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2013 AURAIT PU ÊTRE PIRE !
L’information est à prendre encore avec des pincettes : le nombre de pharmacies en redressement et liquidation judiciaires n’aurait pas augmenté en 2013. Mais il ne faut pas se réjouir trop vite. Si le bilan n’est pas plus lourd, c’est parce les pharmaciens dans le rouge font tout pour s’en sortir en cédant à temps le fonds ou la clientèle, en se regroupant ou en transférant.
Observateur attentif et régulier de l’évolution de la santé financière des officines, Luc Fialletout, directeur général adjoint d’Interfimo, ne relève pas un taux de sinistralité plus important sur 2013 : « Le rythme des procédures collectives du premier semestre 2013 témoigne d’une situation qui ne semble pas globalement se détériorer par rapport à 2012, commente-t-il. Il n’y a pas eu plus de désastres l’an dernier et leur nombre s’inscrit dans la continuité de 2011 et 2012. En revanche, quand les difficultés surviennent, elles sont plus radicales et conduisent plus rapidement à une liquidation judiciaire. »
A fin juin 2013, en nombre d’ouvertures par rapport au même semestre de l’année 2012, les procédures de sauvegarde baissent de 12 en 2012 à 10 en 2013. Dans le même temps, les redressements judiciaires augmentent de 35 à 37 et les liquidations chutent de 31 à 26, soit un total de 73 nouvelles procédures collectives contre 78 en 2012 (- 6,4 %). « La baisse du nombre des liquidations résulte sans doute du fait que bon nombre des pharmacies irrémédiablement condamnées n’avaient pas passé le cap de 2012, précise Luc Fialletout. Pour celles-là, la sanction économique et judiciaire était déjà tombée l’année dernière. » Ce sont toujours Paris, PACA et l’Aquitaine qui drainent le plus de procédures collectives.
En 2013, le chiffre d’affaires des officines a continué à baisser (de l’ordre de 1,3 % en moyenne, selon la FSPF) mais sans faire plus de victimes que l’année précédente. S’il n’y a pas eu plus de dégâts, c’est en grande partie grâce aux ressources de la coopération commerciale, de l’ordre de 30 000 à 40 000 euros en moyenne par pharmacie. « Cette coopération commerciale doit être considérée comme une ligne de survie à préserver sous une forme ou sous une autre, à côté de la mise en place de la nouvelle rémunération des pharmaciens. »
Tout le monde est touché, du Nord au Sud, des anciens aux plus jeunes
Il n’y a pas de profil type de pharmacie en difficulté par rapport à l’âge du titulaire. « Les difficultés sont assez bien réparties entre des pharmacies de première installation tenues par des jeunes diplômés et des pharmacies dirigées par des titulaires plus âgés qui se sont réinstallés, observe Luc Fialletout. Ce qui n’était pas le cas au début des années de crise, en 2010, où l’on voyait plus volontiers cette deuxième catégorie. Depuis, ces titulaires ont pris des mesures d’urgence comme baisser leur rémunération ou augmenter leur temps de travail et ils contrôlent plus étroitement leurs ratios de gestion ».
Du fait de l’endettement des officines (10 Md€ au total) et des charges salariales importantes que génèrent les 138 000 salariés en officine, il y aurait l’équivalent d’un salarié en trop par pharmacie. Mais un licenciement ne permet pas toujours de se tirer d’affaire. « La pharmacie reste une entreprise de taille modeste. Pour certains, licencier une personne peut vite représenter 20 %, 30 % ou 40 % de la masse salariale ; c’est donc une variable d’ajustement trop radicale pour une officine en difficulté », remarque Luc Fialletout.
On peut difficilement mettre en exergue des régions plus sensibles que d’autres et tracer le portrait-robot de la pharmacie en difficulté. Certes, les petites pharmacies de centre-ville périclitent plus facilement dans l’ombre des grosses pharmacies qui captent la clientèle, et il est difficile de leur venir en aide, car sans perspective d’avenir. Mais il n’y a pas de règle établie. L’érosion du CA peut faire ressortir les mauvaises qualités de gestionnaire de certains titulaires aujourd’hui sur la corde raide, indépendamment de la taille. D’autres cumulent les problèmes économiques de la pharmacie en général et ceux propres à leur fonds de commerce.
A Marseille, les banques sortent les parapluies
Dans le Sud, les difficultés proviennent souvent de pharmacies qui ont été achetées trop cher et qui aujourd’hui ne peuvent plus faire face à leurs échéances de remboursement. « Les marges dégagées sont entièrement consacrées à des échéances d’emprunt trop lourdes, liées à des endettements de rachats disproportionnés », relève Joël Vellozzi, expert-comptable du réseau KPMG à Marseille.
« Aujourd’hui le plus gros problème de la pharmacie, c’est son endettement qui est trop lourd par rapport à la rentabilité réelle », confirme Lionel Canesi, expert-comptable du cabinet C2C Pharma (réseau CGP), exerçant également dans la cité phocéenne. « Sur les 130 pharmacies clientes du cabinet, 8 sont en procédure de sauvegarde pour cette raison et vont pouvoir s’en sortir avec un plan de continuation », indique-t-il. Si les pharmaciens en sont arrivés là, « c’est parce que les banques sortent les parapluies et ne jouent pas le jeu des réétalements des crédits, déplore l’expert-comptable. Pour les y contraindre, il faut aller au tribunal de commerce afin d’obtenir deux ans de sauvegarde qui permettront de financer un ou plusieurs licenciements économiques et un réétalement des dettes pendant les 10 années suivantes, alors qu’on aurait pu aboutir au même résultat en négociant à l’amiable ».
Les pharmaciens sous procédures collectives n’en sont pas forcément à leur première installation « mais ce sont des pharmaciens installés depuis 5 ou 6 ans », précise-t-il.
Dans le reste de sa clientèle, un tiers est toutefois sous surveillance de trésorerie. « Elles sont en proie à des découverts ponctuels de trésorerie qui nécessitent de prendre des mesures d’étalement des échéances avec le grossiste et de mettre en place un budget prévisionnel de trésorerie. »
Toujours une cinquantaine de fermetures d’officines chaque année
Tous les ans, vers mai/juin, Patrick Zeitoun, président de l’Union des pharmaciens de la région parisienne (UPRP), mène son enquête sur les fermetures d’officines dans les huit départements d’Ile-de-France. « Le rythme n’évolue pas, il y a toujours 50 fermetures par an environ, soit à peu près une disparition d’officine par semaine », livre-t-il. Ce n’est donc pas l’hécatombe annoncée. Pour autant la situation reste préoccupante en Ile-de-France qui représente 17 % des officines mais 35 % des fermetures, selon le Conseil national de l’ordre des pharmaciens. Patrick Zeitoun en relève un peu partout : à Maisons-Alfort, à Fresnes et à Cachan (trois communes du Val-de-Marne), à Massy (Essonne), et, surtout, en Seine-Saint-Denis qui a vu disparaître 9 % de ses officines en 7 ans, notamment en raison de problèmes d’insécurité qui font fuir les repreneurs. Seul le Val-d’Oise est épargné, avec même une licence en plus. Sur cette cinquantaine de fermetures, une moitié concerne des départs à la retraite de titulaires qui n’ont pas trouvé d’acquéreurs pour leur officine, l’autre moitié succombe aux difficultés financières. « Il s’agit essentiellement de pharmaciens qui se sont installés dans des petites affaires il y a sept, huit ou neuf ans, juste avant l’année fatidique de la rupture d’activité en 2006 et qui, après plusieurs années de galère, finissent par jeter l’éponge. »
Pour Patrick Zeitoun, il y a une corrélation entre difficultés financières et taille de l’officine, mais ce ne sont pas forcément les plus petites qui sont les plus sinistrées. « Dans une officine de 750 k €, un titulaire peut tenir seul ou avec un apprenti ; au contraire, entre 800 k € et 1,2 M €, il est obligé d’avoir un salarié qui va lui coûter 30 k € à l’année, et dans certains cas, cela ne sera pas viable ! »
A Créteil (Val-de-Marne), une officine file un mauvais coton mais sa taille et le contexte économique général ne sont pas directement en cause. La principale explication est le transfert d’un cabinet médical qui s’éloigne de 300 mètres de la pharmacie pour se regrouper avec un autre. « Il y a 20 ans, une pharmacie endettée pouvait encaisser une perte de 10 à 15 % de son chiffre d’affaires, aujourd’hui c’est impossible ! », constate-t-il.
Quatre pharmacies agenaises ont fermé entre 2012 et 2013
Dans le Bordelais, les difficultés des officines paraissent moins prégnantes qu’en 2012, selon Thierry Guillaume, président du syndicat des pharmaciens de Gironde. « Il est très difficile d’avoir un état des lieux car les confrères font preuve de beaucoup de pudeur et ne communiquent pas sur leurs difficultés financières. » Il rapporte néanmoins quelques situations préoccupantes de pharmaciens récemment installés qui ont acheté leurs fonds trop cher, mais surtout une guerre sanglante sur les prix en centre-ville à Bordeaux entre deux pharmacies qui font du discount, dont une Lafayette. L’une des deux a fini par trépasser et a été vendue à la barre du tribunal de commerce.
Dans le vignoble bordelais, les regroupements stratégiques et les rachats de clientèle deviennent une nécessité pour les pharmacies de bourg. A fortiori quand les reprises ne se concrétisent pas ou parce que les prix proposés par les acquéreurs sont inférieurs aux valeurs d’acquisition des vendeurs.
Dans le département voisin du Lot-et-Garonne, la situation est beaucoup plus sinistrée. « En 2012-2013, quatre pharmacies, toutes en procédure ou liquidation judiciaire, ont fermé sur Agen et une autre à Villeneuve-sur-Lot, annonce Corinne Tremon, présidente du syndicat des pharmaciens du Lot-et-Garonne, elle-même installée à Agen. Il y a dix ans, la ville comptait 21 pharmacies, il n’y en a plus que 15 aujourd’hui. Cela commence à devenir chaud pour l’organisation des gardes ! » Les deux dernières fermetures remontent à juillet (une officine de 1,8 M € fermée sèchement, en 24 heures, après le dépôt de son dossier au tribunal de commerce) et août (une pharmacie placée en redressement judiciaire suite au décès de son titulaire).
La tension est toujours vive sur Agen en raison de travaux sur le réseau d’assainissement de la ville qui s’éternisent depuis plus d’un an et qui créent des difficultés d’accès à plusieurs officines situées dans une rue très passante de la ville. La liste des victimes sur ce département pourrait s’allonger car tous les transferts des officines des centres-villes vers la périphérie urbaine, où les populations se sont déplacées, sont bloqués.
Dans le département de la Dordogne, le départ d’un médecin a précarisé une pharmacie rurale. Claire Leroux, présidente du syndicat des pharmaciens du département, cite les déboires d’un pharmacien récemment installé. « Ses difficultés ne sont pas liées au surendettement mais au rachat d’un chiffre d’affaires fictif », précise-t-elle. Elle rapporte également que des pharmaciens tirent la langue dans le canton de Bergerac.
C’est dur pour la Côte-d’Or, et en particulier pour Dijon
En Bourgogne, plus précisément en Côte-d’Or, deux licences de pharmacie ont été éteintes suite à deux regroupements, l’un en centre-ville à Dijon, l’autre en milieu rural. Deux pharmacies sont placées actuellement en redressement judiciaire. La première, également en centre-ville à Dijon, n’a plus les reins assez solides pour résister à la concurrence et a été cannibalisée par les deux plus grosses pharmacies de la ville qui aspirent de plus en plus de clientèle sous l’effet de la crise. Elle aurait par ailleurs perdu la fourniture d’une collectivité. Cette pharmacie de petite taille est dans un sacré guêpier. « Quand bien même elle arriverait à se vendre, son prix de cession ne suffirait pas à couvrir ses dettes. C’est pourquoi la mise en liquidation judiciaire apparaît comme la meilleure solution », estime Pierre-Olivier Variot, président de la chambre syndicale des pharmaciens de Côte-d’Or. La seconde, située à Saint-Jean-de-Losne, est déjà fermée et devait être liquidée fin janvier. Sa taille n’est pas en cause. Selon le syndicat, cette pharmacie, flambant neuve, de 2,5 M € de chiffre d’affaires aurait engagé des travaux trop onéreux.
« Une autre officine sur Dijon a fermé quatre mois pour motif économique avant d’être rachetée. Elle ne pouvait plus faire face à ses dettes, les fournisseurs ont fini par lui couper les robinets », signale-t-il encore.
Au dire de l’Ordre des pharmaciens, la Bourgogne a perdu 2 % de ses officines en cinq ans. Et cette tendance ne devrait pas s’infléchir. Pierre-Olivier Variot redoute l’année 2014 : « Nous avons actuellement six pharmacies à la porte du tribunal. »
Parfois, les difficultés des officines tiennent à des refus de transfert de l’administration qui dépassent l’entendement. Toujours en Côte-d’Or, un couple de pharmaciens exerce dans un bourg d’environ 300 habitants, avec une population que ne cesse de décroître et qui ne permet plus d’assurer la viabilité de l’unique officine de cette commune. Une première demande de transfert a été refusée par l’agence régionale de santé de Bourgogne (ARS) au motif qu’il y a abandon de clientèle puisque l’officine la plus proche se situe à 16 kilomètres de là. Selon la titulaire de la pharmacie, celle-ci dessert les 3 200 habitants du canton. Une seconde demande est déposée mais, à nouveau, la requête des pharmaciens est rejetée par l’ARS. Alors qu’elle prend en compte la population du canton pour motiver son premier refus, l’ARS rejette la deuxième demande de transfert, en retenant cette fois la population de la commune d’accueil qui est légèrement inférieure à 2 500 habitants, alors que ce quota sera atteint avec la construction de logements en cours. Face à cet incompréhensible obstacle au droit de partir d’une commune de moins de 2 500 habitants, le couple ne désarme pas, conteste les décisions contradictoires de l’ARS et saisit les tribunaux pour obtenir gain de cause.
Ne pouvant toujours pas transférer, la pharmacie est aujourd’hui étranglée. Un des deux pharmaciens a dû reprendre le chemin des remplacements pour ne pas fermer l’officine, tandis que son conjoint tient seul l’officine. Le transfert aurait permis d’assurer le développement de la pharmacie et d’offrir de nouveaux services à la population.
Les Côtes-d’Armor, département breton dans la situation la plus critique
En Bretagne, les 14 pharmacies en redressement judiciaire ont fait moins la une des médias que les manifestations des « bonnets rouges » contre l’écotaxe. « Une pharmacie est en redressement judiciaire au nord du Finistère suite à un transfert qui n’a pas été très judicieux au regard du contexte démographique et médical de la zone d’accueil », indique Frédéric Pouchous, président de la chambre syndicale des pharmaciens de ce département. A Morlaix, une opération de rachat/transfert d’une officine souhaitant se requinquer sous l’air iodé de Belle-Ile, dans le Morbihan, a tourné court. « Cette pharmacie est restée fermée une dizaine de mois et son titulaire a été obligé de la rouvrir pour ne pas perdre la licence qui aurait été caduque au bout d’un an de fermeture », précise Frédéric Pouchous. Exception faite de ces deux transferts, ce sont les rachats de clientèle (deux sur le Finistère en 2013) qui prévalent pour permettre à des titulaires âgés de quitter la profession.
Dans le Morbihan, la Pharmacie Dessertaine, à Hennebont, a été mise en redressement judiciaire en décembre dernier. Achetée 710 000 € en 2006, elle est en concurrence directe à 100 mètres avec deux autres pharmacies dont celle du Centre Leclerc, dans une commune en surdensité officinale (6 officines pour 15 000 habitants). Et, malheureusement pour son titulaire, pas de possibilité de transfert.
Les Côtes-d’Armor enregistrent la situation la plus critique. « Nous avons eu cinq dépôts de bilan entre fin 2012 et 2013, deux à Saint-Brieuc, un à Lannion et deux en zone rurale », observe Jean-Claude Balamont, expert-comptable à Plérin au cabinet Cohésio (réseau CGP). En ville, le profil de la pharmacie sinistrée est toujours le même : « Un petit chiffre d’affaires acquis sept ou huit ans auparavant, un mauvais emplacement, une situation financière sur le fil du rasoir depuis deux à trois ans », décrit-il. Un transfert en périphérie est en gestation pour l’une des huit pharmacies du centre-ville de Saint-Brieuc. Dans le secteur de Paimpol et de Collinée, des officines seraient également mal en point. Et, à Dinan, deux pharmacies du centre-ville espèrent s’en sortir en se regroupant.
Des pharmacies mutualistes asphyxiantes à Tours
En Indre-et-Loire, il n’y a plus de place pour les petites structures. Que ce soit à Tours, où l’on compte trois pharmacies mutualistes, à Château-Renault (une) ou en campagne. Quel que soit le cadre d’exercice, leurs titulaires vivent des moments difficiles. « A Tours, il y a huit pharmacies de trop par rapport au quorum et les trois pharmacies mutualistes correspondent, en chiffre d’affaires, à l’équivalent de douze pharmacies libérales. Avec vingt pharmacies en plus, les petites officines sont asphyxiées », explique Nicolas Hay, président du syndicat des pharmaciens d’Indre-et-Loire. Conséquence : en 2012, une petite officine a été obligée de fermer faute de repreneur, et une autre a été placée en redressement judiciaire. Et l’histoire se répète en 2013. A plus de 70 ans, un titulaire joue les prolongations dans son officine parce qu’il ne parvient pas à vendre.
Une autre officine a été placée en redressement judiciaire au cours du premier semestre 2013. « Toujours en centre-ville, un titulaire se rémunère moins qu’un préparateur, soit moins de 1 200 € par mois, pour 60 heures de travail par semaine », rapporte Nicolas Hay. Point commun entre ces trois petites pharmacies : elles se situent toutes sur l’axe du tramway dont les travaux ont rendu leur accès difficile pendant trois ans, conduisant la clientèle à aller ailleurs et à acquérir de nouvelles habitudes d’achats.
En zone rurale, dans le sud du département, une pharmacie de bourg a perdu son médecin et, dans le même temps, une maison de santé pluriprofessionnelle s’est installée dans la commune la plus proche située à 9 kilomètres, pourvue d’une officine.
L’Eure-et-Loir souffre de désertification médicale
Dans l’Eure-et-Loir, les rangs des pharmacies s’éclaircissent également de manière préoccupante. « Nous accusons un solde négatif de douze pharmacies en six ans », comptabilise François Robinet, président du syndicat des pharmaciens d’Eure-et-Loir. Mais, surtout, les fermetures suite à une liquidation judiciaire sont en proportion plus élevée (25 %, toutes dans des villes surdotées en pharmacies) que la moyenne donnée par l’Ordre (9 %). Les regroupements interviennent pour 50 % en Eure-et-Loir et le quart restant est relatif à des restitutions de licence sans cession.
Malgré sa proximité avec la région parisienne, l’Eure-et-Loir est le deuxième département de France, après l’Aisne, à souffrir de désertification médicale. « Cela tient au fait que nous n’avons pas de faculté de médecine sur le département », analyse François Robinet. Les pharmacies de Chartres paient un lourd tribut à l’absence de généralistes en centre-ville : trois liquidations en 2013. « Le conseil régional a pourtant débloqué des subventions pour favoriser l’installation de jeunes médecins, mais cela n’en a pas attiré pour autant. Nous avons, en revanche, une quarantaine de médecins roumains », complète François Robinet.
Normandie : des regroupements anticipant les difficultés
La Normandie se caractérise par des pharmacies de taille supérieure à la moyenne nationale, donc moins vulnérables aux baisses de CA. Un lien de cause à effet évident pour Joël Lecoeur, expert-comptable du cabinet Lecoeur, Leduc et associés (réseau CGP), qui n’a eu vent d’aucune pharmacie en redressement ou liquidation sur cette région en 2013. « Le dépôt de bilan est une mesure stratégique à prendre en dernière extrémité. Avant cela, on va utiliser tous les artifices à notre disposition (réétalement de l’emprunt, licenciement, regroupements…) pour éviter que les pharmacies ne s’enfoncent dans les difficultés, explique-t-il. Il y a eu beaucoup de regroupements, notamment sur Le Havre. » Quand elle est faite à temps, la restructuration organisée et volontaire du réseau est la meilleure des solutions pour prévenir les difficultés.
En revanche, des pharmacies dans le rouge intermittent ou continu, il y en a comme partout, avec une prévalence plus forte au sein des petites officines de centre-ville à Caen et à Rouen qui croulent sous le poids des charges (loyers élevés, taxes, frais de personnel du fait de l’amplitude des horaires d’ouverture). « Jusqu’en 2007, la hausse du CA était de l’ordre de 5 % par an, tout allait bien, mais ceux qui ont acheté une officine l’année suivante avec des perspectives de croissance disparues se retrouvent aujourd’hui en difficulté », ajoute Joël Lecoeur.
Le centre-ville lillois sous pression
A Lille, les pharmaciens du centre-ville souffrent de la concurrence des pharmacies des centres commerciaux de l’agglomération lilloise et de la Grande Pharmacie des Halles rue Masséna, ouverte 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Drainant la clientèle du centre-ville comme des banlieues, elles donnent des migraines à la profession. « Les week-ends et les dimanches de garde, les pharmacies du centre-ville ne voient plus personne !, s’exclame Dominique Gaudet, pharmacien lillois et ex-président du syndicat des pharmaciens du Nord. Ajouté à cela le surnombre des officines à Lille, certains d’entre nous sont en difficulté de trésorerie. » Mais elles tiennent le choc ! « Une seule pharmacie a fermé, en 2012, suite à un transfert raté d’une officine ayant racheté un centre de parapharmacie pour s’extirper de la concurrence d’une pharmacie Lafayette », précise Dominique Gaudet.
L’Est s’en sort bien, malgré des tensions dans l’agglomération lyonnaise
Dans le Bas-Rhin, a priori, pas de procédure collective ouverte sur 2013. « C’est toujours difficile à savoir car les confrères restent très discrets sur leur situation ou vendent très rapidement leur entreprise avant de courir à la catastrophe », témoigne Alain Boetsch, président du syndicat des pharmaciens du Bas-Rhin. Le dernier sinistre connu remonte à 2012, avec une opération de rachat (trop cher)/transfert qui a mal tourné.
Le Rhône concentre beaucoup d’officines (600), ce qui est un facteur d’exposition au risque très important. « A Lyon, les IIe et VIe arrondissements sont sur une densité de 1 pharmacie pour 1 500 habitants. » Pour autant, et selon Bernard Montreuil, président du syndicat des pharmaciens du Rhône, l’année 2013 ne met pas plus en relief de pharmacies dans le rouge que les années précédentes, à l’exception de la Pharmacie Pantos, place Bellecour à Lyon, vendue aux enchères. « Je reçois néanmoins régulièrement des appels de titulaires d’officines de taille modeste qui sont de plus en plus désemparés », ajoute-t-il. Le gros point noir, même dans une grande agglomération comme Lyon, c’est le fléchissement de la densité médicale. « 10 % des médecins doivent partir à la retraite dans les années qui viennent et beaucoup d’entre eux ne seront pas remplacés », redoute Bernard Montreuil.
A Saint-Etienne, la situation est plus critique qu’à Lyon : une pharmacie vient d’être vendue aux enchères, une autre est en redressement judiciaire tandis qu’une troisième attend d’être fixée sur son sort.
Le dépôt de bilan n’arrive pas qu’aux petites officines
La taille de l’officine de Jean-Jacques Serrier (CA d’environ 20 M € HT, doublé en 6 ans), à Montigny-lès-Metz (Moselle), n’a pas été un rempart suffisant contre les difficultés conjoncturelles qu’il traverse. Le 20 novembre dernier, la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz a placé son entreprise en redressement judiciaire avec plan de continuation. L’officine est donc toujours ouverte, pour la plus grande satisfaction de son titulaire et de ses 57 salariés qui gardent espoir en attendant le réexamen de son dossier par la chambre de commerce. « Nous allons établir la réalité des dettes et une prospective de bilan, proposer un plan social et un plan d’apurement échelonné des dettes antérieures au 20 novembre », indique Jean-Jacques Serrier, amer car il n’en serait pas arrivé là s’il avait eu le soutien des banques et l’accord de l’administration fiscale et sociale pour pouvoir étaler ses impayés. « Le fisc et l’Urssaf m’ont refusé ce qu’ils accordent à d’autres. »
Car tous les éléments de sa défaillance étaient réunis : un investissement pharaonique de 750 000 € dans un automate qui n’apporte pas les gains de productivité escomptés pour contenir l’augmentation de la masse salariale par rapport à la croissance du CA ; une politique tarifaire à bas prix et marge étroite qui atteint ses limites le jour où le titulaire ne peut plus payer ses factures d’achats en direct et doit rebasculer 70 % de ses achats au grossiste mais pas aux mêmes conditions commerciales ; la perte d’un hôpital situé à 800 mètres de la pharmacie et délocalisé 14 kilomètres plus loin.
Les pharmacies paient un lourd tribut à la surdensité
Dans une étude de l’Ordre portant sur la disparition de 500 officines depuis 2008, toutes sont situées dans des zones surnuméraires au regard des quotas démographiques. Soit parce que la commune comprend moins de 2 500 habitants (29 % des fermetures), soit parce qu’elle a perdu ses habitants, soit parce qu’il existe un surnombre d’officines par rapport aux quotas du Code de la santé publique (51 % des officines ont disparu dans des villes de plus de 10?000 habitants). La principale modalité de fermeture est la cession de clientèle (45 % des fermetures contre 10 % par regroupement). Mais tous ceux qui baissent le rideau n’ont pas eu cette chance : 36 % ont restitué leur licence sans contrepartie financière et 9 % ont fermé après liquidation judiciaire, cette procédure n’ayant pas abouti à une cession de clientèle. Dans l’étude ordinale, les plus vulnérables ne sont pas que les petites officines à un seul diplômé.
Se remettre d’une liquidation judiciaire
A 58 ans, Pascal Delayen ne se laisse pas abattre. Sa cinquième et dernière installation à Metz s’est soldée le 29 mai 2013 par une faillite personnelle suite à un transfert qui a mal tourné en raison d’un projet immobilier qui n’a pas rencontré le succès commercial escompté. « Je ne le vis pas comme un échec. Ce transfert avait pour but de me relancer mais l’apport de population et la plate-forme médicale sur laquelle je misais ne se sont pas concrétisés. L’officine est en liquidation judiciaire et, bien que la licence ait moins de cinq ans après transfert, l’ARS a autorisé exceptionnellement sa vente. » Pascal Delayen s’étant porté caution sur ses biens personnels, ses créanciers risquent de le « dépouiller ». Pourtant il n’est pas affecté psychologiquement et espère encore rebondir en tournant la page ! « J’ai 12 ans d’expérience dans la répartition, notamment en tant que directeur d’agence. L’idée n’est donc pas exclue de finir ma carrière chez un répartiteur ou dans l’industrie, et je peux aussi compter sur un poste d’adjoint chez ma sœur en Savoie ou chez des amis titulaires. »
Une seconde installation dans la douleur
Fabienne Guerlet a été titulaire pendant 28 ans à Reims (Marne). Elle vend puis rachète une officine de même taille à Epernay (Marne). A l’issue de sa première année de réinstallation, sous l’effet de la crise et d’une reprise compliquée (suite à un accident, elle a été obligée de se faire remplacer peu de temps après son acquisition), elle perd 20 % de CA. « Au bout de 15 jours, j’ai ressenti la perte de clientèle et les difficultés de trésorerie sont vite arrivées. J’ai dû licencier un salarié et réinjecter rapidement des fonds propres dans l’officine, alors que mon apport de départ était déjà de 25 %. » De plus, elle doit puiser dans son capital pour vivre et régler ses impôts car, suite à la vente de sa première officine, son patrimoine est lourdement imposé. « Avec une telle perte de chiffre d’affaires, un jeune diplômé en première installation aurait déjà pris le bouillon ! », certifie Fabienne Guerlet.
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