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Groupements : Le nouveau visage de l’indépendance
Conjoncture économique oblige, la tendance est au rassemblement. Nombreux pourtant sont les officinaux à freiner des quatre fers. A tous ceux-là, des dirigeants de groupements expliquent pourquoi il en va de leur avenir. Et… de leur indépendance.
Vous avez l’esprit de corps, mais de là à avoir l’esprit de groupe… L’idée même du groupement vous fait tressaillir parce que, après tout, si vous avez décidé de relever le défi de l’installation c’est, sans doute, pour la liberté qu’elle procure et pour être son propre patron…
Pourtant, à en croire Lucien Bennatan, président de Pharma Référence, et François Leyravaud, président de Forum Santé, il est temps de redescendre sur terre.
« C’est une indépendance virtuelle, déclare François Leyravaud. Economiquement, le pharmacien est lié à sa banque, pour son approvisionnement, il est lié aux grossistes, pour sa marge, il dépend du gouvernement. » « Le titulaire est propriétaire de son fonds de commerce, mais il n’exerce pas une véritable activité libérale », surenchérit Lucien Bennatan.
Locaux ou nationaux, les groupements sont unanimes, se grouper c’est regagner ou renforcer cette liberté. Le tout est d’éviter la confusion entre indépendance et autonomie.
C’est le point de vue soutenu par Christian Grenier, président de Co.Pharm.Ec : « Pour exercer, vous engagez votre diplôme, vous vous engagez à exercer votre profession dans les règles et à assumer toutes les responsabilités liées à cet exercice. La décision face au patient sera toujours la vôtre, libre à vous de refuser de délivrer. Se lier à un groupement, c’est perdre un peu d’autonomie pour gagner de l’indépendance, c’est se dégager des choses qui ne sont pas mon métier pour me concentrer sur les sujets sur lesquels j’ai engagé mon diplôme. »
« Le groupement, c’est une mise en commun de moyens », résume Claude Rémy, directeur commercial du tout récent Alrhéas (« force de l’union », en grec), nouvelle appellation de Pharmaliberté-Pharmexel. « Le pharmacien, au quotidien, a le nez dans le guidon. Le groupement a du recul. Il lui donne une vision globale de l’environnement dans lequel il évolue, il met à son service l’expérience acquise par les uns et les autres », poursuit-il. En un mot comme en cent, il faut voir le groupement comme une boîte à outils ou comme « une logistique par laquelle l’esprit de décision du chef d’entreprise n’est pas occulté », selon Pascal Louis, de Giphar.
Conviction contre obligation.
Vu comme ça, vous vous laisseriez presque convaincre. Mais vous avez du mal à accepter l’idée que quelqu’un d’autre que vous-même décide de la vitamine C qui sera vendue dans votre officine et du prix auquel elle sera vendue. « Pourquoi donc ?, répond le président de Co.Pharm.Ec. Je ne choisis pas ma vitamine C, et alors ? En contrepartie, j’augmente mon chiffre d’affaires, ma marge, ma rentabilité et je redeviens donc plus libre au prix d’une perte d’autonomie librement consentie. »
« On n’oblige pas le pharmacien à venir, précise Claude Rémy. S’il reste au sein du groupement, c’est qu’il y trouve son compte. La politique d’achat est établie en concertation avec les pharmaciens. A eux de choisir au sein du catalogue que nous leur proposons. Nous ne les obligeons pas à tout acheter. A la base, ils s’engagent à suivre les préconisations du groupement. S’ils ne s’y retrouvent plus, ils ont le choix ultime de nous quitter. »
« J’ai entendu dire que certains groupements avaient des pratiques d’achats groupés douteuses vis-à-vis de leurs adhérents. Mais je suis convaincu que c’est une attitude marginale, estime Olivier Verdure, président de Pharmalliance, groupement affilié à Apsara. Si l’on fait de bons choix de référencement, la commande du pharmacien suit logiquement. S’il n’a pas envie de travailler avec l’un de nos laboratoires partenaires, il a le choix. Il n’y a aucune obligation. Obliger le pharmacien, c’est passer à côté de la vocation du groupement. Un groupement sérieux fonctionne sur une démarche de conviction, pas sur l’obligation. »
Faire jouer le corporatisme.
La Fédération des groupements de pharmaciens indépendants (FGPI), qui regroupe Pharmavenir, Pharmalibre et Résonor, garantit même, selon son président Jean-Pierre Dumon, « le libre choix des fournisseurs avec commandes, livraisons et facturations individuelles ». Une offre alléchante qui mérite une précision : « 75 % des remises obtenues auprès des laboratoires (vigneté exclu) sont restituées aux pharmaciens adhérents. Plus le pharmacien travaille sur notre catalogue, plus il touche à la fin de l’année. Cela va de 46 euros à plus de 4 600 euros. En moyenne, nous reversons 600 euros par pharmacie », ajoute Jean-Pierre Dumon.
Garantie ultime pour se rassurer quant à la décision de se regrouper ou non, il faut, selon Christian Grenier, faire jouer le corporatisme et opter pour un groupement fondé par des pharmaciens, pour des pharmaciens.
Puisque tout le monde vous prédit le regroupement de la profession – la dernière étude en date, réalisée par Goodwill Management pour Pharma Référence*, table sur 90 % de pharmaciens groupés d’ici cinq ans – et vous présente l’instinct grégaire comme l’instinct de survie, vous êtes finalement prêt à miser pour voir si vous compterez ou non parmi les 10 % restants. Cependant, pour votre période d’essai, vous penchez plus vers les petites structures à vocation locale. L’anonymat, très peu pour vous, c’est d’une entraide conviviale à visage humain dont vous avez envie. « L’avantage du groupement local, c’est le contact au quotidien, confirme Olivier Verdure. Mais une bonne bouffe de temps en temps et des remises à peine meilleures que celles que l’on aurait pu obtenir soi-même ne suffisent pas à faire d’un groupe de pharmaciens un groupement efficace. » « Un groupement sans offre de services n’est pas viable », poursuit Christian Grenier.
Claude Rémy, d’Alrhéas n’est pas plus optimiste quant à l’avenir des petites structures informelles ou locales : « A partir du moment où l’on se met en groupe, les besoins auxquels on doit faire face augmentent pour dépasser, à terme, les capacités de cette structure. Or, actuellement, il ne suffit plus de construire un système d’achats groupés, il faut, en plus, permettre la mutualisation d’emplois comme le secrétariat ou la comptabilité et donner les outils pour mieux vendre et mieux gérer. »
Les amis de mes amis…
Un pas de plus vers l’uniformisation, pensez-vous. Pas si sûr. Dans la lignée d’Apsara (fédération européenne de groupements), créé en 1997, des groupements de groupements voient le jour, comme Alrhéas et la FGPI. « Les choses se sont faites naturellement, raconte Jean-Pierre Dumon, de la FGPI. Nos différents groupements se sont rencontrés à plusieurs occasions et nous sommes arrivés au constat que face à des laboratoires de plus en plus gros, nous devenions de petites poussières sans poids et qu’il était temps de se fédérer. Nous négocions des contrats identiques pour tous mais chacun choisit ce qui l’intéresse. Chaque groupement qui nous rejoint garde son autonomie. Les préférences historiques ou géographiques de chacun peuvent subsister. »
La position d’Apsara confirme ce choix de préserver l’identité locale. « Nous n’avons pas voulu créer une structure nationale dirigiste, centralisée, destinée à dicter leur conduite aux différentes antennes régionales. Adhérer à un groupement, c’est se donner un poids économique mais c’est aussi une question de convivialité. Nous sommes une société de moyens dans laquelle chaque groupement garde son indépendance. Chacun gère ses adhérents en local dans des conditions identiques à celles qui étaient antérieures à son adhésion. Apsara est une entité fédératrice. Si nous constituons un interlocuteur privilégié pour le laboratoire, nous ne sommes qu’un ensemble de services à la disposition du pharmacien et notamment un outil de communication. »
Vers un phénomène de concentration.
Pharma Référence, par le biais de l’étude de Goodwill Management, annonce que le paysage des groupements sera réduit à dix acteurs d’ici à cinq ans. Il ne faut donc pas forcément y voir le triomphe des grandes structures. « La fédération de groupements est la seule façon de survivre pour les groupements régionaux. Il ne restera que dix groupements mais nous serons parmi ceux-là », prévoit, optimiste, Olivier Verdure.
Le regroupement de groupements semble inéluctable mais il n’est là que pour concrétiser un changement d’échelle dont l’unité se transfère du pharmacien au groupement. C’est une question d’équilibre et de proportion vis-à-vis des partenaires de la profession qui évoluent selon les principes de la taille critique. Ce changement de perspective s’impose à tel point qu’il paraît désormais presque naturel de s’interroger sur le principe du développement de l’enseigne pour l’officine, alors qu’il y a encore une dizaine d’années de cela les groupements pointaient à peine leur nez. Un glissement qui ne se fait pas sans heurts et qui suscite encore de nombreuses appréhensions. Les vieux démons ressurgissent soudain et, une fois de plus, ce sont les questions de l’indépendance et de la perte d’identité qui inquiètent le plus.
Il y a donc les opposants farouches. « Pour répondre à notre souci de liberté, nous n’avons pas dans l’idée de créer une enseigne, confie Jean-Pierre Dumon. Notre souhait est de maintenir absolument l’identité du pharmacien. » D’autres comme Alrhéas jouent la sécurité et se placent dans l’expectative. « L’enseigne n’est pas notre objectif actuel, confirme Claude Rémy. Ce système ne correspond pas à la demande de nos adhérents. Nous ne souhaitons pas précipiter les choses mais nous avançons tout de même. Nous n’avons pas une visibilité suffisante sur le sujet pour prendre la décision de nous y engager. »
Apsara, pour sa part, incarne en quelque sorte la politique « Canada Dry ». La fédération européenne préfère parler de « concept » plutôt que d’enseigne pour le système qu’elle a mis en place. « L’indépendance est mangée par la politique d’enseigne, déclare Olivier Verdure, président de Pharmalliance. A travers notre offre d’agencement, nous avons seulement souhaité aller plus loin dans l’éventail de nos services. Si le pharmacien décide d’adhérer au concept, il n’aura qu’à financer l’agencement, toutes les prestations annexes sont comprises dans sa cotisation initiale. Il n’est pas question de casser la proximité du pharmacien et de son patient. La Pharmacie du Centre restera toujours la Pharmacie du Centre. La seule enseigne qui amène le public à l’officine, c’est la croix verte. C’est pour cela que nous sommes à peine présents sur la façade de la pharmacie et que le nom d’Apsara vient juste en appui du nom du pharmacien. »
Confusion des genres.
Enfin, il y a les convaincus, qui s’engagent franchement dans la démarche. Lucien Bennatan, président de Pharma Référence, tente de rassurer les inquiets. « C’est la personnalité qui est derrière le comptoir qui fait la différence. C’est la relation interpersonnelle qui va changer les choses d’une officine à l’autre. L’image procurée par l’enseigne est un facteur de la relation client. Ce n’est que la main tendue. La façon dont on la serre est différente dans chaque officine », explique-t-il, jeu de mots à l’appui.
Les craintes qui se portent sur l’enseigne proviennent d’une confusion des genres. « L’enseigne n’est pas une chaîne, insiste Lucien Bennatan. Au sein d’une chaîne, le pharmacien ne serait pas propriétaire de son fonds de commerce, et là, tout pourrait lui être imposé. » « L’enseigne n’est pas une structure verticale, confirme François Leyravaud, président de Forum Santé. L’objectif est d’aider le pharmacien à s’en sortir au mieux économiquement. Il n’y a pas de colis ou de discours tout prêts. L’enseigne permet en fait de regrouper sous une bannière reconnaissable du grand public un savoir-faire particulier. »
C’est cette communication sur le savoir-faire qui permettra au pharmacien de s’imposer comme un spécialiste de la santé et par conséquent de préserver son indépendance à l’échelle, cette fois, de la profession. Enfin, à ceux qui craignent l’uniformisation des pratiques sous le couvert d’une qualité toujours plus présente et plus contrôlée, Alain Molho, de Giropharm, répond que « la performance ne se construit pas au détriment de l’indépendance. La relation humaine qui s’exerce à l’officine est impossible à cadrer ».
Mais à peine tente-t-on de nous rassurer sur les intentions des groupements et des enseignes que déjà, Joseph-Philippe Benwaïche, président de Plus Pharmacie, opposé au principe de l’« exception française », nous prédit l’avènement des chaînes de pharmacies – « cette forme de mutualisation du risque et de la chance » – aux environs de 2005/2006.
* Enquête réalisée par Goodwill Management pour Pharma Référence de novembre 2002 à février 2003 sur un échantillon représentatif de 269 pharmaciens groupés et de 360 pharmaciens non groupés.
Chiffres
Dans 5 ans, seules 10 % environ des pharmacies resteront isolées. Dans 5 ans, il ne restera plus que 10 groupements (avec une moyenne de 2 300 adhérents).
(Source : Goodwill/Pharma Référence).
RÉACTION
« L’interdépendance des pharmaciens dans le groupement permettra de préserver l’indépendance de la profession. » Claude Rémy, Alrhéas
RÉACTION
« Pourquoi la France serait-elle l’exception européenne ? 2005/2006 sera l’avènement des chaînes sur le territoire. » Joseph-Philippe Benwaïche, Plus Pharmacie
RÉACTION
« La standardisation de certaines normes de qualité n’occulte pas le dynamisme personnel du titulaire, il le sert » Pascal Louis, président de Giphar
Le jeu des sept familles
Aujourd’hui, en Europe, il est possible de distinguer trois grands types de groupements :
– La chaîne d’officines : agrégation de plusieurs officines dont le pharmacien exerçant ne contrôle pas le capital de l’établissement où il exerce.
– L’enseigne : concept marketing, merchandising, organisationnel auquel s’affilie une officine.
– Le groupement : ensemble d’officines qui regroupent leurs achats et bénéficient de services complémentaires.
Compte tenu des évolutions constatées en Europe, sept types d’officines pourraient se dégager d’ici 2006/2007.
Le type A : l’enseigne proposée par le grossiste-répartiteur.
Le type B : la chaîne d’officines contrôlée par le grossiste-répartiteur.
Le type C : l’enseigne proposée par le groupement.
Le type D : la chaîne d’officines contrôlée par les GMS en prenant l’hypothèse que cela soit possible dans les cinq ans, ce qui semble toutefois improbable.
Le type E : le pharmacien dynamique qui possède plusieurs officines.
Le type F : l’officine indépendante et peu dynamique.
Le type G : les officines au sein d’un groupement.
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