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Tout est dans la mesure
Le dépistage prend de l’ampleur à l’officine. Incitée en cela par les pouvoirs publics qui voient dans la prévention une source d’économies, et par l’Ordre qui souhaite renforcer le rôle de la profession. Mais la frontière entre dépistage et diagnostic, interdit aux pharmaciens, est ténue… Conseils pour une pratique du dépistage dans les règles de l’art.
La prévention à l’officine s’est longtemps résumée à une simple balance qui crachait les kilos en trop contre une pièce de monnaie. Aujourd’hui, elle va jusqu’au dosage gratuit de l’ensemble des paramètres qui font d’un client un candidat potentiel aux maladies cardiovasculaires. Si le progrès technique explique en partie cette évolution, l’élan politique en justifie sans doute la rapidité. La réduction du coût du système de santé passe inévitablement par des actions de prévention auprès de la population.
« Face au vieillissement de la population et à l’émergence des nouvelles pathologies liées à l’âge, le pharmacien, qui est en contact à la fois avec les malades et les non-malades, a un rôle très important à jouer en termes de prévention et de dépistage, lesquels vont de pair, soutient Isabelle Adenot, présidente du conseil central A de l’ordre des pharmaciens. Le dépistage précoce retarde ou évite les complications, notamment dans le cadre du traitement du diabète. Le dépistage, c’est aussi l’optimisation de la qualité des soins. L’Ordre ne peut donc qu’inciter les pharmaciens à pratiquer le dépistage. »
D’ailleurs, selon Isabelle Adenot, tout dans le Code de la santé publique invite et autorise les pharmaciens à pratiquer le dépistage. Elle rappelle ainsi l’article R. 4235-2 qui stipule que le pharmacien doit contribuer à l’information et à l’éducation du public en matière sanitaire et sociale, et l’article R. 4235-8 qui précise qu’il doit prêter son concours à toute démarche de protection sanitaire. Deux textes auxquels s’ajoutent l’arrêté du 8 février 1979, qui fixe la liste des analyses de biologie médicale que peuvent effectuer les officinaux, et celui du 15 février 2002 qui liste les marchandises dont ils peuvent faire le commerce. L’alinéa 15 de ce dernier arrêté est d’ailleurs consacré aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro destinés à être utilisés par le public.
« Ces dépistages doivent, bien sûr, être effectués dans le respect des normes fixées par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (notamment en ce qui concerne les matériels utilisés) et dans la maîtrise des risques d’exposition au sang, précise Isabelle Adenot. De plus, si le pharmacien est tout à fait habilité à distribuer des fiches d’information sur les pathologies abordées lors d’une campagne de santé publique, comme par exemple les documents produits par le Cespharm, il ne doit en aucun cas franchir le pas du diagnostic. Contribuer aux actions de prévention et de dépistage ce n’est pas diagnostiquer. En cas de résultat suspect, le pharmacien doit se contenter d’orienter vers le médecin. »
Une pratique sous tension.
Une limite qu’il est important de rappeler puisque c’est bien le risque d’accusation d’exercice illégal de la médecine qui plane sur la tête des pharmaciens lorsqu’ils s’engagent dans le dépistage. En effet, si, « chaque fois qu’il lui paraît nécessaire, le pharmacien doit inciter ses patients à consulter un praticien qualifié » – comme le précise l’article R. 5015-62 du CSP -, il lui appartient de ne pas empiéter sur les prérogatives de cet autre « praticien qualifié » représenté en premier lieu par les médecins. Or la limite est ténue.
A la lecture de l’article L. 461-1 du Code de la santé publique concernant l’exercice illégal de la médecine, certains éléments peuvent éveiller plus que le doute. Il y est fait référence à deux interdictions distinctes qui pourraient affecter l’exercice du dépistage à l’officine. D’une part, celle de pratiquer des examens ou de donner des consultations en vue de l’établissement d’un diagnostic et d’une thérapeutique. Or, ici, l’article ajoute un « délit d’habitude », c’est-à-dire que le délit est constitué dès lors que se répète une série d’actes, alors que n’est pas pénalement répréhensible celui qui, à l’occasion, donne un avis ou un conseil ou encore prodigue des soins en urgence.
D’autre part, ce texte fait référence à l’interdiction de pratiquer certains actes professionnels expressément réservés aux médecins ou à certains auxiliaires médicaux, actes en tête desquels se place la simple prise de tension.
Un flou juridique sur lequel Christine Caminade, consultante et formatrice (Christine Caminade Conseil), aurait bien aimé obtenir une mise au point de la part de l’ordre des pharmaciens. Malgré des discussions sur le sujet, l’institution refuse de donner une réponse écrite et se retranche derrière le contenu, selon elle exhaustif, du Code de santé publique. Aussi, pour protéger les pharmaciens, Christine Caminade insiste sur les critères de qualité avec lesquels les opérations de dépistage doivent s’effectuer, tout en précisant, si cela était nécessaire, que « le dépistage proposé à l’officine est un autodépistage. Le client devrait donc effectuer seul son prélèvement et n’être aidé par le pharmacien qu’en cas d’incapacité majeure à le faire ».
Pas question non plus de faire un test de glycémie sur le bout du comptoir ou de faire connaître sa démarche autrement que par une communication en face à face dans l’officine voire par voie d’affichettes dans la zone de vente. Selon Christine Caminade, même si l’exercice est délicat, il entre dans les prérogatives du pharmacien. Elle pousse même le trait jusqu’à le considérer comme un « acte commercial ». Tout comme certains réseaux de distribution s’engagent sur un service, le dépistage serait une sorte de service après-vente offert par l’officine. « En tant que pharmacienne, je m’engage à faire un suivi après la vente d’un médicament », explique Christine Caminade.
Compte tenu de la marge d’interprétation présente dans les textes, en dehors du suivi de l’observance de certains patients engagés dans des traitements au long cours, Christine Caminade préfère conseiller la prudence et prône l’information des autorités professionnelles : « Il suffit de faire parvenir, suffisamment en amont (un mois avant), un courrier auprès du représentant local de l’ordre des pharmaciens précisant les dates, le thème et les modalités de réalisation de l’opération de dépistage. »
Les biologistes sur leurs gardes.
Sans tomber dans la paranoïa, il faut signaler que la démarche de dépistage entreprise par certains pharmaciens n’est pas forcément appréciée de tous, confrères/concurrents ou biologistes environnants. Jean Benoit, président du Syndicat des biologistes, fait part de la réticence de sa profession. « Je dois dire que je ne suis pas très enthousiaste. Je ne comprends pas très bien la justification d’une telle pratique. Nous sommes déjà 4 000 laboratoires sur tout le territoire et nous proposons aussi des campagnes au cours des journées nationales de dépistage. Si je comprends l’existence d’un suivi régulier par le biais des home tests, pratiqués par les patients, je ne vois pas pourquoi les pharmaciens cherchent à tous prix à s’emparer du marché du dépistage. S’ils voulaient faire de la biologie, il fallait qu’ils choisissent la bonne option au cours de leurs études. »
Jean Benoit n’y va par quatre chemins et n’hésite pas à qualifier le dépistage en officine de « sous-biologie », remettant en cause la fiabilité des tests et les conditions dans lesquelles ils peuvent être pratiqués. Une colère qui trouve en fait sa source dans l’absence de dialogue entre les différents acteurs du dépistage. « Il faudrait ouvrir le débat, propose Jean Benoit. Nous ne sommes pas opposés à une réflexion interprofessionnelle. On peut rediscuter des compétences et des attributions de chacun. Mais c’est du donnant-donnant. Lancer des actions sans concertation, c’est une agression. Actuellement, l’attitude de l’ordre des pharmaciens tient plus de celle d’un syndicat. »
A retenir
– L’ordre incite les pharmaciens à pratiquer le dépistage. Selon lui, tout dans le Code de la santé les y invite et autorise.
– pas de diagnostic
En cas de résultat suspect, le pharmacien doit orienter vers le médecin.
– autodépistage Le client doit effectuer seul son prélèvement, sauf en cas d’incapacité majeure.
– Les biologistes ne voient aucune justification dans le dépistage à l’officine.
– communication
Concernant le dépistage, l’information aux clients devrait être circonscrite au seul espace intérieur de l’officine (sauf campagne nationale).
Ce que dit la loi
Article R. 4235-2
« Le pharmacien exerce sa mission dans le respect de la vie et de la personne humaine. Il doit contribuer à l’information et à l’éducation du public en matière sanitaire et sociale. Il contribue notamment à la lutte contre la toxicomanie, les maladies sexuellement transmissibles et le dopage. »
Article R. 4235-8
« Les pharmaciens sont tenus de prêter leur concours aux actions entreprises par les autorités compétentes en vue de la protection de la santé. »
Arrêté du 8 février 1979
Selon ce texte, les pharmaciens conservent la possibilité d’effectuer des analyses simples dont la liste est la suivante :
« – Urines : acétone (recherche et estimation approximative), pigments et sels biliaires (recherche), protéines (recherche et dosage), sucre (recherche et dosage), sang (caractérisation, soit par recherche des hématies, soit par l’hémoglobine), urobiline (recherche).
– Sang : urée, glucose, mesure de la vitesse de sédimentation globulaire. »
Par ailleurs, l’exécution de ces analyses doit être effectuée dans un endroit réservé à cet effet dans l’officine et il est exigé du pharmacien le matériel suivant : « un petit matériel de verrerie courant, un appareillage permettant d’obtenir une eau distillée ou purifiée, un réfrigérateur à + 4 °C, un centrifugeur avec accessoires, un spectrophotomètre avec cuve thermostatée, si les techniques utilisées l’exigent ».
Arrêté du 15 février 2002
« Les pharmaciens ne peuvent conseiller, dispenser et vendre dans leur officine que les produits, articles, objets et appareils suivants qui correspondent à leur champ d’activité professionnel :
[…] 15° Les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro destinés à être utilisés par le public
Article L. 4161-1 du CSP
« Exerce illégalement la médecine :
1° Toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d’un médecin, à l’établissement d’un diagnostic ou au traitement de maladies, congénitales ou acquises, réelles ou supposées, par actes personnels, consultations verbales ou écrites ou par tous autres procédés quels qu’ils soient, ou pratique l’un des actes professionnels prévus par une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé après avis de l’Académie nationale de médecine, sans être titulaire d’un diplôme, certificat ou titre mentionnés à l’article L. 4131-1 et exigé pour la profession de médecin ou sans être bénéficiaire des dispositions spéciales mentionnées aux articles L. 4111-2 à L. 4111-4, L.. 4111-6, L. 4111-7, 4112-6, L. 4131-2 à L. 4131-5. »
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