). Créé le 17 juin dernier par une poignée de pharmaciens titulaires installés depuis moins de quatre ans, pour la plupart en milieu rural, ce comité est également ouvert à tous les salariés d’officine et même aux étudiants en pharmacie. Deux semaines après sa création, il comptait déjà vingt adhérents – dont cinq préparateurs – répartis à travers toute la France.
« Si on ne bouge pas, il n’y aura plus de pharmacies en milieu rural dans dix ans, avance Jacques Robinet, l’un des fondateurs, pharmacien titulaire à Saint-Puy (Gers), village de 600 habitants. Nous ne sommes pas un syndicat, mais un comité de défense de la pharmacie car nous avons la fâcheuse impression que l’on s’acharne sur nos professions. Et ce, sans que nos syndicats mènent les combats qui s’imposent car ils ne sont pas du tout à l’écoute de leur base comme, par exemple, lors de la crise de l’automne dernier à propos du PLFSS*. » Voilà le principal objectif du CNDPF : mettre la pression sur les syndicats de pharmaciens « qui ne s’intéressent qu’aux titulaires installés de longue date ». En espérant avoir de nombreux adhérents, « si possible syndiqués pour qu’ils se fassent entendre au sein de leur syndicat ».
Pour en savoir plus :
* Projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
- Tests de dépistage du Covid-19 : les préparateurs ne peuvent plus les réaliser
- Tests Covid-19 interdits aux préparateurs : la profession interpelle le ministère
- Nouvelles missions : quelle place pour les préparateurs ?
- Sécheresse oculaire : quels conseils au comptoir ?
- Chaussures thérapeutiques de série : conseils pour une délivrance adaptée
- Bon usage du médicament : le Leem sensibilise les patients âgés
- Prophylaxie pré-exposition au VIH : dis, quand reviendra-t-elle ?
- Indus, rémunération des interventions pharmaceutiques, fraudes… L’intérêt insoupçonné de l’ordonnance numérique
- Financement des officines : 4 solutions vertueuses… ou pas
- Prescriptions, consultations : les compétences des infirmiers sur le point de s’élargir