Une e-journée comme une autre à l’officine
La digitalisation de la pharmacie progresse à grands pas avec l’arrivée des LGO référencés Ségur. Ces nouveaux outils numériques vont permettre à l’équipe officinale d’accéder directement aux données de santé d’un patient et de les partager. Une évolution qui devrait changer la façon de travailler au comptoir. Mais pas dans l’immédiat.
Chaque matin, Pierre, cotitulaire d’une officine en milieu semi-urbain, se connecte à son poste de travail avec Pro Santé Connect. Amandine Denis, une patiente âgée et polymédiquée, est la première personne qu’il accueille ce jour-là. Elle entre dans la pharmacie de bon matin pour le renouvellement de son ordonnance. Pierre récupère la prescription éditée par le médecin. Celle-ci comporte le QR Code unique, ce qui permet de lire l’ordonnance numérique et de vérifier ainsi son authenticité. Il accède aussi directement au dossier médical partagé (DMP) de Mme Denis en un clic via son dossier patient sur son logiciel de gestion officinal (LGO), et consulte les derniers résultats biologiques de la patiente. Lors de la délivrance, il substitue un médicament en rupture de stock et trace immédiatement cette action en étant connecté. Un homme arrive peu après et présente une ordonnance comportant un médicament cher. Pierre ne connaît pas ce malade. Il doit d’abord qualifier son identité nationale de santé (INS). L’homme présente son smartphone avec son appli carte Vitale. Quelques secondes suffisent à vérifier son INS. Quelques autres de plus sont nécessaires pour ouvrir un dossier à son nom et accéder à son DMP. Là encore, le QR Code de son ordonnance permet de vérifier l’authenticité de la prescription hospitalière. Pierre participe ainsi à la lutte contre la fraude aux médicaments chers sans plus de démarches à effectuer. Il contrôle également la posologie du traitement grâce au logiciel d’aide à la dispensation intégré dans son logiciel métier. Pendant qu’il délivre les boîtes, son LGO l’informe de l’arrivée d’un message sur la messagerie sécurisée de santé (MSS) de la pharmacie. Cette fois, c’est à nouveau un patient habituel qui vient de lui envoyer une ordonnance. Pierre lui répond directement grâce à la MSS de son espace santé numérique que ses médicaments seront prêts dans une heure. Une jeune femme vient faire effectuer son rappel de DT Polio. Elle a pris rendez-vous en ligne. Après l’injection du vaccin dans l’espace confidentiel, Pierre édite une note de vaccination qu’il partage dans le DMP de la jeune femme.
Une « rêve-évolution »
De la science-fiction ? Aujourd’hui, oui. Mais dans deux à trois ans, la digitalisation de l’exercice officinal commencera à devenir une réalité. Le Ségur du numérique doit en effet permettre aux pharmaciens de travailler plus rapidement. « Cela va changer les habitudes et les interfaces des logiciels, a expliqué Denis Supplisson, directeur général d’Equasens, lors d’un débat à PharmagoraPlus, organisé par Le Moniteur des pharmacies le 11 mars 2023. Il y a deux façons d’aborder le Ségur : soit de rajouter simplement des boutons et des clics, soit de recentrer le logiciel sur le patient et le parcours de soins. Dans un logiciel patient centré, on va pouvoir directement aller du patient vers un bilan de médication, vers son DMP, vers sa vaccination et enchaîner sur une tarification. Alors qu’aujourd’hui on entre dans le module ordonnance et on saisit les produits. C’est une démarche centrée sur la délivrance. Avec le Ségur, on initie la pratique par le patient. » « Une révolution » pour Christophe Wilcke, président de l’union régionale des professionnels de santé (URPS) pharmaciens Grand-Est, qui « n’a pas pour l’instant changé grand-chose ».
De fait, si la mise à jour des LGO « Ségur » a débuté, elle ne devrait être effective qu’à la fin de l’année 2023. Les éditeurs de logiciels ont désormais jusqu’au 20 septembre pour l’effectuer dans les officines. « Si Leo et LGPI sont déployés à 90 %, d’autres logiciels ne sont pas du tout prêts. D’où le report de l’échéance en septembre. La véritable deadline sera en réalité le 31 décembre 2023 lorsque les pharmaciens devront déclarer l’installation du LGO “Ségur” pour percevoir la rémunération sur objectifs de santé publique », commente Valérian Ponsinet, président de la commission convention et système d’information de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Entre 6 500 et 7 000 officines sont déjà équipées, complète Olivier Rozaire, président de l’URPS pharmaciens Auvergne-Rhône-Alpes. La montée en charge est progressive et toutes les fonctionnalités ne sont pas encore opérationnelles. » « Aujourd’hui, nous sommes à la vague 1 du Ségur du numérique. En réalité, elle permet d’implémenter les outils pour la vague 2 », abonde Sébastien Lagoutte, référent numérique de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Une vague 2 qui devrait commencer début 2024. Et d’ajouter : « Nous attendons du Ségur deux axes principaux : la communication entre pharmaciens, entre professionnels de santé, au sein du cercle de soignants du patient, et l’information, c’est-à-dire l’information qui circule sur le patient avec son DMP. Aujourd’hui, les solutions ne sont pas optimales, nous les voudrions intégrées au logiciel, pratiques, sécurisées et opposables. Nous attendons une optimisation de la prise en charge de nos patients. »
Peu de fonctionnalités opérationnelles
Actuellement, que peuvent donc faire les pharmaciens avec les LGO « Ségur » ? Ils peuvent déjà accéder au DMP des patients mais via le « Web DMP ». En clair, un lien contextuel vers le DMP apparaît sur le dossier patient du LGO. Comme l’a expliqué Xavier Vitry, directeur de projets à la délégation ministérielle au numérique en santé (DNS), à PharmagoraPlus, « le lien contextuel fait changer de logiciel et le pharmacien devra se reconnecter au “Web DMP”, mais s’il est connecté avec Pro Santé Connect, la procédure est transparente ». Une solution alternative en attendant un accès direct, qui devrait durer environ 18 mois. Et qui ne réduit pas pour l’instant le nombre de « clics »… Surtout, l’accès au DMP est intéressant s’il comporte des documents (ordonnances, résultats d’examens biologiques, etc.). D’où la nécessité de l’alimenter pour les pharmaciens… et pour les médecins ! Autre outil qui fonctionne depuis mai 2023 : l’envoi d’ordonnances par le patient à la pharmacie par l’intermédiaire de la messagerie sécurisée de son espace santé numérique. Cependant, pour l’instant, cet usage risque d’être limité pour plusieurs raisons : seulement 8,6 millions de personnes ont activé Mon espace santé ; seules les pharmacies ayant déjà effectué un remboursement sont répertoriées ; l’officine doit avoir une MSS organisationnelle (pas au nom du titulaire). Quant à l’e-prescription, il faudra plutôt attendre 2024 pour un véritable déploiement en médecine de ville. La nouvelle feuille de route du numérique en santé 2023-2027 prévoit que, d’ici fin 2024, 75 % du marché des logiciels de cabinet médical ait passé avec succès les préséries (c’est-à-dire puisse éditer des ordonnances numériques) et que 40 000 médecins aient créé une première ordonnance électronique.
Développer les usages
Les pharmaciens devront donc être patients. « Les usages vont démarrer à partir d’octobre 2023 », estime Olivier Rozaire. Les usages constituent justement tout l’enjeu du Ségur du numérique. « Il faudrait présenter des cas d’usage pour avancer dans le déploiement du Ségur et pouvoir échanger, tracer et communiquer, observe Christophe Wilcke. Nous devons aller plus loin avec les éditeurs afin de disposer d’un logiciel qui permettrait, par exemple, de noter les questions posées au patient au sujet d’une situation particulière, ce que pense le pharmacien par rapport à la pathologie, à la médication proposée, et d’obtenir à la fin un PDF récapitulatif faisant partie de l’historique du patient dans le DMP et envoyé par MSS au médecin traitant. Dans le contexte actuel de difficultés d’accès aux soins et de demandes de soins spontanées à l’officine, les pharmaciens deviennent des effecteurs de soins. » C’est d’ailleurs dans cette optique que l’ensemble des URPS sous la bannière FSPF travaille à la rédaction d’un livre blanc prévu pour l’été. La « révolution » du Ségur du numérique ne fait que commencer.
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