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LE MODÈLE ESPAGNOL GAGNERA-T-IL LA FRANCE ?
Malgré les réserves des pharmaciens, la dispensation des médicaments à l’unité sera bientôt expérimentée en France. Le dispositif pourrait s’inspirer de l’Espagne. Dans ce pays, la réduction des dépenses ne serait pas l’unique avantage d’un modèle qui, sous l’impulsion, entre autres, de Onedose Pharma, est sur le point d’arriver en France. « Le Moniteur » a pu rencontrer cette entreprise espagnole.
Les médicaments unidoses du laboratoire pharmaceutique espagnol Onedose Pharma, basé à Barcelone, pourraient en effet débarquer dans les pharmacies françaises dès la seconde moitié de 2014. « Notre proposition a beaucoup plu au ministère français de la Santé et nous pouvons d’ores et déjà entamer les démarches afin de vendre nos produits en France », a déclaré Rosa Pardina, fondatrice et P-DG de cette société, à l’issue d’une réunion tenue le 20 novembre à Paris avec Catherine Choma, sous-directrice de la politique des produits de santé et de la qualité des pratiques et des soins au ministère.
Onedose Pharma, unique fabricant européen d’emballage pour unidoses, commercialise aujourd’hui une vingtaine de références, dont des antibiotiques (comme la ciprofloxacine ou l’azithromycine), une famille de médicaments qui intéresserait particulièrement les autorités françaises. Tout a commencé en 2009 pour cette entreprise. Après avoir travaillé plus de vingt ans dans le secteur des génériques, Rosa Pardina a fondé Onedose Pharma sur une idée simple a priori : transférer l’usage des unidoses du monde hospitalier à la pharmacie. Au plan technique, la principale difficulté fut de trouver un format industriellement viable qui permette de fusionner les emballages primaire (blister) et secondaire (boîte) du médicament de façon à respecter la législation en vigueur. Résultat ? Une enveloppe en plastique et en aluminium de 9 cm sur 5 (à peine plus grande qu’une carte de crédit) pouvant contenir toute l’information requise, y compris en braille. Un dispositif qui a rapidement intéressé le gouvernement espagnol (dès 2009 en fait), confronté comme en France aux gaspillages.
Selon une étude conduite en 2007 à Malaga, les armoires à pharmacie des Espagnols vivant dans cette province du sud du pays comportaient une moyenne de 24 médicaments dont seulement 14 % faisaient l’objet d’un usage régulier tandis que 11 % étaient périmés et 75 % restaient inutilisés. Mais les débuts n’ont pas été simples. « Nos deux premiers lancements, le paracétamol et l’ibuprofène, étaient loin d’être suffisants pour créer le changement de mentalité dans l’usage du médicament dont nous avions besoin pour démarrer ce projet », se rappelle Rosa Pardina. D’où une remise à plat de la stratégie et une série de lancements qui ont conduit cette entreprise de 15 salariés à un nouveau départ en 2012. Dans ces conditions, dresser un bilan de la vente des médicaments unidoses en Espagne serait prématuré, mais certaines tendances se dessinent déjà.
La Catalogne aurait économisé 22 millions d’euros en un an
La première tendance est l’économie potentielle pour le SNS, le Sistema Nacional de Salud espagnol. D’après une étude menée pendant quatre mois dans deux centres de santé de Catalogne entre fin 2012 et début 2013 et à partir des 20 références de Onedose Pharma, le gain, en termes d’économies, serait de 3,8 euros et de 19 doses par habitant et par an. A l’échelle de la Catalogne, cela représente un gain annuel de 22 millions d’euros et de 133 millions de doses, soit un écart de 24 % par rapport à la même dépense si ces médicaments avaient été prescrits de façon traditionnelle (revue Atención Primaria, février 2013). Autre tendance signalée par Rosa Pardina et qui peut surprendre : la diminution du taux d’erreur dans les prescriptions pour les patients polymédiqués. Pour l’oméprazole et le paracétamol, une étude récente menée en milieu hospitalier à Barcelone a montré que l’usage des unidoses d’Onedose faisait tomber ces taux d’erreur respectivement de 1,01 % à 0,27 % et de 1,06 % à 0,13 % (European Journal of Clinical Pharmacology, mars-avril 2013). Que pensent les pharmaciens espagnols de cette nouvelle pratique ?
« Petit désavantage en termes de recettes pour l’officine
Pour le Collège des pharmaciens à Barcelone (l’équivalent de notre Ordre), cette innovation ne fait pas vraiment l’unanimité. « Nous sommes ouverts à tout ce qui peut réduire la dépense sanitaire, mais n’oublions pas que, dans la plupart des cas, les labos ont déjà adapté leurs conditionnements à la durée des traitements, de sorte que les unidoses n’auraient d’intérêt que dans les cas d’inadéquation entre les premiers et les seconds, ce qui limite quelque peu leur portée », fait observer le vice-président du collège, Francesc Pla. Installé en plein centre de Barcelone, Carlota Bernal avoue ne pas délivrer, pour le moment du moins, de médicaments unidoses : « Pour des médicaments qui sont vendus très bon marché en boîtes, comme le paracétamol, l’ibuprofène ou même l’oméprazole, cela revient plus cher pour le patient et, pour les antibiotiques, le gain est marginal. Je ne suis pas contre le principe, mais j’attends de voir des produits où ce dispositif représenterait pour nos clients un intérêt plus manifeste. »
De son côté, l’agence espagnole du médicament (AEMPS) est plus enthousiaste. « Je crois que les médicaments vendus en doses uniques, tels que nous les avons autorisés en Espagne, ne sont en aucun cas une menace pour la santé publique. Nous voyons au contraire plusieurs avantages à essayer ce type de packaging », déclarait récemment César Hernandez Garcia, l’un des responsables de l’AEMPS, dans une interview donnée début 2013 au magazine Pharmanetwork. Parmi ces avantages, il cite la possibilité, en cas de risque d’intolérance d’un patient à un principe actif, d’ajuster la prescription.
La P-DG de Onedose Pharma reconnaît elle-même que son produit, souvent vendu au même prix unitaire que le médicament en boîte, peut représenter « un petit désavantage en termes de recettes pour l’officine, mais que celui-ci est compensé par la qualité du service ». Selon la société, outre une manipulation du produit réduite à son strict minimum lors de la préparation de la prescription et une traçabilité parfaite, la logistique est simplifiée puisqu’il est possible de préparer plusieurs ordonnances à partir d’une seule référence (les unidoses sont normalement livrées en boîtes de 50 ou de 100).
Peu importent les réticences, Onedose Pharma sait que la politique de réduction des dépenses de santé joue en sa faveur, et l’entreprise s’efforcera dans les prochains mois de sensibiliser le corps médical tout en étoffant son offre et en s’internationalisant pour gagner en masse critique.
L’ESSENTIEL
• L’article 37 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2014 prévoit une expérimentation de la dispensation à l’unité des antibiotiques pendant trois ans, pour lutter contre le gaspillage et l’antibiorésistance.
• L’USPO réclame la création d’un groupe de travail, dénonçant une mesure prise sans concertation préalable avec la profession.
• Au Congrès national des pharmaciens, la FSPF se dit prête à accompagner le dispositif.
• Dans le « Journal de l’Ordre » du mois de novembre, Isabelle Adenot critique violemment ce projet.
• En Espagne, le dispositif de dispensation à l’unité est réalisé à l’initiative des pharmaciens.
Un groupe de travail créé « prochainement »
Absente à la 26e Journée de l’Ordre des pharmaciens le 21 novembre, Marisol Touraine, ministre de la Santé, a annoncé via un message vidéo la création prochaine d’un groupe de travail en lien avec le projet d’expérimentation de la dispensation à l’unité de certains antibiotiques. Sa mission : « régler ce que certains ont appelé les questions “d’intendance” que pose ce projet », a-t-elle expliqué, faisant référence à une formulation employée par la présidente de l’Ordre, Isabelle Adenot. L’instance nationale est toujours vent debout contre cette expérimentation, reprochant au gouvernement le manque de concertation sur ce sujet.
L.T.
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