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SIX QUESTIONS SUR LA LÉGISLATION
Alors que Marisol Touraine annonce une expérimentation sur la dispensation des antibiotiques à l’unité, les pharmaciens attendent toujours les textes encadrant la préparation des doses à administrer (PDA). Le point sur cette pratique répandue, mais dont le process reste à définir.
1 Pourquoi déconditionner ?
La standardisation des conditionnements des médicaments ne permet pas toujours aux équipes officinales de délivrer la juste quantité d’unités dont le patient a réellement besoin au regard de sa prescription. Cette inadéquation génère des médicaments non utilisés (MNU) dits « de préparation ». Alors que l’Assurance maladie annonce un déficit de plus de 7 milliards d’euros cette année, le déconditionnement puis le reconditionnement des médicaments pourrait offrir une solution sur mesure pour éviter un tel gaspillage.
2 Qu’est-ce que la préparation des doses à administrer ?
Cette opération consiste à déconditionner une ou plusieurs spécialités afin de reconditionner chaque unité de prise dans un pilulier nominatif selon le schéma posologique prescrit par le médecin. La PDA permet de remettre au patient les seules unités dont il a besoin. Cette pratique présente l’avantage de favoriser l’observance thérapeutique, en particulier chez les patients âgés et polymédiqués. Selon Caroline Blochet, présidente de Medissimo, « la préparation des doses à administrer avec suivi du patient entraîne une amélioration de 35 % de l’observance ».
3 Cette pratique est-elle autorisée ?
A ce jour, aucun texte n’interdit, ni autorise le déconditionnement puis le reconditionnement. Ce vide juridique est progressivement entré en conflit avec une nécessité pratique et économique, notamment dans le cas des EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). Ces établissements ont progressivement externalisé cette tâche auprès des pharmacies. Le débat juridique a ainsi été ouvert et a donné lieu à divers commentaires et décisions contradictoires. En mai 2008, la Cour d’appel de Rouen a condamné au pénal un pharmacien, sur le chef de « fabrication industrielle de médicaments sans autorisation » et de vente de spécialités « sans autorisation de mise sur le marché ». Il était reproché au pharmacien d’avoir touché à l’intégrité du blister.
A l’inverse, le Conseil national de l’ordre des pharmaciens a, la même année, exonéré un pharmacien qui pratiquait le déconditionnement et le reconditionnement. Au niveau communautaire, « la directive CEE n° 2001-83 du 6 novembre 2001 précise que les préparations, divisions, changement de conditionnement ou présentation, dans la mesure où ces opérations sont exécutées uniquement en vue de la délivrance au détail par les pharmaciens dans une officine, ne sont pas soumis aux dispositions régissant l’autorisation de mise sur le marché », souligne Guillaume Fallourd, avocat.
4 A quelles conditions ?
La jurisprudence ainsi que la doctrine ordinale admettent aujourd’hui cette pratique. A condition qu’elle soit assortie de précautions garantissant la traçabilité du médicament, la communication de la notice au patient et le suivi de la dispensation. L’article R. 4235-48 du Code de la santé publique précise que « l’acte de dispensation du médicament associe à la délivrance la préparation éventuelle des doses à administrer ». Ce qui signifie que la PDA, sous forme de piluliers, ne peut en principe être réalisée à grande échelle. Dans une affaire jugée en chambre de discipline, un pharmacien a été condamné à trois semaines d’interdiction d’exercice. Parmi les manquements professionnels, la décision ordinale cite : l’atteinte au libre choix du pharmacien par le patient, la préparation sous forme de piluliers de façon systématique et généralisée, et l’absence de traçabilité totale des médicaments.
5 Quid en attendant la publication d’un arrêté ?
Par leur proximité avec les patients et leur expertise du médicament, les pharmaciens sont les mieux placés pour garantir la qualité et l’organisation de ce service. Reste à définir des bonnes pratiques et un modèle économique. Dans un rapport présenté en juin 2013, l’Académie nationale de pharmacie insiste sur l’urgence d’une PDA réglementaire et assortie de bonnes pratiques. Elle demande également aux pouvoirs publics « de prévoir pour les officines un mécanisme permettant les investissements nécessaires et la viabilité économique de ce nouveau service ». Dans l’attente de la publication des arrêtés et décrets, il est recommandé aux pharmaciens de « mettre en œuvre des méthodes de travail de PDA intégrant un système qualité avec traçabilité des opérations de préparation, en précisant les règles d’étiquetage dans une zone dédiée, avec du matériel adapté, du personnel formé et qualifié et sous contrôle effectif d’un pharmacien ».
6 Quels sont les risques ?
Dans tous ses actes, le pharmacien est tenu dans un carcan législatif de responsabilités disciplinaires, pénales et civiles. L’activité de déconditionnement en vue de reconditionnement en pilulier impose la plus grande vigilance. Le pharmacien ne doit pas oublier l’article 223-1 de la loi Kouchner qui engage sa responsabilité en cas de prescription médicamenteuse défectueuse. Guillaume Fallourd prévient : « Le pharmacien doit être conscient des risques encourus en préparant les doses à administrer, et ce d’autant plus qu’il ne garde pas totalement leurs maîtrises. D’ailleurs, rien n’interdit au fabricant de contester sa responsabilité et de mettre en jeu celle du pharmacien pour son intervention avant l’utilisation du médicament par le patient. Le risque juridique est donc bien réel, et le pharmacien doit vérifier, avant de réaliser de telles pratiques, que son assurance le couvre en cas de sinistre. »
Idée reçue : « La loi interdit le déconditionnement »
La loi Talon interdit bien le déconditionnement d’une spécialité renfermant une substance vénéneuse en vue de son incorporation dans une préparation magistrale, sauf si la spécialité déconditionnée et la préparation magistrale sont destinées à être appliquées sur la peau. Cette interdiction ne vise pas le déconditionnement puis le reconditionnement en piluliers.
AVIS D’EXPERTJEAN-LUC FOURNIVAL, TITULAIRE À GRENOBLE (ISÈRE) ET RESPONSABLE DU DOSSIER PDA AUPRÈS DE L’UNPF
« La PDA exige la mise en place de procédures normées, contrôlables et vérifiables. Dans mon officine, nous avons élaboré un cahier des charges et des procédures déposées à l’ARS de Lyon. Je n’attends pas d’avoir les textes encadrant cette pratique pour appliquer une méthodologie de travail rigoureuse, éthique et garantissant une traçabilité totale de la dispensation. Cette exigence nécessite de l’investissement (matériel et formation). Moyennant 500 000 euros, la pharmacie est équipée d’une machine robotisée qui permet de produire 500 sachets dans une zone affectée à cette tâche. Chaque dispensation est enregistrée, archivée et photographiée, ce qui rend notre travail contrôlable grâce à un système de code-barre reconnu par le chariot automatisé de l’établissement de soins. Dans une maison de retraite, la somme des éléments iatrogènes génère en moyenne 17 % d’erreurs ; grâce à la PDA automatisée, ce taux est réduit à 0,2 %. Le panier moyen de la maison de retraite avec laquelle je travaille est passé de 129,50 euros à 91 euros. Il reste maintenant à adapter les textes à la pratique. Je plaide pour une PDA d’excellence avec un droit de rétrocession entre pharmacies. La rentabilité étant nulle en dessous de 800 lits, tous les pharmaciens ne pourront pas s’équiper. »
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