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Le TFR à l’essai

Publié le 28 juin 2003
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72 groupes et 29 DC touchées : la première vague de TFR, applicable au 1er octobre, sera limitée. Pour ne pas démobiliser les pharmaciens ? Mais surtout, il fallait expérimenter « à petite échelle » ce nouveau dispositif et observer ses effets sur le comportement de tous les acteurs concernés.

La mobilisation des pharmaciens et des fabricants de génériques en avril n’aura pas été vaine. Saluant cet effort, à l’origine d’une hausse de pénétration des génériques, dans un communiqué en date du 19 juin, le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, a dévoilé la liste des groupes génériques plaçés sous tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) et la base de remboursement applicable à chaque groupe. Au total, 29 molécules et 72 présentations sont concernées, soit un champ d’application des TFR beaucoup plus restreint que prévu (lire Le Moniteur n° 2494). « Cette première liste représente un peu moins de 20 % du Répertoire en valeur, alors que plus de 50 % des groupes étaient menacés par un TFR », indique Hubert Olivier, P-DG de Ratiopharm qui voit dans celle-ci « un signe positif du gouvernement ».

Globalement, le couperet est tombé sur des molécules anciennes (cimétidine, ranitidine, glipizide, piroxicam…), mais parfois sur certaines grosses cylindrées recalées pour seulement quelques points, telles que l’énalapril 5 mg, le sotalol 80 mg et 160 mg, le molsidomine 2 mg et 4 mg, la miansérine 30 mg… Il y a aussi des molécules que l’on n’attendait pas. « Bromazépam, mébévérine 100 et 200 mg et énalapril 20 mg qui, théoriquement sauvés du TFR, se retrouvent dans cette liste, relève Claude Japhet, président de l’UNPF. Le Comité économique des produits de santé a estimé que les pharmaciens ont trop acheté par rapport à la réalité des ventes. » Le Leem précise que le ministre ne s’est pas laissé abuser par cet artifice et a retenu, en fait, les taux de pénétration des génériques de ces trois molécules au cours des trois mois précédents (bien en deçà des 45 %). « Les efforts d’avril sur les achats n’ont pas été qu’une manoeuvre, ils se sont traduits aussi par une augmentation des ventes », souligne Gilles Bonnefond, secrétaire général de l’USPO en regrettant que le gouvernement n’ait pas fait preuve de plus de patience à l’égard de ces trois molécules. Même si les règles du jeu n’ont pas été totalement respectées, Bernard Capdeville, président de la FSPF, ne souhaite pas provoquer le ministre sur cette affaire, compte tenu du fait que d’autres molécules sous les 45 % ont , elles, été épargnées.

Alignement des princeps.

Sur les forfaits de remboursement arrêtés, Claude Japhet s’étonne du manque de cohérence entre TFR et prix des génériques. « Il n’y a aucune règle : pour 18 groupes, le TFR est au-dessus du prix public du générique le plus cher et pour 17 autres groupes, il est en dessous du prix public du générique le moins cher. » Comparant les TFR avec les prix fabricant hors taxes, le Leem affirme que pour 90 % des groupes, le prix moyen des génériques est inférieur ou égal au TFR.

En attendant la parution de l’arrêté au « JO » (pas encore publié à l’heure où nous bouclons), qui devrait préciser les modalités pratiques d’écoulement des stocks aux anciennes vignettes *, on retiendra que l’application des TFR ne sera effective qu’à partir du 1er octobre prochain, le temps pour les laboratoires de princeps et les génériqueurs de peaufiner leurs stratégies, et pour les patients de comprendre le fonctionnement de ce nouveau dispositif.

Mais la cause paraît déjà entendue : tous les laboratoires de princeps concernés par cette liste (sauf un) vont s’aligner sur le TFR… Sans attendre de connaître les comportements des Français à l’égard d’un forfait de remboursement, même s’il est fort probable qu’ils n’accepteront pas de prendre en charge la différence pour conserver leurs médicaments habituels. « Le TFR est une manière déguisée pour le gouvernement de récupérer de la marge sur les prix et des conditions commerciales », dénonce Claude Japhet.

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Quant à l’unique exception à la règle de l’alignement, elle a été, selon lui, négociée pour pouvoir expérimenter le nouveau système et étudier les réactions des patients. Si bien « qu’il va falloir monter une usine à gaz pour le remboursement d’une seule spécialité », fait-il remarquer.

Moins 100 millions de marge ?

« Les laboratoires de princeps font exactement le contraire de ce qu’ils ont déclaré au ministre quelques mois auparavant », observe de son côté Jean-Marc Yzerman, responsable du dossier économique à la FSPF, soulignant au passage « la force de dissuasion du TFR sur ces laboratoires ». Il craint avec cette baisse de prix, outre la mort du générique, un déplacement des dépenses promotionnelles des industriels vers des produits plus récents et plus chers, d’où « une accélération de l’effet structure et une augmentation des dépenses de médicaments remboursés ».

Gilles Bonnefond, pour sa part, trouve la stratégie de l’alignement prématurée « alors que l’on ne connaît pas encore les nouveaux équilibres entre le régime obligatoire et les régimes complémentaires d’assurance maladie ». Sur les baisses de marges consécutives à l’arrivée du TFR, l’USPO a déjà fait ses comptes. « Cette première vague du TFR va faire perdre à l’officine plus de 100 millions d’euros de marge », affirme-t-il. Jean-François Mattei estime de son côté que l’économie totale pour l’assurance maladie sera de 100 millions d’euros (sur l’ensemble des acteurs) la première année.

La « voiture balai » en décembre.

En décembre, alors que la barre sera placée à 60 % (avec une nouvelle photographie du marché en novembre), rien ne permet d’affirmer que le ministre de la Santé aura davantage la main lourde. Mais Jean-François Mattei a prévenu : « Les génériqueurs ont fait le siège des pharmaciens pour inciter à faire des stocks en avril pour passer la barre des 45 %. Pharmaciens et génériqueurs ont senti le vent du boulet. Mais si d’aventure certains ont forcé la dose, j’aurai le camion balai à la fin de l’année qui passera à hauteur de 60 % ». Le compte à rebours a déjà commencé. Il reste aux pharmaciens un peu plus de quatre mois pour tirer d’affaire les groupes dont le taux de pénétration des génériques est compris entre 45 % à 60 %. Et pour relever ce nouveau défi, toujours le même leitmotiv des syndicats : « Substituer toujours plus ». Ce nouveau palier sera difficile à atteindre dans les temps. « Le rythme de progression des taux de pénétration des génériques est actuellement de 1 à 2 points par mois, or pour certains groupes, il faut gagner 15 points ! », souligne Gilles Bonnefond. Pascal Voisin, directeur des opérations de Téva Classics est, lui, convaincu que « le TFR va dynamiser encore plus le marché des génériques » mais, « faire exploser les achats sur un mois n’est certainement pas la meilleure solution ». Si l’effort est soutenu et la tendance du marché bien orientée, Jean-François Mattei pourrait à nouveau se montrer clément au moment d’arrêter la seconde liste. Dans le cas inverse, il fera mourir à petit feu le générique et démobilisera les pharmaciens. Sur l’avenir, Pascal Faye, directeur commercial d’EG Labo, se dit perplexe : « Si le succès est au rendez-vous, cela va inciter le gouvernement à accroître la pression sur les pharmaciens en faisant rentrer encore plus de produits au TFR. »

Pour les pouvoirs publics, tous les moyens semblent bons pour faire baisser les prix, qu’il s’agisse de négocier avec le laboratoire, d’instaurer un TFR ou d’agir par le biais de la concurrence des génériques. Cette dernière solution gardera-t-elle la faveur administrative ?

* Cet arrêté permettrait les changements de vignette dès début septembre, pour une application effective au 1er octobre et un écoulement possible des stocks sous ancienne vignette jusqu’en novembre.

A noter

Un arrêté du 11 février 2003 prévoyait de nouvelles vignettes pour intégrer les TFR (les 14 caractères habituels + 01 pour les produits soumis à TFR ; 14 caractères + 00 pour les autres). Malgré le report du TFR au 1er octobre, l’arrêté reste applicable au 1er juillet 2003. Tous les industriels ont donc dû revigneter. Le 18 juin, les SSII ont assuré aux syndicats (FSPF et UNPF) que les logicels officinaux liraient sans problème à la fois les nouvelles et les anciennes vignettes (pendant l’écoulement des stocks). Seules des douchettes un peu anciennes pourraient éventuellement poser problème. L’assurance maladie se dit à même de traiter les deux types de vignette en même temps.