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Vers un plan d’action pour encadrer les prescriptions
Alprazolam, zolpidem ou encore bromazépam… La consommation française de benzodiazépines atteint toujours des records, avec des durées de prise beaucoup trop longues. Dans son dernier rapport publié début janvier, l’ANSM tire la sonnette d’alarme et envisage un nouveau plan de sensibilisation.
Quelque 131 millions de boîtes de benzodiazépines et molécules apparentées ont été délivrées en 2012. Alors que la tendance était à la baisse depuis quelques années, le dernier état des lieux de l’ANSM, diffusé le 8 janvier, est inquiétant. La consommation d’anxiolytiques et d’hypnotiques est à nouveau à la hausse. Parmi les plus appréciés des Français, l’alprazolam (Xanax) arrive en tête, suivi de près par le zolpidem (Stilnox) et le bromazépam (Lexomil). 11,5 millions de Français ont consommé au moins une fois une benzodiazépine dans l’année, 22 % d’entre eux avalent deux médicaments de cette classe en même temps, qu’ils soient d’action différente ou non, et 0,7 % en prennent même trois !
L’augmentation de la consommation ne résulte pas d’un nombre plus important d’utilisateurs, qui se stabilise depuis 2007, mais d’une plus forte consommation. Même si le volume global des benzodiazépines vendues est en baisse (131 millions de boîtes en 2012 contre 134 millions en 2010), la consommation d’anxiolytiques est en hausse (66,8 millions de boîtes au lieu de 64,9 en 2010), de même que celle d’hypnotiques (50,7 millions de boîtes versus 48,2 en 2010).
Durées de prescription trop longues
Le rapport de l’ANSM révèle également que la durée moyenne de prescription des anxiolytiques avoisine 5 mois, et 4 mois pour les hypnotiques, alors que la réglementation la limite théoriquement à 12 et 4 semaines. Il s’avère même que 16 % des patients sous anxiolytiques et 17 % des patients sous hypnotiques prennent leur traitement en continu, et ce depuis 5 à 6 ans sans interruption.
Pourtant, les benzodiazépines ne sont pas sans danger. Depuis quelques années les publications scientifiques se multiplient sur le sujet et, aujourd’hui, les effets secondaires neuropsychiatriques de ces molécules sont connus. En augmentant leur consommation, les patients s’exposent à un phénomène de tolérance, des risques de dépendance physique et psychique, une perte de la mémoire des faits récents et des problèmes de sevrage à l’arrêt du traitement. Deux nouvelles études françaises en cours de publication, menées par les professeurs Bégaud et Tzourio, respectivement pharmacologue et neurologue vasculaire, mettent en avant un lien entre la consommation de benzodiazépines et le risque de démence. Le suivi pendant 10-11 ans de 9 000 patients de plus de 65 ans consommateurs de benzodiazépines recense plus de 800 cas de démences. Selon les auteurs, le risque de démence serait d’avantage lié à un mésusage de cette classe thérapeutique plutôt qu’à une molécule en particulier ou un problème de surdosage.
Des mesures ont pourtant été prises par les autorités de santé ces dernières années pour lutter contre cette surconsommation : pictogrammes de vigilance apposés sur les boîtes, durées de prescription limitées à quelques semaines, surveillance accrue par les centres de pharmacovigilance. Certaines molécules ont même eu le droit à un traitement tout particulier. Depuis 2011, la prescription du clonazépam (Rivotril) se fait uniquement sur des ordonnances sécurisées et, depuis 2012, sa primoprescription doit être établie par un neurologue ou un pédiatre exerçant dans un établissement de soins. Le tétrazépam (Myolastan), lui, a vu ses indications s’amenuiser avant d’être définitivement retiré du marché en 2013 pour cause de balance bénéfice-risque négative. Certes la consommation de ces molécules a chuté respectivement de 70 % et 35 % entre 2010 et 2012. Mais le rapport constate un report de prescription sur les autres benzodiazépines. Le tétrazépam, molécule la plus prescrite en 2010 et 2011, a donc laissé en 2012 sa place de vainqueur à l’alprazolam.
Vers un nouveau plan d’action en 2014
D’après l’ANSM, la consommation d’hypnotiques et d’anxiolytiques concerne des personnes âgées en moyenne de 56 ans, dont 64,2 % de femmes. Des patients bien souvent polymédiqués, pour qui le sommeil est la source principale de préoccupation. 90 % des primoprescriptions de benzodiazépines émanent des médecins généralistes. Pourtant, selon la HAS, seules 10 à 20 % des plaintes du sommeil sont de véritables insomnies et nécessiteraient un traitement médicamenteux. En 2006, la Haute Autorité de santé avait élaboré des outils pratiques pour aider les médecins et les pharmaciens à apporter à leurs patients des solutions alternatives à la prise en charge médicamenteuse. Arbres décisionnels, questionnaire de dépendance aux benzodiazépines ou encore agenda du sommeil aident à mieux comprendre l’origine des problèmes de sommeil ou d’anxiété et à trouver une réponse adaptée. Pratiquer une activité sportive, s’exposer à la lumière du soleil, bien s’alimenter ou encore aménager sa chambre confortablement sont quelques conseils qui peuvent faciliter l’endormissement et améliorer le sommeil. Mais, devant cette recrudescence de consommation de benzodiazépines, les autorités sanitaires envisagent de proposer un nouveau plan d’action courant 2014. Objectif : mieux encadrer la prescription de benzodiazépines et, surtout, sensibiliser les patients aux risques neuropsychiatriques. Car, pour l’ANSM, le recours aux benzodiazépines ne doit pas être banalisé.
INTERVIEW : Pr VINCENT RENARD, PRÉSIDENT DU COLLÈGE NATIONAL DES GÉNÉRALISTES ENSEIGNANTS« Pour qu’il y ait un réel changement des comportements, il faut une vraie campagne d’information »
Comment expliquer la surconsommation de benzodiazépines en France ?
La situation est complexe. Nous sommes confrontés à deux mouvements importants. D’abord, la consommation de benzodiazépines est historique. Il y a 20 ans, les généralistes étaient formés sur des principes comme « anxiété = anxiolytique », et aujourd’hui on est confronté à des problèmes de sevrage chez des patients qui sont polypathologiques et polymédiqués. Cela demande beaucoup de temps et d’énergie. Mais cette surconsommation s’explique aussi par la crise sociale et la souffrance morale qui touchent les Français. Et cela ne devrait pas s’améliorer dans les années à venir.
Quelle politique devrait être mise en place par les autorités de santé ?
Pour qu’il y ait un vrai changement des comportements, il faut une vraie campagne d’information comme pour les antibiotiques. Il faut sensibiliser d’avantage le grand public et mieux informer les professionnels de santé. Aujourd’hui le réflexe médicamenteux est encore trop important chez les médecins et les patients. Mais comment faire autrement dans un système socioculturel où la Sécurité sociale est faite pour rembourser des soins et non des actes de prévention ? Les benzodiazépines sont prescrites à 90 % par les médecins généralistes. La formation universitaire des internes est donc primordiale. Il y a déjà eu des progrès en ce sens. Aujourd’hui, les internes sont mieux formés, sur d’autres principes que « anxiété = anxiolytique ». Mais la tendance ne va pas changer avant 20-25 ans. La surconsommation de benzodiazépines doit devenir la priorité de santé publique en France.
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