Casseurs par conviction
La mode est au discount et l’officine n’y échappe pas. Si les premiers « casseurs » de prix faisaient il y a peu encore figure d’hérétiques, la pratique est aujourd’hui répandue sinon acceptée. Visite au pays des étiquettes fluo.
Chez les « casseurs » de la première heure, la conviction l’emporte souvent sur la réaction. Plus que pour lutter contre la concurrence, c’est leur idée de la pharmacie qu’ils ont appliquée. A Montpellier, voilà vingt ans que cela dure et personne ne s’en plaint plus vraiment, surtout pas les touristes. « Même les grands discounters parisiens sont encore aujourd’hui à des prix supérieurs à ceux pratiqués ici en parapharmacie, assure Maryse Bonnet, cotitulaire d’une pharmacie de centre commercial dans l’agglomération montpelliéraine, chargée de communication du syndicat départemental des pharmaciens. Et sur certains produits, buccodentaires par exemple, l’écart de prix avec Paris peut aller jusqu’à 20 %. »
Montpellier la « surdiscountée » doit de l’être à Jacques Tzelepoglou. Au début des années 80, cet ancien chef du service achats de Berliet, époux de la titulaire de la Pharmacie des Arceaux, parie sur le développement de la para en officine. En appliquant une très faible marge pour partie compensée par de gros volumes de commandes, la Pharmacie des Arceaux a été la première en France à s’écarter fortement des prix pratiqués jusque-là. Vingt ans plus tard, Daniel Sincholle, l’actuel cotitulaire de cette officine classée 12e au dernier « Top 100 » de Pharmacien Manager et toujours membre du G7, groupement de « grosses pharmacies » créé en 1994 par Jacques Tzelepoglou, tient à préciser : « Plutôt que de guerre des prix, je préfère parler d’une nouvelle habitude de gérer leur entreprise qu’ont pris beaucoup de pharmaciens, en faisant attention aux prix, comme les grandes surfaces. »
Résultat : à Montpellier, comme à Nîmes, Perpignan ou Béziers, les enseignes spécialisées, peu nombreuses ici, ont été contraintes de laisser d’importantes parts du marché parapharmaceutique au circuit officinal. Mieux : à Nîmes, Euro Santé Beauté et Paraland ont préféré plier boutique. « Les prix ont légèrement remonté ces dernières années, avec actuellement une marge moyenne de 20 à 25 %, indique Bernard Chadelas, titulaire de la Pharmacie du Verdanson à Montpellier. Et avec vingt ans de recul, on peut constater aujourd’hui que faire du discount sur la parapharmacie attire l’ordonnance. Maintenant, une légère augmentation de la marge serait bienvenue car elle n’est plus compensée par celle sur le médicament qui a perdu presque dix points pour s’établir aujourd’hui autour de 23/24 %. » Et même l’officine montpelliéraine la plus tournée vers la parapharmacie, celle du Polygone, réalise toujours la majorité de son chiffre d’affaires sur le médicament, mais tout de même « à 45 % sur la para », confie sa cotitulaire Jacqueline Nicolas.
Obéir aux lois de la concurrence.
Dix ans plus tard, le mouvement montait vers le nord avec par exemple l’ouverture d’une pharmacie dans le centre commercial des Atlantes à Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire). Marie-Claude Montier, la créatrice de l’officine, décidait en effet dès le départ de discounter. « Il fallait s’imposer, explique son fils Jérôme Montier. Nous avons essayé sans succès de travailler sur l’OTC avant de nous spécialiser dans la para. » Cette officine est devenue peu à peu la plus importante de la région avec 16 salariés, un chiffre d’affaires de 3,5 millions d’euros et une moyenne de 600 clients/jour. Au rythme de 10 à 15 % par an, cette progression s’est heurtée à une hostilité très vive de tous les confrères de l’agglomération.
Dix ans après la passion n’est pas totalement retombée. Mais la Pharmacie des Atlantes n’a pas modéré ses ambitions. Marie-Claude Montier négocie avec les laboratoires pour obtenir des prix le plus bas possible en échange d’achats massifs et de mises en avant. L’officine a été modelée pour accueillir un flux important sans queues ni files d’attente : ticket d’appel, caisse rapide et caisse para, bac de promotions, écrans vidéo pour les promos, etc. Elle a également lancé depuis peu une campagne publicitaire avec de petites affichettes remises aux clients avec chaque mois quatre produits à prix cassés. « Cela connaît un succès fantastique, se réjouit Jérôme Montier, avec des ventes multipliées par quatre ou cinq sur ces produits. » Pourtant, sauf exceptions, La Pharmacie des Atlantes refuse la politique du prix coûtant : « Nous préférons adopter une faible marge, différer et étaler les augmentations de prix des labos et surtout obtenir des conditions d’achat très favorables. » Pas étonnant donc que l’activité para progresse encore pour dépasser désormais les 23 % du chiffre d’affaires. « Nous voulons poursuivre dans cette voie, mais en affinant notre politique de prix, insiste Jérôme Montier. Aujourd’hui nous sommes bons partout. Nous voulons mettre en place une gestion plus fine et donc plus rentable. »
A côté de ces pharmaciens partis à la conquête de nouveaux marchés, il y a ceux qui se sont mis à la « casse » par obligation, contraints par un environnement hostile à leur développement ou pour creuser l’écart avec la concurrence.
A retenir
– Sollicitation de clientèle par les prix
Ce qui peut être reproché au pharmacien
Seuls peuvent être éventuellement reprochés à un pharmacien, sur le plan disciplinaire, les moyens mis en oeuvre pour faire connaître ses prix, notamment dans la formulation de l’annonce ou l’utilisation de certaines pratiques publicitaires. Certains cas ont ainsi fait l’objet de poursuites :
– Le fait pour le pharmacien « de multiplier les offres promotionnelles dans des conditions excessives et de façon accrocheuse » sur des produits de parapharmacie.
– Le fait pour un pharmacien d’annoncer une « braderie » et « des rabais » sans préciser par ailleurs que ce rabais ne porte que sur les seuls produits de parapharmacie, et ceci par des affichettes dont le nombre, la couleur et les fins promotionnelles sont incompatibles avec la dignité de la profession.
– La diffusion de prospectus dont la présentation et la rédaction offrent
le caractère de réclame promotionnelle.
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