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Comment mieux évaluer les fonds
La dégradation de l’économie et les perspectives à venir posent à nouveau la question du mode de valorisation des officines et, par là même, de leur endettement. Il y a urgence à les évaluer sur des critères objectifs de rentabilité et non plus sur les critères subjectifs qui prévalent sur le marché. La preuve avec l’exemple de trois officines du Nord-Pas-de-Calais, dont la valorisation par l’EBE donne une décote jusqu’à 45 % du CA TTC.
La plupart des spécialistes du marché de la transaction sont formels : la méthode d’usage qui consiste à prendre en compte le chiffre d’affaires TTC et un coefficient pour déterminer le prix de vente d’une officine est insuffisante, voire surannée. Pourtant, les officines restent encore valorisées prioritairement sur la base de leur activité, sans tenir compte ou presque de leur rentabilité, alors que le chiffre d’affaires n’a plus, dans l’expertise d’un fonds, qu’une valeur indicative de l’« effet volume ».
Or, l’évolution de l’économie officinale lance une nouvelle fois un appel à la raison. Après une année 2006 en demi-teinte, les résultats 2007 marquent une quasi-stagnation voire, dans certains cas, une baisse de CA et surtout de rentabilité. Et alors que certains indicateurs économiques se sont une nouvelle fois dégradés, les prix n’ont pas baissé. Pire ! En moyenne, ils ont même légèrement augmenté en 2007 (+ 1 point, à 91 % du CA TTC selon l’enquête d’Interfimo sur les prix de cession), tirés vers le haut par la cote des plus grosses pharmacies. Quel paradoxe !
Il ne faut donc pas être surpris par la pénurie d’acquéreurs, lesquels sont découragés par le niveau d’apport personnel et la baisse importante du nombre des cessions au cours de l’année écoulée.
Par ailleurs, la volonté politique qui semble prédominer est à une baisse continue des taux de marge (pour atteindre sans doute rapidement les 25 %) que seules les officines d’une certaine taille et pas trop endettées pourront supporter.
Enfin, les pharmaciens s’inquiètent à juste titre des menaces de dérégulation provenant de Bruxelles, ce qui freine également les intentions d’installation ou de réinstallation. En effet, l’Europe risque de contraindre les titulaires à se restructurer, et seuls ceux qui ne se sont pas trop endettés au moment de l’acquisition en auront la capacité.
L’EBE, seul véritable indicateur économique
Dans un environnement économique aussi incertain et face aux contradictions du marché, la pire des attitudes à adopter serait celle de l’autruche. Pour Olivier Desplats, expert-comptable au cabinet Flandre Comptabilité Conseil (réseau CGP), il devient urgent de valoriser l’officine par l’excédent brut d’exploitation (EBE) et d’établir un lien entre la rentabilité de l’objet et son prix d’acquisition. « A l’heure où nous constatons une baisse continue du taux de rentabilité des pharmacies, il est temps de changer les habitudes et de prendre en compte les vrais indicateurs économiques », exhorte-t-il. Il en va, selon lui, de l’équilibre financier des officines. En effet, l’EBE est un critère beaucoup plus déterminant que le CA, puisque c’est lui qui sert à rembourser les emprunts, payer les impôts et assurer le train de vie du titulaire !
Que donnerait une approche de valorisation par l’EBE ?
Olivier Desplats s’est attaché pour Le Moniteur à valoriser trois fonds de pharmacies de la région Nord-Pas-de-Calais, de taille différente, réalisant respectivement 800 kÛ de CA HT, 1,2 MÛ et 1,8 MÛ (voir tableau page 30). Cette approche purement économique tient compte de deux paramètres :
– la rentabilité de l’officine, laquelle dépend étroitement de sa taille et, plus précisément, de son volume d’activité ;
– la rémunération nécessaire au pharmacien titulaire.
Ces trois officines vont être valorisées en multiple de l’EBE corrigé de la rémunération du titulaire (celle-ci est déduite).
La rémunération retenue du pharmacien titulaire est de 30 000 Û net par an, et ce quel que soit le volume d’activité de l’officine considérée.
Cette rémunération sur l’EBE retraité aura, bien entendu, une incidence non négligeable sur la valorisation de l’officine en fonction de sa taille.
Dans la première partie du tableau, Flandre Comptabilité Conseil valorise les trois fonds en multiple de l’EBE retraité. L’hypothèse retenue, compte tenu de la spécificité du marché des officines dans le Nord-Pas-de-Calais (voir encadré page 30), est de 7 fois l’EBE retraité.
La partie basse du tableau fait ressortir les échéances de remboursement annuelles en fonction de l’emprunt souscrit par rapport à la valeur de marché du fonds (80 % en moyenne dans cette région en 2006) et l’écart de faisabilité, c’est-à-dire le manque ou l’excédent de trésorerie après que le titulaire a prélevé sa rémunération pour vivre, payer ses impôts et rembourser ses emprunts.
Dans cette évaluation, Olivier Desplats retient cinq hypothèses de quotités de crédit (pourcentage que celui-ci représente par rapport à l’investissement).
Depuis plusieurs années, les banquiers ont pris une position de principe assez défensive qui limite l’endettement à un maximum égal à 100 % de la valeur du fonds. Cette règle rigide est dictée par la logique financière. En dessous de 20 % d’apport personnel, l’acquéreur ne gère plus un risque, il prend des risques.
Une valorisation entre 45 % et 70 % du CA TTC
Que constate-t-on ? L’estimation de la valeur des fonds par la méthode de l’EBE aboutit à une décote importante des trois pharmacies et à des écarts significatifs de valorisation en fonction du volume d’activité : 45 % du CA TTC pour l’officine de 800 kÛ de CA HT, 55 % pour l’officine de 1,2 MÛ et 70 % pour celle de 1,8 MÛ.
La partie basse du tableau montre que l’écart de faisabilité vire au rouge d’autant plus facilement que le volume d’activité est faible et que l’endettement est important.
L’équilibre financier (solde positif) est atteint à ce niveau de valorisation pour des quotités de crédit très différentes selon la taille de l’officine : 60 % pour la plus petite des trois officines (représentant 48 % du CA TTC), 70 % pour la moyenne officine (représentant 56 % du CA TTC) et 90 % pour la pharmacie la plus importante (représentant 72 % du CA TTC). « Tout achat à un prix supérieur devrait par conséquent faire l’objet d’un apport complémentaire, souligne Olivier Desplats. Il est indispensable que les logiques économique et financière se rejoignent car le pharmacien ne peut pas emprunter plus que ce qu’autorise l’approche économique par l’EBE. »
Malheureusement, les logiques de marché continuent à prendre le pas et restent très éloignées des raisonnements économiques et financiers. L’étude Interfimo 2007 fait les mêmes constats que les années précédentes : pour nombre de cessions, le prix apparaît disproportionné au regard de la rentabilité de l’officine, alors que c’est sur ledit prix de cession que l’acquéreur est censé trouver la sécurité de son investissement.
Faire preuve de réalisme économique
« Les prix pratiqués actuellement, notamment sur les gros chiffres d’affaires, sont dictés par le marché et semblent faire abstraction de toute logique économique, poursuit Olivier Desplats. Ils nécessitent donc, soit un apport significatif pour contrebalancer l’écart de faisabilité, soit une croissance de l’activité et de la rentabilité pour absorber cet écart. »
Cela a toujours été le cas : les pharmacies se sont remboursées grâce à la croissance de l’activité. Mais qu’en sera-t-il demain ? De fortes disparités sont à craindre. Ne parle-t-on pas de la fermeture de 3 à 5 000 pharmacies ? N’est-il pas temps d’aborder la valorisation des pharmacies par une approche économique et ainsi de faire entendre raison au marché ?
« Certes, il n’est pas agréable de voir un taux de rentabilité diminuer, mais ce n’est pas tant la rentabilité des officines qui pose problème que leur valorisation et l’inéquation de cette valorisation par rapport à la rentabilité dégagée, conclut Olivier Desplats. Il ne s’agit pas d’avoir une vue pessimiste de l’avenir de la pharmacie, mais plutôt de faire preuve d’un réalisme économique et d’organiser le marché afin de rendre cessibles toutes les officines quelles que soient leur taille et leur localisation. Des fusions pourront s’opérer, encore faut-il que les valorisations soient cohérentes en regard du risque pris par l’acquéreur. »
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