- Accueil ›
- Thérapeutique ›
- Médicaments ›
- Recherche et innovation ›
- Les bactéries font de la résistance
Les bactéries font de la résistance
La plupart des bactéries opposent une résistance de plus en plus farouche aux antibiotiques. Staphylococcus aureus et Streptococcus pneumoniæ, notamment, pourraient à tout moment provoquer de véritables épidémies. Pour y faire face, les épidémiologistes bénéficient aujourd’hui de moyens de surveillance renforcés. Mais ils ne suffiront pas si les Français restent les premiers consommateurs européens d’antibiotiques.
L’émergence de résistances fait partie de l’histoire et de l’évolution naturelle des bactéries. C’est un phénomène observé depuis le début de l’antibiothérapie, à la fin des années 40. Toutes les espèces microbiennes en génèrent. Il a longtemps été sous-estimé voire ignoré parce que de nouvelles molécules ont été régulièrement mises sur le marché.
La prise de conscience du problème majeur de santé publique que représente l’antibiorésistance date du milieu des années 90. Quoique très préoccupante, la situation actuelle n’est pas encore catastrophique mais elle peut le devenir. A l’heure actuelle, le risque concerne tous les français. Depuis cinq ans déjà, le Pr Antoine Andremont, du service de bactériologie au CHU Bichat-Claude-Bernard, et ses collègues redoutent une épidémie causée par deux bactéries hautement résistantes : Staphylococcus aureus et Streptococcus pneumoniæ : « La probabilité d’épidémie en 2003 est plus grande qu’il y a cinq ans parce que les bactéries résistantes sont plus nombreuses. »
Explosion de la consommation d’antibiotiques.
La France est le pays d’Europe où la consommation d’antibiotiques est la plus élevée. En ville, où sont réalisées 80 % des prescriptions, la moitié est pourtant inappropriée. En moyenne, un enfant reçoit trois traitements antibiotiques par an : ce sont les premiers consommateurs. Les animaux ne sont pas en reste : ils consomment 50 % des antibiotiques !
La cause principale est la pression de sélection antibiotique. « Quand on administre un antibiotique à un patient, explique Hélène Aubry-Damon, médecin microbiologiste et épidémiologiste au département des maladies infectieuses à l’Institut national de veille sanitaire (INVS), la molécule tue immédiatement les bactéries sensibles et fait également émerger dans la flore digestive de l’hôte des bactéries qui présentent naturellement une mutation qui la rend résistante à l’antibiotique. Cette flore est le lieu le plus favorable pour l’échange des gènes de résistance. C’est pourquoi il faut réserver les antibiotiques aux traitements des vraies infections bactériennes. »
La transmission secondaire est un autre facteur favorisant l’émergence des résistances. Elle implique que deux individus dont un malade, soient en contact rapproché et prolongé. Ce mode de transmission interhumaine est primordial en milieu hospitalier : la population y est fragile, ce qui concourt à la transmission des bactéries, et reçoit des soins de la part de soignants qui, s’ils ne respectent pas des règles d’hygiène strictes, y participent également.
« La résistance ne donne pas de virulence particulière à une bactérie. Une bactérie résistante est simplement plus difficile à traiter », rassure toutefois Antoine Andremont.
La résistance d’une bactérie est clairement associée à une baisse de l’activité de l’antibiotique. Par ailleurs, certains sujets sont plus exposés que d’autres, en particulier les personnes hospitalisées. Un patient immunodéprimé est plus fragile et une bactérie non pathogène, pour un sujet en parfaite santé, devient pathogène chez lui. En ville, les consommateurs d’antibiotiques sont les plus exposés : les jeunes enfants mais aussi les sujets immunodéprimés, les personnes de santé fragile, les personnes âgées vivant en maison de retraite.
Une menace pour la santé publique.
Pour plusieurs espèces bactériennes pathogènes, certaines souches demeurent sensibles à un petit nombre d’antibiotiques. C’est le cas du pneumocoque, du bacille de la tuberculose, des staphylocoques et des entérocoques.
Streptococcus pneumoniæ est le germe qui donne le plus de souci en ville, d’autant qu’il est impliqué dans de nombreuses pathologies (otites, sinusites, méningites), surtout chez l’enfant. Le nombre de bactéries de sensibilité diminuée à la pénicilline G ne cesse d’augmenter. En 1997, 40,5 % des souches sont de sensibilité diminuée à la pénicilline (PSDP) et 13,5 % sont résistantes (PRP). Par ailleurs, les résistances à l’érythromycine, au cotrimoxazole, à la tétracycline et au chloramphénicol sont importantes. En 2001, la prévalence des PSDP chez l’enfant est toujours supérieure à celle chez l’adulte : 71 % contre 46 % alors qu’elle était de 53 % et de 40 % en 1999.
La France est le pays européen où l’incidence des PSDP est la plus élevée. « Deux mesures peuvent limiter la résistance du pneumocoque : la vaccination, qui a un impact sur le portage, et la moindre consommation d’anti-infectieux. Mais le vaccin à lui seul ne constitue pas une solution totalement efficace. Il faut que les deux attitudes soient combinées », précise Didier Guillemot, pharmacoépidémiologiste à l’Institut Pasteur.
Staphylocoque doré sous haute surveillance.
« Autre fait préoccupant, le niveau de résistance de Neisseria meningitidis augmente. En 2000, 26,6 % des souches responsables de méningites sont de sensibilité diminuée à la pénicilline G. Depuis 1995, le pourcentage de résistance à la ciprofloxacine de Neisseria gonorrhoeæ progresse (il est de 3,3 % en 2000) ainsi que le nombre de gonococcies chez l’homme et la femme depuis 1998, en Ile-de-France surtout », s’inquiète Hélène Aubry-Damon.
Helicobacter pylori, germe responsable de la maladie ulcéreuse gastroduodénale, est également associé à une progression des taux de résistance à la clarithromycine : de 14 % en 1998, elle est passée à 18 % en 2000. La résistance d’Hæmophilus influenzæ aux aminopénicillines est de 35 % en 2000. « C’est particulièrement préoccupant pour les souches non productrices de bêtalactamase (4,4 % au sein de l’espèce en 2000), puisque l’activité de toutes les bêtalactamines est diminuée et que les infections dues à ces souches non capsulées ne sont pas prévenues par la vaccination », explique Hélène Aubry-Damon.
Autre chiffre, celui de 43 % pour la résistance d’Escherichia coli à l’amoxicilline en 2000. La tuberculose, enfin, pose le problème des multirésistances en ville. Le taux de résistance aux antituberculeux et la multirésistance de Mycobacterium tuberculosis (0,7 %) restent stables et faibles depuis cinq ans chez les nouveaux malades. Mais la multirésistance acquise chez les patients déjà traités par deux antituberculeux (isoniazide et rifampicine) atteint 8,5 %.
A l’hôpital, le staphylocoque doré, germe multirésistant, est sous très haute surveillance. Il y a cinq ans, la proportion médiane de Staphylococcus aureus résistants à la méticilline (SARM) était de 30 % alors qu’il était de 23 % en 1990. Une enquête de prévalence nationale des infections nosocomiales en 2001 montre que près de 64 % des souches résistent à la méticilline contre 57 % en 1996.
Si la vancomycine reste l’antibiotique le plus efficace sur les infections à SARM, il existe en France depuis quelques années des souches de SARM de sensibilité diminuée à ce glycopeptide et des souches résistantes aux Etats-Unis où deux cas cliniques ont été isolés en 2002.
Réduire la consommation de 25 % en France.
Des solutions pour diminuer l’antibiorésistance sont envisagées : une surveillance de résistance microbienne, de la consommation d’antibiotiques et des retentissements des actions menées par les pays sur le bon usage des antibiotiques. Depuis la mise en place en 2002 du programme de sensibilisation du grand public et des professionnels de santé en France, le slogan « Les antibiotiques, c’est pas automatique » a été compris.
Les patients, avides d’informations, sont plus disposés à dialoguer avec leur médecin qui dispose désormais du test de diagnostic rapide de l’angine. Ainsi, 24 % des Français pensent qu’un antibiotique est efficace dans tous les cas d’angine en 2003 contre 42 % un an auparavant. « On peut raisonnablement espérer une réduction des proportions des souches résistantes par rapport aux souches sensibles à condition de s’en donner les moyens et de les maintenir », affirme Didier Guillemot. Il suffirait que la consommation antibiotique soit réduite de 25 % pour que la France atteigne un niveau de consommation raisonné et un risque moindre de développement des résistances.
Pour le moment, le nombre de prescriptions d’antibiotiques a diminué de 10,2 % (entre le mois de septembre 2002 et le mois de février 2003), sachant qu’il n’y a pas eu d’épidémie de grippe l’année dernière. L’abaissement des niveaux de résistances suit rapidement, en trois à quatre mois, une diminution de la consommation d’antibiotiques d’après Didier Guillemot, qui participe, avec l’INSERM, à l’analyse sur trois ans de la consommation en France.
Mais l’évaluation précise de la baisse de la résistance ne peut se juger qu’à long terme parce que ce phénomène est corrélé aux expositions fluctuantes aux antibiotiques (en fonction de l’importance des infections) et à un système d’information et de mesure de la résistance réactif. « En France, réduire à néant un niveau de résistance est un objectif irréaliste, poursuit Didier Guillemot. En Islande, il n’y a plus de pneumocoques résistants. Mais il s’agit d’un petit pays, dans lequel la population réside essentiellement dans la capitale, et où le niveau de résistance au pneumocoque était beaucoup plus faible qu’en France. »
Un autre problème est la baisse importante de la commercialisation de nouvelles molécules. L’industrie pharmaceutique se désengage notamment parce que les coûts de la recherche sont trop élevés par rapport au retour sur investissement, d’autant plus lorsque les instances officielles font campagne pour réduire la consommation d’antibiotiques. « Pour baisser durablement la consommation d’antibiotiques tout en intéressant l’industrie pharmaceutique, ne faudrait-il pas revoir le prix de ces médicaments ?, interroge Antoine Andremont. Ne devraient-ils pas être chers puisqu’il faut peu les prescrire ? »
Repères
1877 : difficulté de multiplication d’un micro-organisme en présence de moisissures (Pasteur, Joubert).
1897 : description de l’inhibition de la croissance de micro-organismes par un pénicillium (Duchesne).
1929 : découverte de l’inhibition de staphylocoque doré par une culture de pénicillium (Fleming).
1940 : synthèse de la pénicilline (Chain).
1942 : production industrielle de la pénicilline.
1943 : découverte de la streptomycine.
La surveillance en France
La surveillance de la résistance bactérienne aux antibiotiques s’est réellement organisée depuis la fin des années 90. Différents réseaux ont été mis en place tant en ville qu’à l’hôpital afin de connaître précisément l’ampleur du phénomène et ses composantes.
C’est en 1973 qu’ont été créés les premiers comités de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN), chargés de définir les priorités en matière de lutte contre les infections acquises à l’hôpital. Depuis 1998, des CLIN sont présents dans chaque hôpital public. ils forment le personnel, l’éduque au respect des bonnes pratiques d’hygiène et participent à la surveillance de la résistance.
En 1997 est né l’Observatoire national de l’épidémiologie de la résistance bactérienne aux antibiotiques. Il rassemble et analyse les informations disponibles à propos de l’évolution des résistances bactériennes, les compare aux données étrangères. Il met aussi en place de nouvelles études.
Le Centre national de référence des antibiotiques, à l’Institut Pasteur, assure depuis 1974 l’entretien de la collection de souches bactériennes de référence et évalue l’activité in vitro des nouveaux antibiotiques. Il étudie les mécanismes de résistance bactérienne aux antibiotiques et travaille au perfectionnement des techniques et des appareils de détection de la résistance.
Les observatoires des maladies transmissibles, les centres nationaux de référence, sont des laboratoires en microbiologie. Chacun est notamment chargé de surveiller un type de bactérie et l’évolution de sa résistance aux antibiotiques pour lequel il émet des données annuelles.
Enfin, l’Institut national de veille sanitaire est chargé de la surveillance des maladies infectieuses. Le département des maladies infectieuses coordonne les différents systèmes de surveillance et transmet les données des réseaux européens.
Lexique
Antibiotique : substance chimique élaborée par des micro-organismes ou produite par synthèse, capable d’inhiber la multiplication ou de tuer d’autres micro-organismes. Il est inactif sur les virus.
Indications : en curatif ou en prophylaxie avant et/ou après une intervention chirurgicale, chez les immunodéprimés.
CMI (concentration minimale inhibitrice) : concentration la plus faible d’un antibiotique capable d’empêcher le développement d’un micro-organisme particulier.
CML (concentration minimale létale) : concentration la plus faible capable de tuer le micro-organisme.
Plasmide : petit fragment d’ADN circulaire présent dans les bactéries mais distinct du chromosome bactérien. Il dissémine parmi les bactéries par le processus de conjugaison.
Transposon : morceau d’ADN se déplaçant d’une région à l’autre du chromosome, du chromosome au plasmide ou d’une bactérie à une autre.
- Tramadol et codéine : les points clés de l’ordonnance numérique sécurisée
- Analogues du GLP-1 : le conseil constitutionnel impose au médecin d’informer de la non-prise en charge
- Petit récap des nouvelles règles sur le tramadol et la codéine au 1er mars 2025
- Rupture de stock de Iopidine : par quoi le remplacer ?
- Quétiapine : pas de retour à la normale avant l’automne
- Pénuries de médicaments : la France et neuf États membres interpellent Bruxelles pour sécuriser l’approvisionnement
- Difficultés économiques : de quoi se plaignent les pharmaciens d’officine ?
- Bon usage du médicament : le Leem sensibilise les patients âgés
- Prophylaxie pré-exposition au VIH : dis, quand reviendra-t-elle ?
- Indus, rémunération des interventions pharmaceutiques, fraudes… L’intérêt insoupçonné de l’ordonnance numérique
