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Grève dans les DOM
Les pharmaciens domiens ont tiré leur rideau mercredi afin de protester contre une baisse du prix des médicaments dans les départements d’outre-mer voulue par Nicolas Sarkozy. Un sénateur de la Réunion lui avait soufflé cette idée, inquiet qu’il était de l’impact des franchises sur le pouvoir d’achat de ses électeurs. Surréaliste !
Pure démagogie électoraliste », « mesure injuste, injustifiée et inéquitable », « méconnaissance du dossier technique », « absence totale de concertation »… Les pharmaciens domiens ne mâchent pas leurs mots. « On nous a dit : « On vous baisse le coefficient multiplicateur sur vos prix, on voit comment ça marche et on vous en remet une couche l’année prochaine. Ou, si on voit que ça ne va pas, on remonte le coefficient » », fulmine Claude Marodon, porte-parole du syndicat des pharmaciens de la Réunion (FSPF).
Qu’est-ce qui a bien pu provoqué l’ire de ce responsable syndical ? Mi-novembre, Jean-Paul Virapoullé (1), un sénateur réunionnais (groupe Union pour un mouvement populaire), s’émeut – à la suite du PLFSS – de l’impact que pourraient avoir les franchises médicales sur le pouvoir d’achat de ses électeurs et, plus généralement, dans les départements d’outre-mer. Il propose alors de chercher plutôt de l’argent dans la chaîne de distribution du médicament. Nicolas Sarkozy décide alors magnanimement de baisser, et ce de manière significative, les prix des médicaments dans les DOM d’ici la fin de l’année. Il le fera savoir via un courrier envoyé aux élus (et à la presse) le 26 novembre. C’est Christian Estrosi, ministre de l’Outre-mer (!), qui lancera ensuite le chiffre de 5 % de baisse. Avant qu’enfin la ministre de la Santé Roselyne Bachelot ne confirme cette décision la semaine dernière lors d’une visite à la Réunion et à Mayotte. La politique du médicament tient à bien peu de choses…
La Répartition d’accord pour une marge dégressive
Mercredi dernier, l’ensemble des pharmacies de la Réunion, de Guyane, de Martinique et de Guadeloupe ont baissé leur rideau afin d’être reçus au ministère de la Santé pour manifester leur mécontentement. Le cabinet de Roselyne Bachelot précise qu’un rendez-vous est bien envisagé, sans préciser de date. « Cela fait trois semaines que nous devons être reçus !, s’énerve Patrick Gaubert, responsable du syndicat USPO de la Réunion. 5 % sur la pharmacie, ce n’est pas possible. Seul les pharmacies peu endettées – un quart – résisteraient. Ici, il y a énormément de jeunes installés et un fort turnover. » « A la limite, on est prêts à accepter une baisse de marge, avance avec une ironie teintée d’amertume Marc Jean, titulaire à Fort-de-France et président départemental de la FSPF-Martinique. Mais pas comme ça, sans concertation et sans même le temps de nous adapter. »
Claude Marodon renchérit : « On n’est pas contre une baisse de prix cohérente, mais, à l’image des génériques, elle doit s’accompagner d’un maintien des marges et de nos revenus. » « Une baisse de 5 %, c’est énorme !, complète Emmanuel Déchain, de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique, qui a déjà participé à deux réunions sur la question. Mais nous bloquons sur la démesure de l’objectif. La distribution représentant dans les DOM 50 % du prix du médicament, cela signifie une baisse de 10 % pour nous comme pour les pharmaciens. Si les pouvoirs publics maintiennent leur position, la mesure ne sera pas absorbable sans dommages importants. »
La Répartition accepte déjà de passer à une marge dégressive lissée alors qu’elle a toujours une marge linéaire sur le médicament (voir encadré p. 14). « C’était d’ailleurs l’objet d’un projet non abouti datant de 2004, observe Emmanuel Déchain. Mais on est très loin du compte, vu l’ampleur du gain que semblent vouloir les pouvoir publics. »
« Un Réunionnais gagne moins qu’un Métropolitain »
« L’Elysée a dû penser que le coefficient multiplicateur de 1,30 signifiait 30 % de marge en plus. Or un pharmacien de la Réunion gagne moins qu’un Métropolitain, même avec ce coefficient », analyse Gilles Bonnefond, secrétaire général de l’USPO. « En effet, confirme Marc Jean. En Martinique, la marge brute peut être supérieure à celle d’une pharmacie équivalente de métropole (32,67 % contre 27,67 %, selon une étude de la Fiduciaire des Antilles), sauf que l’EBE est moindre (13,08 % versus 13,50 %). Il y a deux raisons à cela. D’abord, le poste achats et charges externes, nettement supérieur (7,97 % du CA contre 3,93 %), et les charges de personnel, également plus élevées (10,67 % contre 9,29 %). » Toujours selon la Fiduciaire des Antilles, une diminution de 5 % du prix du médicament générerait un manque à gagner annuel, pour une officine de 1,5 million d’euros de CA HT, de 75 000 euros en Martinique.
Les îles, lieux d’expérience ?
« Une baisse de 5 % du prix, c’est 50 % de nos revenus en moins », analyse Edouard Delta, président du syndicat de Guadeloupe. « Le risque est évidemment de devoir se séparer du personnel, complète Marc Jean. Et nous ne serons pas les seuls. Les grossistes-répartiteurs seront eux aussi touchés. Avec 3 à 4 mois de stocks contre 17 jours en moyenne en métropole, leur investissement est lourd. S’ils décident de diminuer leurs stocks, que va-t-il advenir en cas d’épidémie de chikungunya, de grippe ou de dengue ? Là, on n’est plus dans une logique comptable, on est dans la gestion d’un risque sanitaire. » Selon Claude Marodon, cette mesure fait peser une menace sur 700 emplois à la Réunion. « Cela pourrait être fatal à la moitié des officines guadeloupéennes, et les autres devront licencier pour conserver un revenu acceptable. Si le ministre de l’Outre-mer connaissait les DOM, il aurait été plus prudent. Je ne pense pas que le but du gouvernement soit de créer du chômage, or cette mesure va en créer. »
Faut-il considérer cette baisse de prix comme une « exception ultramarine » ? Certes, le risque de répercussion au niveau national n’est pas immédiatement évident. « Mais on va observer la façon dont nous nous en sortons. Si nous restons viables malgré tout, nous servirons d’exemple pour de futures et âpres négociations nationales », estime Marc Jean. « Nous avons l’impression de servir de laboratoire expérimental pour entériner à terme la fermeture des pharmacies jugées en trop sur tout le territoire national », analyse Claude Marodon.
Des menaces de grève des gardes et de tiers payant très sérieuses
Mais, au fait, une baisse des prix des médicaments aura-t-elle un impact sur le pouvoir d’achat des citoyens des DOM ? La réponse est non, puisque le franchise est payée à la boîte ! Le sénateur Jean-Paul Virapoullé aura péché par ignorance… ou malhonnêteté intellectuelle. Pour Patrick Gaubert, « le dossier est uniquement politique et cette baisse de prix n’est qu’un écran de fumée ». « Quand on entre en campagne électorale, on essaie de faire croire que l’on fera gagner du pouvoir d’achat en baissant les prix du médicament », lance Gilles Bonnefond, évoquant Jean-Paul Virapoullé. Actuellement, dans les DOM, la concurrence est très vive dans les pharmacies sur l’OTC, la para, les produits pour bébé… Cela, ça profite au pouvoir d’achat ! Je note aussi que l’octroi de mer coûte (2) plus cher que l’acte de dispensation. »
« La bonne solution serait peut-être justement de baisser l’octroi de mer, imagine Philippe Besset, en charge des affaires économiques à la FSPF. A bien y réfléchir, c’est la Sécu qui paye. » Le financement des collectivités territoriales par l’assurance maladie, voilà un bon sujet.
Reste que le mouvement des pharmaciens, dont la solidarité est assez exemplaire sur cet événement, n’en est peut-être qu’à son début. Claude Marodon évoque une grève du tiers payant ou même des gardes à la Réunion. « Vous savez, vu ce qu’ils veulent nous prendre, nous pouvons fermer un mois. Nous n’excluons donc pas une grève de longue durée… », jure Patrick Gaubert
(1) Jean-Paul Virapoullé refuse de rencontrer les pharmaciens de la Réunion depuis le début de cette affaire.
(2) Mis en place par Colbert au XVIIe siècle, l’octroi de mer est une taxe applicable sur toute marchandise importée dans les DOM. Destiné à financer les collectivités locales et territoriales, le montant de l’octroi de mer est fixé par le conseil régional lui-même.
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