Socioprofessionnel Réservé aux abonnés

A Deauville, une Roselyne Bachelot protectrice mais intransigeante

Publié le 18 octobre 2008
Mettre en favori

Aide-toi, le ciel t’aidera. Ce fut encore une fois le message qu’a voulu faire passer Roselyne Bachelot lors de son intervention au 61e Congrès national organisé par la FSPF, l’APR et l’UTIP le week-end dernier à Deauville.

Les multiples attaques [contre la profession] doivent être contrées, non pas de manière défensive, mais proactive », a déclaré la ministre de la Santé devant ses confrères réunis au Congrès national. Par exemple en se lançant dans l’OTC en accès libre. Lequel « constitue une protection contre la diffusion de médicaments en grandes surfaces mais absolument pas une ouverture en ce sens ». « La baisse de 2,5 % des prix constatée par la FSPF est encourageante mais demande à être vérifiée sur le long cours. Il faudra plusieurs mois pour tirer un bilan », a précisé Roselyne Bachelot, qui souhaite « éviter aux patients le cauchemar de la recherche de médicaments au fond d’un corner de supermarché. »

Pour la ministre, être « proactif » c’est aussi se montrer intransigeant sur la qualité : « Le service autour de la dispensation est essentiel. C’est la première défense du monopole. […] Les compétences et les atouts des pharmaciens sont actuellement sous-exploités. Il est regrettable de voir certains jouer un rôle de simple commerçant, se contentant de délivrer la boîte indiquée sur l’ordonnance ou de conseiller le médicament pour lequel ils ont la meilleure remise. » Ce en quoi Thierry Barthelmé, président de l’UTIP, la rejoint, allant jusqu’à « envisager la rédaction de bonnes pratiques de dispensation à l’usage de l’officine » avec le ministère de la Santé.

Enfin, être « proactif », c’est aussi se lancer dans la gestion du forfait médicament des maisons de retraite, une « alternative au déploiement, prôné par certains, de PUI dans les groupements d’EHPAD ». Et de rappeler : « Ma détermination à défendre notre modèle pharmaceutique est intacte. Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. »

Autoriser explicitement le reconditionnement

La ministre confirme ainsi sa volonté d’intégrer le médicament dans le forfait de soins des EHPAD à l’occasion du PLFSS 2009. « Nous pourrions définir les modalités de gestion par les pharmaciens d’une enveloppe déléguée de ces forfaits », sachant qu’une liste de médicaments pourrait être prévue en sus du forfait pour la prise en charge des produits onéreux, comme cela se pratique à l’hôpital. « Je n’y crois pas vraiment, c’est de l’emballage. Ce serait extrêmement compliqué avec les médecins coordonnateurs », aura commenté en marge des débats Philippe Gaertner, président de la FSPF.

Publicité

Roselyne Bachelot en a quand même profité pour annoncer un projet de texte qui comblera un vide juridique, en permettant explicitement au pharmacien de reconditionner dans son officine les médicaments pour maisons de retraite, texte qui serait assorti de bonnes pratiques. Un point qui divise la profession, certains considérant cette activité comme une aberration, d’autres comme le seul moyen de conserver le marché des maisons de retraite et, demain, de répondre aux besoins des personnes dépendantes à domicile. Dans la foulée, l’arrêté sur le modèle de convention type EHPAD-Officine pourra aboutir rapidement, espère la ministre.

« Vous êtes assis sur un tas d’or »

Autre dossier d’une extrême sensibilité : l’Europe. Le courrier commun des 27 ministres de la Santé, destiné à être envoyé prochainement à la Commission, finit son parcours de relecture interministériel… Reste que la volonté farouche de la ministre française de reprendre le pouvoir aux technocrates bruxellois semble intacte. Pas que bruxellois d’ailleurs. Evoquant le projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoires », elle a répliqué à Jacques Delpla, membre de la commission Attali, invité aux débats du 11 octobre : « Oui, j’élabore les textes avec les professionnels de santé. Pas avec quelque énarque caché dans les placards. » Il faut dire que celui-ci avait pour ainsi dire accusé le ministère de collusion quelques minutes auparavant, regrettant que des textes réglementaires soient rédigés par tel ou tel lobby de la santé. Ses prises de position auront montré que les préconisations du rapport Attali ne sont pas mortes : pour certains, le quorum reste une aberration (Jacques Delpla l’a qualifié d’« outil dépassé devenu une rente pour ceux déjà établis »), de même que le numerus clausus ou le maintien d’un capital purement pharmaceutique. « Il y aura déréglementation, elle viendra par l’Europe », affirme Jacques Delpla, tout en tentant de « rassurer » les pharmaciens : « Vous êtes assis sur un tas d’or, le marché de la santé va doubler d’ici 2050. »

Effectivement, comme l’a indiqué le secrétaire général du Groupement pharmaceutique de l’Union européenne John Chave, même si les pharmaciens italiens et allemands ont eu gain de cause face à la Commission au printemps, le combat se déplacera sur les terrains nationaux. Dans notre pays, on le voit, les tenants de la dérégulation sont présents au sein de la majorité. Témoin la prise de parole d’Yves Bur, député UMP, très influent dans les affaires de santé. Il ne verrait pas dans l’ouverture du capital la fin des pharmacies indépendantes, rappelant que, dans les pharmacies de chaînes, il y a toujours un pharmacien impliqué dans la dispensation : « Dire que le maintien du système en l’état se justifie au nom de la proximité n’est pas recevable, a-t-il encore asséné. Cela dit, il faut essayer de comprendre la plus-value d’une ouverture du capital et je ne la vois pas. » Mais un refus total et un manque d’évolution des officines « pourraient être un danger », prévient le député du Bas-Rhin. « Dans ce sens, je partage le souhait de dérégulation évoqué par monsieur Delpla. »

Black-out sur l’économie officinale

Reste l’économie. Un sujet quasi occulté par Roselyne Bachelot. Il faut maîtriser les dépenses et, « dans ce contexte, les pharmaciens ne sont pas épargnés »… Surtout face aux moindres ressources qui s’annoncent avec la crise économique, comme elle n’a pas manqué de le rappeler. « Mais vous n’êtes pas davantage sollicités que les autres parties prenantes à notre système de santé », a-t-elle répondu au président de la FSPF. Comme devant la commission des Comptes de la Sécurité sociale, celui-ci s’était étonné quelques minutes plus tôt que l’officine contribue 13 fois plus que l’hôpital aux économies, compte tenu de son poids dans les dépenses. Stupéfait des différences de chiffres concernant le médicament (le ministère évoque une tendance à + 7 %, les syndicats constatent une baisse de 4,6 % depuis janvier !), Philippe Gaertner n’aura pas eu de réponse. « Est-il besoin de réitérer le mouvement de grève de 2005 sur le générique ? », demande-t-il. Et de ne cesser de réclamer l’élargissement de la première tranche de marge pour atténuer le choc économique que subit l’officine. Faut-il apercevoir une lueur d’espoir dans l’entrevue décrochée au ministère trois jours plus tard ?

Mardi 14, les trois syndicats ont effet confronté leurs chiffres avec ceux du gouvernement et Roselyne Bachelot a accepté de demander à la Direction de la Sécurité sociale de valider ces chiffres. Mais si toute modification du mode de rémunération est envisageable, elle se fera « à enveloppe constante pour l’assurance maladie », a rappelé la ministre. Un cauchemar pour des syndicats professionnels. Car cela signifie évidemment que toute enveloppe consacrée à de nouveaux services manquera à ceux qui ne développent pas ces services. Du reste, la ministre a réinsisté en conférence de presse sur la nécessité de restructuration du réseau, évoquant les « pharmaciens trop seuls ». Pour supporter des baisses de marge pas prêtes de s’arrêter, si l’on suit bien le gouvernement, il faudra de grosses structures officinales. Mais il faut reconnaître que Roselyne Bachelot ne prend ici personne au dépourvu : elle l’avait déjà signifié il y a un an. Et la plupart des observateurs se rendent à l’évidence : sans la ministre actuelle, l’officine aurait déjà numéroté ses abattis.

Ils ont dit

Yves Trouillet, président de l’APR

« Que les sages de la Cour des comptes aient le courage de remonter avant la loi de répartition de 1999 et qu’ils ouvrent les dossiers des compromissions politiques, de l’affairisme politico-économique, des passe-droits électoraux. »

Thierry Barthelmé, président de l’UTIP

« Quelle finalité voulons-nous donner à la formation pharmaceutique continue dans l’exercice quotidien ? La pharmacie des marchands ou la pharmacie des savants ? […] Est-il nécessaire de continuer à former à l’université des pharmaciens si c’est pour les exclure de tout ensuite ? »

Jean Luc Audhoui, trésorier du Conseil national de l’ordre des pharmaciens

« Nicolas Sarkozy a déclaré le 23 janvier qu’il n’était pas prêt d’organiser un désert de la pharmacie pour satisfaire les règles économiques qu’on lui proposait. A Toulon, le 25 septembre dernier, il a rappelé que l’idée de la toute puissance du marché, l’idée qu’ils avaient toujours raison était une idée folle. »

Renouveler la pilule

Outre son annonce attendue sur le reconditionnement des médicaments pour les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), Roselyne Bachelot a annoncé la possibilité pour les pharmaciens de renouveler, « pour une fois », la pilule contraceptive. Elle a également répondu positivement au souhait de la FSPF de voir mis en accès libre certains médicaments vétérinaires pour animaux de compagnie non listés et non exonérés.