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Oncologie : les biomarqueurs marquent des points

Publié le 1 juillet 2023
Par Yves Rivoal
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Dans la lutte contre le cancer, les biomarqueurs associés à une thérapie ciblée ouvrent depuis plusieurs années la voie à une médecine prédictive et personnalisée. Et suscitent beaucoup d’espoirs pour les patients.

 

Lors du dernier congrès de la Société américaine d’oncologie clinique (Asco) qui s’est tenu à Chicago (Etats-Unis) début juin, l’annonce des résultats de l’essai clinique Adaura a fait naître de nouveaux espoirs pour les patients atteints d’une certaine forme de cancer du poumon. « Cette étude ciblait 682 patients opérés pour un cancer du poumon localisé de type adénocarcinome et qui étaient porteurs de la mutation de la protéine EGFR*, un biomarqueur présent dans 15 % des adénocarcinomes au sein de la population non-asiatique, confie Jordi Remon, oncologue au sein du groupe oncologie thoracique de l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne). 60 % des patients ont reçu une chimiothérapie, puis la moitié d’entre eux ont été traités pendant trois ans avec l’osimertinib (Tagrisso), un inhibiteur de la tyrosine kinase de l’EGFR de nouvelle génération, pendant que l’autre moitié recevait un placebo. Résultat, l’administration de Tagrisso s’est traduite par un taux de survie globale à cinq ans dans toute la population de 88 %, contre 78 % dans le groupe placebo, et par une réduction du risque de décès de 51 %. »

 

Cette découverte majeure rappelle à quel point les biomarqueurs, associés à une thérapie ciblée, constituent une piste prioritaire dans la recherche de nouveaux traitements contre le cancer. « Les biomarqueurs sont les marqueurs biologiques d’un traitement ou du pronostic d’un patient, rappelle Pascal Pujol, généticien au centre hospitalier universitaire de Montpellier (Hérault) et président de la Société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP). Ces molécules biochimiques, qui peuvent être de natures variables (acides nucléiques, lipides, protéines, sucres, etc.), sont anormalement exprimées par les cellules tumorales ou dans les fluides biologiques. Elles peuvent être d’origine génétique, en exprimant une mutation ou une délétion, ou la photo de l’expression d’un gène dans le cadre d’une signature ou d’un phénotype. »

Talon d’Achille

 

Découverts dans les années 1980 avec l’apparition des anticorps monoclonaux, ces biomarqueurs ont fait l’objet d’intenses recherches. « Il faut dire qu’ils sont un peu le talon d’Achille de la cellule cancéreuse, confie Pascal Pujol. Car s’ils alimentent le mécanisme permettant aux cellules cancéreuses de se développer, ils dévoilent en même temps leurs faiblesses. Si l’on parvient à contrer ce mécanisme, on doit pouvoir lutter contre leur prolifération. » « Les biomarqueurs théranostiques ont en effet la particularité de prédire la réponse à un traitement, et donc de savoir si un patient peut être éligible ou non à la thérapie ciblée qui lui est associée », explique Nathalie Varoqueaux, directrice médicale d’Amgen France, qui compte dans son portefeuille une vingtaine de molécules en oncologie, dont plus de 70 % sont associées à un biomarqueur. Pour elle, ces biomarqueurs ont même marqué une vraie révolution. « Ils ont ouvert la voie à ce que l’on appelle la médecine de précision ou personnalisée, assure-t-elle. Chaque tumeur est quasiment unique et évolue en fonction du patrimoine génétique du patient, de son environnement et des traitements qu’on lui a administrés. Leur découverte a permis d’individualiser les thérapeutiques, que ce soit en matière d’efficacité ou de tolérance. »

 

Aujourd’hui, pas moins de 122 biomarqueurs de médecine personnalisée sont recensés. « Rien que sur le cancer du poumon, il y a aujourd’hui 20 indications de thérapies ciblées reposant sur 10 biomarqueurs que l’on doit rechercher chez tous les patients, trois au stade initial et sept de plus en cas de récidive, précise Pascal Pujol. Il faut dire que ces biomarqueurs associés à une thérapie ciblée personnalisée possèdent bien des vertus. « Contrairement à la chimiothérapie qui a pour objectif de tuer toutes les cellules cancéreuses, mais qui détruit aussi des cellules non cancéreuses, d’où les nombreux effets secondaires, les thérapies ciblées ne s’attaquent, elles, qu’à la tumeur, rappelle Jordi Remon. Elles se révèlent donc moins toxiques, et améliorent la qualité de vie du patient pendant le traitement. »

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Une partie des travaux de recherche se concentre d’ailleurs sur ce que les scientifiques appellent la remontée des lignes. « Au départ, les thérapies ciblées associées à des biomarqueurs ont été testées sur des cancers métastatiques en adjuvant à une chimiothérapie, explique Pascal Pujol. Comme cela a fonctionné, on les a ensuite administrées à des patients en situation de rechute, puis sur des tumeurs à des stades précoces et localisés, toujours en complément de la chimiothérapie. »

L’exploration continue

 

De nombreux travaux de recherche se concentrent également sur la découverte de nouveaux biomarqueurs. « Dans le cancer du poumon, 40 % des patients avec un adénocarcinome du poumon n’ont pas de biomarqueurs », souligne Jordi Remon. « Dans le cas du cancer du poumon à petites cellules, il n’y a pas non plus de biomarqueur bien défini et associé à une thérapie ciblée parce que l’on n’a pas encore compris les mécanismes qui font que cette tumeur apparaît, et sur lesquels nous pourrions agir », ajoute Nathalie Varoqueaux. Les chercheurs essayent également de mettre au point de nouveaux traitements personnalisés, plus puissants, et administrables seuls ou en combinaison avec la chimiothérapie classique afin d’augmenter le bénéfice. « C’est le cas, par exemple, avec le lorlatinib (Lorviqua), une thérapie de nouvelle génération chez les patients atteints d’un cancer du poumon caractérisé par une altération de la protéine ALK. Ce nouveau traitement permet de retarder la progression de la maladie, et offre en plus une très bonne protection cérébrale en réduisant le risque de développer des métastases au cerveau par rapport à une thérapie personnalisée de première génération comme le crizotinib », indique Jordi Remon.

 

Autre chantier de taille sur lequel planchent les chercheurs : les mécanismes de résistance. « Aujourd’hui, même après une thérapie ciblée, il y a encore des rechutes, constate Nathalie Varoqueaux. Nous essayons donc de comprendre les mécanismes de résistance et les nouveaux biomarqueurs qui apparaissent. » Pour leur détection, une nouvelle voie est en train de prendre une place de plus en plus importante : l’ADN tumoral circulant. « Jusqu’à présent, pour repérer la présence d’un biomarqueur, on s’appuyait sur une biopsie ou sur la pièce anatomique, rappelle la directrice médicale d’Amgen France. Mais l’accès à la biopsie est parfois compliqué, et il arrive aussi que nous n’ayons pas suffisamment de matériel. De nombreux travaux portent donc sur l’identification des biomarqueurs dans le sang qui est particulièrement intéressante en cas de rechute. On sait notamment que pour un cancer du poumon EGFR muté, le biomarqueur dans le sang peut être un bon indicateur de prédiction d’une éventuelle rechute. Cette méthode a aussi l’avantage d’être beaucoup moins invasive qu’une biopsie et d’être capable de détecter en temps réel l’apparition de mutations de résistance. Ce qui permet d’envisager d’autres thérapies ciblées plus spécifiques et pas une chimiothérapie à l’aveugle comme on le faisait auparavant. »

 

Sur tous ces champs, les biomarqueurs associés à une thérapie ciblée sont synonyme d’espoirs pour les patients. « A l’avenir, le développement de la pharmacopée en oncologie passera inévitablement par la médecine de précision personnalisée, car nous avons enregistré trop de succès avec les thérapies ciblées pour ne pas nous concentrer sur cette voie », estime même Pascal Pujol. Cette voie concernera d’ailleurs directement les pharmaciens d’officine. « Le nombre de thérapies personnalisées approuvées augmente chaque année. Or, la plupart de ces traitements, qui sont remboursés en France, sont administrés par voie orale et dispensés en pharmacie de ville. Les équipes officinales doivent par conséquent se préparer à en délivrer de plus en plus, et devraient donc s’intéresser à cette nouvelle génération de traitements afin d’en connaître les potentiels effets indésirables », conclut Jordi Remon.

  • * Epidermal growth factor receptor