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Qui a peur du grand méchant loup ?
Avec des milliers d’agents répartis sur l’ensemble du territoire, la Direction générale du commerce, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) dispose d’un réseau de surveillance implacable. Si elle se veut intransigeante sur les prix et la concurrence, notamment, elle souhaite aussi pouvoir donner des conseils aux officinaux.
Ils sont 3 000 agents de la DGCCRF répartis dans 101 directions départementales (DDCCRF) autonomes. Un maillage serré, au plus proche de leurs cibles : les commerces et les entreprises. Leurs missions : favoriser le libre jeu de la concurrence, garantir la qualité et la sécurité des produits et services, protéger les intérêts économiques du consommateur (lire encadré page 25).
Leurs armes : les contrôles – individuels d’abord, collectifs si plusieurs cas similaires sont signalés -, souvent le fruit de dénonciations, particulièrement dans l’industrie pharmaceutique. « Aujourd’hui, je ne peux toujours pas le prouver, mais je suis convaincu que notre contrôle fait suite au licenciement d’une de nos employées », témoigne un titulaire épinglé l’année dernière. Mais la plupart des contrôles restent liés à la curiosité des agents, à des découvertes fortuites, parfois même dans leur vie quotidienne. Tel cet hospitalier racontant, lors d’un dîner auquel assiste un agent de la DGCCRF, que sur les dix entreprises de transferts sanitaires contactées par son service, seule une a fait une offre. Le lendemain, une fiche d’indice de pratiques anticoncurrentielles remontait sur le bureau de ses responsables. « Il y a quelques jours, dans une pharmacie, je décèle un défaut d’étiquetage, raconte Anne Dux, chef du bureau de la santé à la DGCCRF. Je m’en étonne au comptoir. De fil en aiguille, la pharmacienne, qui ne connaissait pas ma qualité professionnelle, m’avoue que les prix qu’elle pratique lui sont imposés par le fabricant. J’ai demandé une enquête. » Et ce système d’alerte fonctionne à plein.
Les officinaux pas plus visés que d’autres.
En 2002, la DGCCRF a procédé à 900 000 contrôles. Quasiment 800 000 concernaient la consommation, la sécurité et la qualité des produits et services, 100 000 la concurrence et les prix. 77 000 rappels de réglementation ont été notifiés et 18 900 procès-verbaux transmis aux parquets. Qu’on se rassure : aucune profession n’est spécifiquement dans le collimateur des limiers de Bercy. « On ne se lève pas le matin en se disant : tiens, aujourd’hui, on va contrôler les kinés ou les dentistes ! Nous n’avons pas de professions sous surveillance », assure Anne Dux. Mais attention, la DGCCRF reste très à cheval sur certains principes ! L’application des nouvelles réglementations en fait partie. L’affichage des prix des médicaments non remboursables, devenu une obligation le 1er juillet dernier, est évidemment sur la sellette. Il devrait donc faire l’objet d’un « contrôle éducatif » généralisé dans les semaines qui viennent. « Nous vérifierons que les pharmaciens savent faire et font, prévient Anne Dux. Si ce n’est pas le cas, avec le rappel à la réglementation, nous leur montrerons comment faire. » Mais gare au second passage !
La DGCCRF ne plaisante pas non plus avec la liberté des prix et la concurrence. Elle en a fait son principal cheval de bataille pour ce qui concerne les pharmaciens. A croire les fonctionnaires de Bercy, d’autres motifs d’enquête et de contrôle, comme les remises commerciales ou les contrats de coopération, un temps sous le feu des projecteurs, ne semblent plus d’actualité malgré l’effervescence du marché des génériques et la mise en place des TFR. Le ministre de la Santé n’aurait toujours pas donné d’instructions à ce sujet…
« En dehors des médicaments remboursables, les prix sont libres », clame haut et fort la DGCCRF. Les pharmaciens restent trop timorés à son goût, accusés de ne pas suffisamment jouer le jeu de la concurrence sur les prix, se cachant derrière le risque encouru de mettre rapidement leur fonds en péril. « La concurrence sur les prix ne concerne que 20 % de leur chiffre d’affaires, assène Anne Dux. Je remarque, par exemple, que beaucoup de pharmaciens appliquent un coefficient multiplicateur uniforme. Ils n’ont pas de politique de prix. Je veux bien que les répartiteurs étiquettent les produits pour eux, ce qui correspond à un vrai service, mais il faut que les pharmaciens restent vigilants. »
Pour obliger les officinaux à sortir de leur torpeur supposée, la DGCCRF verrait d’un bon oeil l’élargissement de la concurrence avec les parapharmacies et les grandes et moyennes surfaces, histoire d’aiguiser les appétits. Elle réalise actuellement des relevés de prix dans 15 départements. Dans chacun d’eux, trois pharmacies, trois grandes surfaces et trois parapharmacies font l’objet de visites.
Les résultats viendront alimenter les travaux d’un groupe de travail du Conseil national de la concurrence, dépendant de la DGCCRF, dont l’objet est de clarifier la situation des produits dits « frontière » (lire encadré p. 28).
La DGCCRF partenaire des officinaux ?
Cette liberté totale sur les prix prônée par la DGCCRF fait grincer des dents. « Oui, les prix sont libres, mais cette liberté est encadrée par les contraintes du droit pharmaceutique, rappelle ainsi Isabelle Adenot, présidente de la section A de l’Ordre : « Tact et mesure sont demandés par le code de déontologie, sur les prix des spécialités non remboursables comme l’information sur les prix. La sollicitation de clientèle est contraire à la dignité de la profession et il est interdit d’inciter les patients à une consommation abusive de médicaments. Il en va de la santé publique. Le médicament n’est pas une marchandise comme les autres. Nous sommes des chefs d’entreprise mais d’abord des professionnels de santé. » « On aimerait bien qu’ils le soient !, répond Anne Dux lorsqu’on lui pose la question. Les pharmaciens eux-mêmes n’arrivent pas à identifier en quoi ils pourraient être des professionnels de santé. Ils laissent passer 30 % de prescriptions non conformes. S’agissant de la publicité ou la liberté des prix, nous ne sommes pas pour la paix des ménages. Si les pharmaciens sont poursuivis par l’Ordre, qu’ils viennent nous voir. Nous les aiderons à le poursuivre devant le Conseil de la concurrence. Le code de déontologie ne peut pas s’opposer aux règles de la concurrence. »
La DGCCRF, Zorro des pharmaciens discounters ? Trop souvent perçue comme « le grand méchant loup » à ses yeux, la DGCCRF souhaite se poser en partenaire des officinaux. « Les portes des directions départementales leur sont ouvertes, explique Anne Dux. Nous devons donner aux acteurs de l’économie les moyens de ne pas commettre d’erreurs et, à mon sens, notre rôle de conseil est beaucoup plus important que la répression. Malheureusement les professions à exercice unipersonnel méconnaissent ce service qu’on peut leur rendre. »
Relations commerciales, relations avec les fournisseurs, grossistes ou labos, précisions sur l’interprétation d’un texte ou d’une obligation légale, mises en place d’actions commerciales…, les 3 000 agents de la DGCCRF se veulent au service des pharmaciens.
Les missions de la DGCCRF
Ses activités s’organisent principalement autour de trois pôles :
– Le libre jeu de la concurrence
La DGCCRF fait la chasse aux ententes illicites et autres abus de position dominante qui pourraient fausser le fonctionnement du marché. Elle examine les opérations de concentration risquant d’aboutir à un déséquilibre excessif et traque abus et pratiques déloyales : prix imposés, discriminations, revente à perte… Elle veille, enfin, à la transparence des procédures de marchés publics et de délégations de service public.
– La sécurité des consommateurs
C’est à travers cette mission que la DGCCRF est la plus connue du grand public, notamment pour ses contrôles concernant la sécurité alimentaire. Elle définit les règles d’étiquetage, de composition et de dénomination des marchandises, et vérifie la conformité du produit à son étiquetage. En 2002, la DGCCRF a particulièrement accru ses contrôles sur les secteurs qui connaissent un essor rapide comme la nutrition et les produits diététiques et sur les domaines à risque comme les sports et loisirs.
– La protection des intérêts économiques des consommateurs
Sa principale mission est de veiller à ce que les règles d’affichage des prix, des conditions de vente, des caractéristiques des produits et leur composition soient respectées. Elle contrôle la loyauté des pratiques commerciales telles que publicité, démarchage à domicile, vente à distance, annonces de rabais, clauses abusives de certains contrats…
Les compléments alimentaires aussi
« Les contrôles effectués par les directions départementales au cours de cette année ont révélé, comme les années précédentes, des taux de non-conformité très élevés », note le rapport d’activités 2002 de la DGCCRF à propos des compléments alimentaires. La composition et l’étiquetage d’environ 4 750 d’entre eux, importés, fabriqués ou commercialisés par 670 entreprises, ont été contrôlés l’année dernière. Bilan : de nombreux produits contenaient des substances ou des ingrédients non autorisés, notamment des plantes ou leurs extraits, mais aussi des vitamines et des éléments minéraux à des doses supérieures aux apports journaliers recommandés.
« Un nombre croissant de compléments alimentaires contiennent des plantes ou des extraits de plantes dont l’usage n’est pas traditionnel en alimentation humaine et qui sont souvent utilisés pour leurs propriétés médicinales », note encore la DGCCRF. De nombreuses anomalies d’étiquetage ont également été constatées. 89 procès-verbaux ont été dressés et environ 196 rappels à la réglementation effectués.
La publication au Journal officiel des Communautés européennes, le 12 juillet 2002, de la directive 2002/46/CE du 10 juin 2002, destinée à harmoniser les règles de composition et de présentation de ces produits, pourrait permettre d’améliorer la libre circulation des compléments alimentaires tout en garantissant une meilleure protection du consommateur. Mais cette directive européenne n’a toujours pas été transposée en droit français…
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