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La sécurité en ligne de mire
Les vaches deviennent folles et le principe de précaution s’emballe. Les étiquettes vous parlent des ascendants du steak qui se trouve dans votre assiette. Mais qu’en est-il des médicaments ? L’Europe va-t-elle emboîter le pas des Etats-Unis qui parlent déjà d’un suivi, de la chaîne de fabrication jusqu’à la table de nuit du patient ? Le point sur la situation.
Sous la double impulsion des crises alimentaires et sanitaires successives et du principe de précaution, l’industrie agroalimentaire est contrainte à une traçabilité de plus en plus fine. Après la création de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) en 1999, de l’Agence européenne en 2002 et la mise en place par les industriels et les distributeurs de cahiers des charges, de chartes de bonne conduite, d’HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point ), de codes éthiques, la prochaine étape sera l’application du règlement européen 178/2002, dit « Food law », qui entre en vigueur le 1er janvier 2005.
Ce règlement définit la traçabilité et rend les industriels, les importateurs, les distributeurs et les transporteurs juridiquement responsables de la sécurité des produits alimentaires. Dès lors, les acteurs de la chaîne agroalimentaire devront être en mesure d’identifier leurs fournisseurs de denrées et d’ingrédients ainsi que leurs clients. Pour ce qui est des moyens à mettre en oeuvre, le texte ne fixe aucune obligation. Libre aux entreprises concernées de s’organiser comme elles le souhaitent et de se doter d’outils efficaces.
Le principe de la traçabilité étant « l’aptitude à retrouver l’historique, l’utilisation d’une entité au moyen d’identifications enregistrées » (norme NF EN ISO 8402 définie en 1987), il implique l’association systématique d’un flux d’informations à un flux physique. C’est là que la technique entre en jeu. Depuis 1949 et l’invention du code à barres linéaire, première étape après les documents et étiquettes où les informations figuraient en clair, les choses ont rapidement évolué. Les standards de codification se sont développés entre 1970 et 1980. Entre 1988 et 1995, les codes à barres linéaires sont rejoints par les codes empilés et matriciels. Enfin la lecture laser n’en finit pas de se perfectionner se dotant de lecteurs de plus en plus compacts et multifonctions.
Un moyen d’assurer la traçabilité qui connaît déjà ses grands standards, « EAN Gencod » pour la grande distribution et la presse, « Galia » pour l’industrie automobile, « GTF » pour les prestataires logistiques, et un standard bien connu de l’officine, le fameux code « CIP » pour l’industrie pharmaceutique.
L’outil idéal ?
Malgré le jeune âge de cette technologie et sa performance reconnue, un nouvel outil pointe déjà le bout de son nez. La « RFID » (« radio frequency identification »), ou l’étiquette intelligente ouvre de nouvelles perspectives. Il faut dire qu’aux yeux de beaucoup, elle fait figure d’outil idéal. Interactive, elle possède non seulement les fonctions des codes à barres les plus perfectionnés auxquelles elle ajoute d’autres informations, mais, en plus, l’utilisation des ondes radio (un signal est émis par une micropuce) lui permet de supprimer la lecture optique manuelle. Ce système identifie de façon unitaire des marchandises sans contact ni visée optique. C’est ce procédé qui pourrait nous permettre à partir de 2008 de ne plus avoir à sortir nos articles du Caddie pour le passage à la caisse du supermarché. Le gouvernement américain, semble s’intéresser sérieusement à la RFID dans un domaine tout autre que la grande distribution, le médicament. Ainsi, la Food and Drug Administration (FDA) a-t-elle présenté, le 18 février dernier, un rapport sur la contrefaçon des médicaments dans lequel elle préconise l’utilisation du système RFID pour sécuriser la chaîne du médicament du laboratoire au consommateur final, le patient. Dans un pays où le prix des médicaments incite au développement de marchés parallèles et où le déconditionnement est un principe de délivrance, la lutte contre la contrefaçon est une préoccupation légitime.
L’option retenue par les groupes de réflexion de la FDA serait donc de placer des mouchards RFID sur les flacons de médicament. Une puce électronique de la taille d’un grain de riz serait placée derrière l’étiquette de chaque flacon de médicament de prescription. Rien d’obligatoire pour le moment, mais la FDA indique qu’elle espère que l’industrie pharmaceutique l’adoptera d’ici 2007, autant dire demain.
Si les puces commencent à envahir la patrie du hamburger, la contamination de l’Europe semble inéluctable. Pourtant, la traçabilité du médicament en France est bien loin des standards RFID et de la traçabilité absolue.
Lot… erie.
A la « puce qui parle » made in USA, l’industrie pharmaceutique française répond par les bonnes pratiques de fabrication et le lot. Depuis le 1er juillet 1998, la sécurité sanitaire des produits de santé fait partie intégrante des activités pharmaceutiques. Le décret du 11 février 1998, lui, a fixé de nouvelles règles concernant le suivi des médicaments, la traçabilité, le rappel des produits présumés dangereux. Des règles sécuritaires qui, a priori, étaient déjà comprises comme essentielles dans le secteur du médicament mais qui souffraient peut-être du manque d’une structure coercitive permettant de s’assurer de leur mise en place effective. Désormais, l’autorité administrative dispose de bases juridiques pour les imposer et vérifier leurs conditions d’application. Tout établissement pharmaceutique d’une entreprise ou d’un organisme qui vend, cède ou distribue des médicaments, y compris des médicaments destinés à être expérimentés sur l’homme, doit se doter d’un plan d’urgence qui garantit la mise en oeuvre effective de tout retrait de lots de médicaments.
Concrètement, la traçabilité du médicament commence donc par la constitution du dossier de lot qui consigne les différentes étapes de son élaboration dans le respect des bonnes pratiques de fabrication. Chez Boiron, le code à barres est ainsi devenu un outil interne de traçabilité et de sécurité. « Au niveau de la production, les étapes critiques sont validées par des systèmes de code à barres, explique Eric Gardes, directeur assurance qualité du laboratoire. La lecture simultanée du code à barres de l’étiquette de la matière première et du code à barres du produit fini en fabrication valide l’étape de fabrication. L’enchaînement des lectures des différents codes à barres permet, lui, de valider l’intégralité de la chaîne de fabrication. »
Le dossier de lot est ensuite conservé onze ans (5 ans +1 an pour la conservation et 5 ans pour les matières premières). Une fois que le produit quitte les chaînes de production du laboratoire, sa traçabilité est donc assurée par son numéro de lot.
« Les grossistes-répartiteurs n’ont pas d’obligation stricte de traçabilité, confie Angela Grocolas, pharmacienne responsable à l’OCP. Nous ne disposons que de recommandations. Nous devons être capables de suivre les produits jusqu’au destinataire, mais le numéro de lot n’est pas obligatoire. La caisse est notre référent. Par son poids, par la taille des produits et leur propre poids, nous arrivons à établir avec exactitude la traçabilité d’une commande. Seuls les produits dérivés du sang sont soumis à une traçabilité stricte via leur numéro de lot. »
Une efficacité reconnue mais perfectible.
Jacques-Antoine Robert, avocat à la cour, associé du cabinet Simmons #amp; Simmons, confirme que « si l’officine sait très bien ce qu’elle a donné et à qui elle l’a donné, en revanche, elle n’est pas en mesure aujourd’hui de dire quel lot de tel ou tel produit elle a donné à tel patient. Le numéro de la boîte n’est pas une référence que le pharmacien doit être en mesure de fournir dans le cadre du suivi de la traçabilité des produits de santé ».
Si l’optimisme est de mise, il est possible de dire que le système d’identification au lot permet de suivre le médicament jusqu’à l’officine.
Pourtant, à en croire les acteurs de la distribution du médicament, il serait beaucoup plus juste d’affirmer que la traçabilité au lot s’arrête chez le répartiteur. Dans ces conditions, comment ne pas s’interroger sur la fiabilité d’un tel système en cas de crise, la traçabilité ayant pour vocation première de garantir la santé publique ? Jacques-Antoine Robert, même s’il estime « un peu empirique » le système de retrait de lots, y est plutôt favorable. « Le processus actuel qui consiste, à la suite d’une alerte de l’agence, à rappeler les lots mis en cause soit par le biais des « dear doctor letters », courriers adressés aux acteurs de santé publique, soit, en cas d’urgence, à avoir recours à la voie de presse, permet l’information de 95 % des utilisateurs sous 48 heures », précise Jacques-Antoine Robert. Un résultat qu’il juge assez satisfaisant.
Une efficacité reconnue également par Angela Grocolas : « Dans la majeure partie des cas, nous avons un retour immédiat de chez les pharmaciens qui oscille entre 85 et 90 %. Mais il peut aussi arriver de mettre un mois pour récupérer des lots défectueux. Il y a toujours un pharmacien qui traîne et qui renvoie ses produits en retard. »
Frédéric Courteille, titulaire et ex-pharmacien responsable, affirme même que, du temps de son passage dans l’industrie, il a vu des boîtes revenir un an après des appels à retour de lot. Pour lui, « seulement 5 % du produit revient 48 heures après le lancement de l’alerte ».
Une chose est donc sûre, la traçabilité au lot n’est pas un verrou infaillible en cas de crise et il est, sans nul doute, perfectible. « Le maniement du numéro de lot dans la chaîne de traçabilité pose un réel problème par ce qu’il n’est pas intégré par informatique, il ne figure pas dans les données du code à barres et, en plus, il n’est pas normalisé. On peut le trouver n’importe où sur la boîte, ce qui rend impossible son intégration dans les tâches automatisées. »
Outre les aspects purement techniques liés à l’utilisation du numéro de lot, Angela Grocolas pointe également du doigt les problèmes liés à la nature même du médicament. « La boîte de médicament n’est pas une boîte de petits pois. Elle ne sort pas fermée des chaînes de fabrication, elle n’est pas inviolable. Par conséquent, lorsque l’on trace une boîte, on ne trace pas forcément son contenu, ce qui peut poser de réels problèmes en cas de malveillance. Ensuite, au niveau du consommateur, le numéro de lot ne figurant que sur le blister, on peut se poser des questions sur ce qui se passe lorsque le blister a été coupé et que quelques comprimés se promènent tout seuls au fond d’un sac ou d’un tiroir. » La pharmacienne responsable de l’OCP évoque également les problèmes logistiques de localisation des lots lorsque les pharmaciens se dépannent entre eux ou encore lorsque les établissements du répartiteur se livrent au même exercice. Loin d’être pessimiste, elle conclue en soulignant que quels que soient les moyens mis en oeuvre, « une chaîne de sécurité ne peut reposer que sur la responsabilité de chacun de ses acteurs ».
Le coût contre les coups.
Dans ce contexte, il est intéressant de s’interroger sur l’apport d’un système RFID dans la chaîne française du médicament, comme le préconise les autorités américaines, ouvrant la perspective d’une traçabilité au patient. Une étape qui serait tout à fait naturelle, selon Jacques-Antoine Robert. « La pharmacovigilance de ces vingt dernières années est toujours allée dans le sens d’un suivi au plus près du médicament. La traçabilité au patient va donc, en quelque sorte, dans le sens de l’histoire. » Un avis partagé par Eric Gardes, qui estime que « c’est dans l’ordre des choses ». Mais elle « imposerait deux modifications majeures dans le système français, précise Jacques-Antoine Robert. Il s’agit de l’obligation, pour les grossistes-répartiteurs, d’apporter une information et des notifications plus affinées, et surtout, pour l’officine de référencer non seulement le produit donné à tel ou tel patient mais aussi son identifiant. » Pour Angela Grocolas, aller jusqu’au patient implique « une lourdeur administrative accrue qui ne se justifie même pas par une efficacité réelle. L’effet serait plus psychologique ». Un effet psychologique qui coûterait également cher. « La charge financière de la traçabilité au patient est non seulement technique [une étiquette RFID coûte entre 0,30 et 0,50 centimes à l’unité, NdlR], mais elle provient également de la nécessité de rétribuer la charge de travail complémentaire engendrée au niveau du pharmacien, ajoute Jacques-Antoine Robert. Pour des coûts moindres, le système qui est aujourd’hui adopté donne des résultats assez efficaces. Mais tout dépend de là où l’on place le curseur de l’efficacité. Même lorsque vous aurez la gestion des numéros de lot au niveau du pharmacien, vous n’aurez jamais un retour à 100 %. »
Mais rejeter le principe de traçabilité jusqu’au patient sous prétexte de son peu de bénéfice en termes de santé publique, en comparaison à la lourdeur de sa gestion et de ses coûts, serait oublier que l’objectif poursuivit par les procédés de traçabilité est aussi de préserver la santé économique des industriels et donc de soigner leur réputation.
La traçabilité est aussi un outil au service de l’image. « Si les producteurs pouvaient se passer d’avoir à communiquer de manière très large pour restreindre l’alerte aux seuls patients concernés, là, ce serait pour eux un réel avantage », explique Alexandre Regniault, avocat à la Cour (cabinet Simmons #amp; Simmons).
Jean-Pierre Piotet, président de l’Observatoire de la réputation et de ThompsonCorp, a clairement identifié le lien étroit qui existe entre traçabilité et renommée lors de son intervention au cours du salon Traçabilité 2004 qui se tenait à Paris en janvier dernier : « Ce qui touche à la traçabilité a une composante « réputation ». » Il établit qu’en communication, il y a trois notions essentielles dont la réputation, qui fonctionne sur le registre « Confiance ou pas ? ». Or, la confiance et la transparence sont aujourd’hui au coeur de nombreux débats. La traçabilité a donc un double bénéfice. Se doter d’outils pour la mettre en place agit sur la transparence et accroît par conséquent le capital confiance de la marque. En outre, en cas de crise, elle permet à l’entreprise concernée d’accompagner efficacement la reconnaissance de sa responsabilité et de mettre en oeuvre des explications pertinentes. Plus les supports de traçabilité seront performants, plus la réputation sera rapidement préservée.
Dans l’éternel équilibre bénéfices/risques qui rythme la vie des médicaments, la traçabilité s’inscrit incontestablement du côté des bénéfices. « Aujourd’hui, c’est un prérequis. Il est impossible de vendre s’il n’y a pas de traçabilité », constate Eric Gardes.
A retenir
Les 4 principes clés de la traçabilité :
– Qualifier le lot
Qualifier les constituants du lot lors de sa production puis lors de son acheminement.
– Enregistrer les données qualitatives et quantitatives
– Enregistrer les informations constitutives du lot et de son évolution.
– Déterminer la combinaison des supports d’enregistrement (code à barres, RFID, bases de données).
– Chaîner les maillons
Informer chaque maillon successif.
– Publier les informations
Synchroniser le flux d’informations à celui des produits.
(Source P. Naouri.)
La chaîne du froid a-t-elle été rompue ?
Difficile à savoir lorsque les acteurs de la chaîne de distribution sont multiples. Pour répondre à cette préoccupation, la société Cryolog a inventé Tracéo, un film transparent truffé de micro-organismes qui réagissent à la rupture de la chaîne du froid.
Le code à barres est recouvert par l’étiquette adhésive transparente (Tracéo) qui change de couleur et rend le code illisible après la rupture de la chaîne du froid.
Cette solution (disponible à la fin de l’année) retient déjà toute l’attention de l’agroalimentaire et ne devrait pas tarder à intéresser l’industrie pharmaceutique.
A SAVOIR
Responsabilité
– Le pharmacien responsable sera en première ligne en cas d’incident né d’un effet indésirable d’un médicament. Il lui sera fait grief de ne pas avoir été en mesure de procéder, sur-le-champ, au rappel des médicaments concernés, quelles que soient les conditions de mise à disposition, qu’il s’agisse en France des officines ou des pharmacies hospitalières, en Europe des établissements de distribution autorisés ou, hors de l’Europe, des entreprises ou organismes ayant importé les médicaments mis en cause. Il lui sera également fait grief de ne pas avoir été en mesure de garantir qu’aucun des médicaments incriminés ne soit encore sur le marché, notamment au stade de la distribution au détail. L’inorganisation est passible de sanctions administratives mais aussi de lourdes sanctions pénales au titre de la mise en danger d’autrui, applicables aux personnes physiques comme aux personnes morales.
Une arme contre les utilisations frauduleuses
La réflexion menée par la Food and Drug Administration sur l’application du système RFID à la distribution du médicament a été initiée par la volonté du gouvernement américain de lutter contre les dérives de la contrefaçon. En France, si la contrefaçon reste marginale en raison notamment du mode de dispensation en vigueur, la sécurité de la chaîne de distribution peut être mise en danger par certaines pratiques comme l’utilisation frauduleuse des médicaments récupérés par le biais du réflexe Cyclamed. Alors que dans certains cabinets ministériels on s’interroge (« ne trouvez-vous pas étrange qu’il se soit vendu l’an dernier plus de boîtes de Rénutryl qu’il ne s’en est fabriqué »), des pharmaciens sont jugés par l’Ordre pour avoir confondu leurs stocks avec les… cartons de collecte. Certains répartiteurs confient même qu’ils souhaiteraient disposer de systèmes leur permettant de s’assurer que les retours marchandises qu’ils gèrent proviennent bien des commandes qu’ils ont adressées aux pharmaciens et non d’erreur d’aiguillage de boîtes issues de la récupération. Ils se prennent alors à rêver d’un code à barre dont la lisibilité serait amputée voir annulée lors de la vente.
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