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Un revirement qui permet de ne pas être viré

Publié le 20 mai 2023
Par Anne-Charlotte Navarro
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Jusqu’à présent, le salarié qui prenait son courage à deux mains pour dénoncer des faits de harcèlement moral dont il était témoin pouvait se retrouver licencié. Depuis peu, la position du salarié dénonciateur est confortée. Explication de texte.

LES FAITS

 

Le 28 novembre 2002, Mme L. est engagée comme psychologue par l’association ST au sein d’un foyer d’accueil d’adolescents en difficulté. Au cours de l’année scolaire 2017-2018, elle adresse un courrier à plusieurs membres du conseil d’administration de l’association ST pour dénoncer le comportement du directeur du foyer. Exemples concrets à l’appui, elle indique que ce comportement a entraîné une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé. Par un courrier recommandé avec accusé de réception, elle est licenciée pour faute grave courant 2018. Elle conteste son licenciement devant les prud’hommes.

LE DÉBAT

 

L’article L.1152-1 du Code du travail définit le harcèlement moral comme « des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Le salarié qui dénonce de tels agissements de bonne foi ne peut pas être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire. Le Code du travail ajoute que la rupture du contrat de travail du salarié ayant dénoncé un harcèlement est nulle. Cette protection s’applique tant à la victime des faits qu’à ses collègues. Au regard de ces textes, Mme L. saisit les prud’hommes estimant que son licenciement a pour seule origine la dénonciation du comportement du directeur du foyer. Il est donc nul selon elle. Elle ajoute que la jurisprudence considère que la mauvaise foi du salarié ne peut résulter que de sa connaissance de la fausseté des faits dénoncés.

 

La cour d’appel de Caen (Calvados) déclare le 15 avril 2021 le licenciement de Mme L. nul. L’association ST forme un pourvoi en cassation. Pour elle, la nullité du licenciement d’un salarié dénonçant des faits de harcèlement ne s’applique que si, dans la lettre de licenciement, l’employeur reproche au collaborateur sa dénonciation. Or l’association accusait Mme L. d’avoir « gravement mis en cause l’attitude et les décisions prises par le directeur, M. [D], tant à [son] égard que s’agissant du fonctionnement de la structure ». De plus, elle souligne qu’à aucun moment dans son courrier de dénonciation Mme L. n’a qualifié les faits de harcèlement moral, ce qui, à son sens, au regard de la jurisprudence, empêche la salariée d’être protégée.

LA DÉCISION

 

Le 19 avril 2023, la Cour de cassation rejette le pourvoi de l’association ST et confirme que le licenciement est nul. Les hauts magistrats précisent que « le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce ». Cette nullité s’applique à condition que l’employeur ne puisse pas légitimement ignorer que le salarié dénonce des agissements de harcèlement à la lecture de la lettre. Ainsi, la Cour de cassation revient sur sa jurisprudence antérieure qui exigeait que le salarié utilise le terme « harcèlement moral » dans sa lettre de dénonciation. Employeurs et salariés sont donc désormais sur un pied d’égalité en cas de litige. L’employeur peut invoquer la mauvaise foi du salarié alors que ce dernier peut solliciter la nullité de son licenciement. Cette solution s’applique également en matière de harcèlement sexuel.

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À retenir

Le licenciement d’un salarié, victime ou non, dénonçant, de bonne foi, des faits de harcèlement moral est nul.

Cette protection s’applique même si, dans sa lettre de dénonciation, le salarié n’a pas explicitement indiqué les mots « harcèlement moral ».

Cependant, Il est nécessaire que la lettre soit assez explicite pour permettre à l’employeur de comprendre le sens des faits dénoncés.

  • Source : Cass. soc., 19 avril 2023, n° 21-21.053.