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De la croix à la carotte
Des cigarettes sans tabac, adjuvants des cures de désintoxication tabagique, vendues chez les débitants de tabac. Vous avez bien lu. Les pharmaciens pourraient bientôt faire une croix sur les cigarettes NTB. Et pourquoi pas un jour sur les substituts nicotiniques ?
Les cigarettes NTB en stock pourront être écoulées par les pharmaciens jusqu’au 1er janvier », écrit la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) dans une missive envoyée conjointement à Arkopharma, le laboratoire fabriquant les cigarettes, et à l’ordre national des pharmaciens.
Reprenant le Code général des impôts (564 decies), elle y explique que les « cigarettes et produits à fumer, même s’ils ne contiennent pas de tabac », sont assimilés aux tabacs manufacturés, « à la seule exclusion des produits qui sont destinés à un usage médicamenteux ». Ce qui, selon les douanes, n’est pas le cas des NTB. Car, argumente-t-elle, dans ce domaine (art. L. 5121-2 du Code de la santé publique), sont considérés comme médicaments « les produits présentés comme supprimant l’envie de fumer ou réduisant l’accoutumance au tabac. Auquel cas, une autorisation de mise sur le marché doit être délivrée pour que le produit soit considéré comme un médicament ». Or les cigarettes NTB ne disposent pas d’une AMM et ne sont considérées que comme « adjuvants dans les cures de désintoxication tabagique ». Puisque ces cigarettes ne sont pas des médicaments, mais assimilées à des tabacs manufacturés donc soumises à la fiscalité du tabac, « leur vente ne peut être effectuée que par le réseau des débitants de tabac (art. 568, CGI) », conclut la DGDDI. CQFD.
Volutes d’hypocrisie.
« Pourquoi, après 22 ans de vente de NTB en pharmacie, les services des douanes veulent-ils, tout à coup, lui faire payer des taxes sur les tabacs ?, s’interroge Max Rombi, président du conseil de surveillance d’Arkopharma. Est-ce pour faire plaisir aux buralistes, avec lesquels le gouvernement est en litige ? » « Encore fallait-il savoir que ce type de produit était vendu en pharmacie, répond benoîtement la DGDDI. Nous ne l’avons appris que très récemment, en discutant avec des collègues d’autres pays européens où ces cigarettes sont vendues et qui les taxent comme des produits de tabac manufacturés. Mais cette décision n’est pas liée à la situation des buralistes, c’est une question de fiscalité et de monopole. »
De leur côté, les buralistes plaident l’innocence. « Nous n’avons pas été informés de cette décision de manière officielle, assure la Confédération des débitants de tabac. Nous n’avons jamais eu de contact avec les douanes à ce sujet et nous n’avons exercé aucune pression sur quiconque. Nous n’avons pas pris part à cette décision. » Il semble néanmoins que dès le mois de septembre des associations de buralistes se soient rapprochées d’Arkopharma pour s’informer sur le statut des NTB et le moyen de les acheter. « Nous sommes des préposés de l’administration, indique la Confédération. Si on nous dit qu’un produit devra dorénavant être vendu par les buralistes, nous le ferons entrer dans le monopole. Mais ce n’est pas la vente de ces cigarettes qui va combler le manque à gagner des buralistes induit par la baisse des prix du tabac. »
Une question de santé publique.
Selon Arkopharma, le chiffre d’affaires des NTB serait de l’ordre de 2,5 millions d’euros hors taxes. Insuffisant en effet pour combler la baisse de chiffre d’affaires globale des buralistes estimée à plus de 200 millions d’euros… Mais ce premier pas n’en annoncent-ils pas d’autres ? : le passage d’autres produits de substitution nicotinique dans les bureaux de tabac… Certes, patchs et autres gommes disposent d’une AMM, mais sera-t-elle assez forte pour résister à la pression du lobby des buralistes ? Le gouvernement ne sera-t-il pas tenté de leur redonner du chiffre d’affaires ? La Confédération ne se cache pas de réfléchir à cette éventualité. « Vendre des substituts nicotiniques pour accompagner un plan de santé publique gouvernemental est une possibilité que nous étudions, de la même manière que la vente d’autres produits qui nous permettraient de retrouver une clientèle. »
Aller dans un bureau de tabac, souvent enfumé, pour acheter des produits permettant de s’arrêter de fumer… la perspective paraît absurde. « C’est comme si des produits végétariens étaient vendus chez les bouchers pour que les gens s’arrêtent de manger de la viande ! », raille Max Rombi.
Selon Arkopharma, il est pour le moment hors de question de vendre ses NTB aux buralistes, expliquant que la France, à travers son droit, a créé une « catégorie intermédiaire » de produits sans tabac, destinés à être fumés et pouvant avoir un usage médicamenteux. Une catégorie distincte de celle du médicament et des tabacs manufacturés. Elle s’appuie aussi sur la législation de pays comme la Belgique, l’Italie ou la Grande-Bretagne qui acceptent la commercialisation de ce type de cigarettes sans considérer qu’il s’agit de médicaments et sans les astreindre au paiement de taxes relatives aux tabacs manufacturés.
L’Ordre n’a pas encore pris position.
« En considérant la définition d’une cigarette médicinale selon la Pharmacopée française et le contenu précis des cigarettes NTB, à savoir des feuilles végétales de plantes reconnues comme médicinales [eucalyptus, menthe, noisetier, busserole, papaye, NdlR], il me semble que nous avons tous les arguments pour revendiquer la forme pharmaceutique traditionnelle pour notre produit, ce qui exclut un circuit de distribution autre que les pharmacies », explique enfin Max Rombi. Dans un premier temps, Arkopharma devrait tenter un recours amiable auprès des douanes avant peut-être d’ester en justice pour suspendre cette décision en attendant qu’un tribunal se prononce. Le laboratoire attend en tout cas de pied ferme la position de l’Ordre sur cette question. Lorsque nous l’avons interrogé mardi dernier, il n’a pas souhaité nous répondre, n’ayant pas encore pris de décision. Mais n’est-il pas temps pour la profession de s’interroger sur la vente de ces cigarettes dont de plus en plus de spécialistes dénoncent la nocivité ?
Tabacologues et douanes, même combat ?
Lors du dernier Club Santé, dont une des conférences était consacrée au sevrage tabagique, le Dr Anne Borgne, tabacologue à l’hôpital Jean-Verdier de Bondy (93), a rappelé que l’Afssaps déconseillait un certain nombre de thérapeutiques encore trop souvent proposées aux candidats à l’arrêt : acupuncture, mésothérapie, auriculothérapie, hypnose, laser et… cigarettes sans tabac ! Et de dire son incompréhension devant le fait que les pharmaciens puissent conseiller des traitements pour arrêter de fumer tout en continuant à vendre des cigarettes sans tabac. « D’ailleurs, nous nous battons pour supprimer la présence de ces cigarettes dans les pharmacies. »
Réaction : GÉrard Dubois Professeur de santé publique
Le simple fait d’inhaler un produit de combustion est cancérigène. La commercialisation de cigarettes sans nicotine en officine est incompréhensible, voire même dangereuse.
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