À QUI PROFITE LA GUERRE ?
Quand MAM et Dodie s’affrontent, les pharmaciens comptent les points et tirent leur épingle du jeu. Profitant de cette émulation et de l’innovation renforcée par la nouvelle concurrence, les officinaux donnent un coup de jeune à leur rayon bébé. L’un des seuls porteurs de promesses.
En janvier dernier, Dodie et son fabricant autrichien MAM mettaient fin avec fracas à leur partenariat. Alors qu’ils jouaient quasi en solitaire dans la cour des grands sous la marque Dodie-MAM, avec 60 % de part du marché, chacun a repris ses billes pour évoluer sous sa propre marque. Aujourd’hui, le conflit n’est toujours pas réglé, mais la situation s’est apaisée dans les officines. « Nos équipes, comme nos clients, n’ont pas compris la coexistence de ces deux entités », décrit Germaine Poulet, titulaire de la Pharmacie Baltard à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), située face à une maternité qui compte 3 700 naissances par an. « Il a fallu faire de la pédagogie, expliquer aux clients que les biberons Dodie étaient en fait jusque-là des biberons fabriqués par Mam. Il y a eu un effet un peu brouillon », se souvient Marie Tyssandier, titulaire de la Pharmacie Bailly à Paris.
1 Divorce et cohabitation
La bascule MAM/Dodie n’a pas été aisée. Certaines officines sont restées sur leur stock, sans espoir de reprise. D’autres, après une saison de superpromos, se sont résolues à se séparer de leur stock auprès d’associations caritatives !
Parmi les fabricants, deux nouveaux venus se sont fait une place auprès des deux belligérants. Gifrer, avec ses biberons de voyage, et Luc et Léa, des laboratoires Gilbert, dont les premiers modèles ont été lancés en janvier dernier. « Cela faisait deux ans que nous planifions notre première gamme et, de fait, nous sommes arrivés au bon moment », reconnaît Sandra Bourbon, chef de produit Luc et Léa. La marque a su profiter de sa notoriété d’« acteur de la sucette » (présente dans une pharmacie sur quatre) pour imposer ses biberons ludiques et colorés en complémentarité de la technicité de ceux d’Avent fabriqués par Philips et distribués par Gilbert (part de marché* de 21 % en valeur, biberons et accessoires compris pour les marques Avent et Luc et Léa), avec un positionnement de prix sensiblement équivalent à ceux de MAM (25 % de PDM*) et Dodie (50 % de PDM*).
2 Le biberon crée un appel d’air
Du fait de cette bagarre, les pharmaciens redécouvrent le potentiel du segment, déclenché par le retour des laits maternisés confirmé depuis deux ans. Le marché de l’alimentation infantile a progressé de 3,1 % en valeur en 2012*. Si ces produits offrent peu de marge, les pharmaciens leur ont tout de même laissé une large place dans leur rayon, car « les ventes additionnelles suivent dans 60 à 70 % des cas », note Marie Tyssandier. Pour preuve, les ventes de biberons et accessoires ont explosé de 17 % en valeur entre avril 2012 et avril 2013** !
« Depuis le mois de mai, date à laquelle nous avons doublé notre surface de vente consacrée à la nutrition des bébés, nous enregistrons une hausse de 20 à 30 % de nos ventes », se félicite Carole, diététicienne responsable du rayon bébé de la Pharmacie de Paris à Nantes. Cette officine, qui distribue une trentaine de laboratoires spécialistes du bébé, a clairement identifié le besoin en conseil des mamans, au point d’y affecter quatre salariées. De même, la lingerie d’allaitement, autrefois reléguée au rayon orthopédie, trouve désormais sa place entre biberons et laits maternisés. Et l’équipe commence même à vendre un nouveau produit d’appel, les petits pots bio !
3 Relais de croissance
Les pharmacies sont parvenues à reprendre à leur compte la fidélité des consommateurs aux marques. « Nous ne sommes pas sur un marché volatil, les mères adeptes d’une marque privilégient le côté sécuritaire de l’officine. Le marché de la petite enfance les fera par la suite revenir pour les vaccins, les ordonnances… », décrit Arnaud Becker titulaire à Monteux (Vaucluse). Dans cette zone rurale, il est parvenu à imposer cette diversification dont il revendique la légitimité dans un périmètre de 50 kilomètres. Il consacre à bébé 1/7 de sa surface de vente qui est de 100 m2, dans un rayon qui connaît une croissance annuelle de 20 %.
Les fabricants poursuivent eux aussi cette diversification. Bébisol lance des sucettes nouveau look. MAM un anneau de dentition dans sa boîte de stérilisation par micro-onde. Dodie s’apprête à se lancer dans les tire-lait, les chauffe-biberons, les goupillons, mais également dans le petit matériel de soins et de puériculture (assiettes, mixer électrique…). Alain Boutboul, son P-DG, ne cache pas vouloir faire évoluer Dodie en marque d’accessoires de petite puériculture. Sa volonté d’introduire la vaisselle pour enfants, un terrain déja occupé par d’autres acteurs, créé déjà la surprise chez plus d’un pharmacien.
* IMS, Ospharm et laboratoires
** sources IMS.
Les biberons partent en campagne
A peine a-t-il pris son indépendance dans l’hexagone que l’autrichien MAM, numéro un de la sucette outre-Atlantique, brigue déjà la première place sur le marché français. Il entend bien talonner son ex-client Dodie, leader du biberon français, et le concurrencer sur la longueur d’avance qu’il détient en termes de notoriété et de parts de marché. MAM n’y va pas par quatre chemins : une campagne télévisée suivie d’une campagne d’affichage dans les quelque 8 000 officines clientes, « lieux de distribution d’une production experte », décrit Lionel Chenais, directeur général de MAM Baby France. Et de souligner les éléments différenciant sa société de ses concurrents : des tétines plates rappelant le sein maternel, un fond de biberon dévissable permettant une ventilation par le bas et le mini-anneau de dentition en forme de X. Un tiers des effectifs sont affectés à la recherche et au développement. Lionel Chenais assure que les produits sont fabriqués en Allemagne et en Autriche et que la Hongrie ne s’occupe que du conditionnement. Une taille européenne dont l’éventuelle force de frappe pourrait bénéficier à sa conquête du marché français.
C’est en tout cas ce que redoute Alain Boutboul, nouveau président des laboratoires Polivé – qui a racheté Dodie à Johnson & Johnson fin 2012. Depuis leur scission, les deux entités, quand elles ne se livrent à un bras de fer juridique, rivalisent en innovation. La marque « made in France » Dodie a lancé début septembre un anneau de dentition en forme de lapin avec gel gingival incorporé dans les oreilles, puis le goupillon adapté aux biberons triangulaires avec deux points de contact sur l’évier. En janvier, Dodie sortira sa brosse à cheveux et d’autres produits autour de l’allaitement (coussinets lavables, chaud/froid, crème de soins pour mamelons…). L’innovation, c’est le nerf de la guerre répète à l’envi Alain Boutboul. Il n’en délaisse pas pour autant le front de la communication. A grand renfort de merchandising, de présentoirs en forme de biberon ou avec des broches pour les sucettes et tétines, Dodie entend soutenir la force de vente des pharmaciens. En revanche, pas besoin de campagnes télévisées. « C’est bon quand on doit expliquer le produit, lâche Alain Boutboul, un rien provocateur. Or, nous avons la chance qu’un Français sur deux a eu un biberon Dodie en bouche au cours de sa vie ! »
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