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Violences au comptoir : la profession contre-attaque
Indépendamment des émeutes et violences urbaines de ces derniers jours, la multiplication des agressions contre les équipes officinales inquiète les représentants de la profession. Ils ont donc mis sur la table de nouvelles propositions dans le cadre de la feuille de route sur la sécurité des soignants qui devrait être annoncée prochainement.
Les pharmaciens d’officine et leurs équipes sont de plus en plus confrontés à l’incivilité, aux insultes, et parfois à la violence de certains patients. « En 2022, nous avons enregistré sur la plateforme de déclaration de l’Ordre 366 agressions, dont 355 avaient pour cadre une officine, relève Alain Marcillac, qui était membre du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens et référent national sécurité jusqu’au 30 juin dernier. Cela signifie que l’année dernière, un pharmacien s’est fait agresser chaque jour. Et ce chiffre, en augmentation de 17 % par rapport à 2019, est probablement en deçà de la réalité. Nous estimons en effet que 40 % des pharmaciens ne déclarent pas les agressions dont ils sont victimes. »
« La tendance est toutefois très inquiétante car cela montre qu’à l’instar des autres professions de santé les pharmaciens sont eux aussi frappés par ce phénomène de société qui consiste à s’en prendre aux personnes dont le métier est de soigner », constate encore Alain Marcillac. « Ce climat est aussi démoralisant et très inconfortable pour les équipes, cette agressivité devenant de plus en plus fréquente au comptoir, ajoute Yorick Berger, membre du bureau national de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) en charge de la sécurité. Comme nous sommes en première ligne, et qu’il n’y a plus de filtre et pas de relais judiciaire, certains clients n’hésitent plus à se lâcher et dépassent les limites. » Pour Pierre-Olivier Variot, le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), le phénomène semble même s’être accentué depuis la fin de l’année dernière. « J’ai le sentiment que, depuis la pandémie de Covid-19, les gens sont devenus beaucoup plus irascibles et que la succession de ruptures de médicaments auxquels nous avons été confrontés l’hiver dernier n’a fait qu’aggraver les choses, constate-t-il. Des contrariétés qui se réglaient autrefois en discutant entraînent maintenant tout de suite des réactions épidermiques. »
Renforcer les dispositifs existants
Pour tenter d’endiguer ce phénomène, la profession s’accorde pour dire que le dispositif mis en place par l’Ordre pour accompagner les pharmaciens victimes d’agression devrait être renforcé. « Sur la plateforme de déclaration que nous avons mise en place en 2017, les pharmaciens peuvent rendre compte d’une agression et disposent de fiches pratiques leur expliquant par le menu comment déposer plainte et les différentes étapes judiciaires qui les attendent. Mais c’est vrai qu’actuellement encore trop de confrères ne prennent pas la peine d’accomplir la démarche », regrette Alain Marcillac. « Probablement parce qu’ils ont l’impression que cela ne servira à rien et leur fera donc perdre du temps. Il faudrait davantage communiquer sur cette plateforme que tous les pharmaciens ne connaissent pas encore et expliquer pourquoi il est important de signaler une agression et de porter plainte si l’on veut endiguer ces violences », ajoute Yorick Berger.
Pour Alain Marcillac, il faudrait aussi investir dans la formation de la centaine de référents sécurité ordinaux présents dans chaque département. « Dès qu’un pharmacien enregistre une déclaration sur notre site, le référent sécurité de son département le contacte pour l’écouter et l’aider à relater son agression et à porter plainte. Il assure ensuite l’interface entre le titulaire et les forces de police ou de gendarmerie, rappelle-t-il. L’Ordre travaille sur des solutions de formation des référents pour leur apprendre à accompagner au mieux les pharmaciens, et de manière plus réactive. »
Alain Marcillac aimerait également que le protocole de sécurité mis en place en 2011 soit réactivé et renforcé. « Il prévoyait la désignation de correspondants sécurité au sein de la police et de la gendarmerie dans chaque département. Correspondants qui devaient servir d’interlocuteurs privilégiés à nos référents sécurité ordinaux et à la mise en place de diagnostics de sécurité dans les officines, rappelle-t-il. Le problème, c’est que tous les départements ne disposent pas de correspondants, et que les audits sécurité dans les pharmacies ne sont plus pratiqués. Le protocole prévoyait également un numéro d’appel d’urgence, qui n’a jamais vu le jour. »
Formation, numéro d’urgence, aide financière…
Face à la montée des incivilités, les instances représentatives de la profession avancent de nouvelles propositions. « A l’Ordre, nous souhaiterions que des formations validantes consacrées à la gestion des incivilités, des insultes et des agressions au comptoir soient inscrites au développement professionnel continu », confie Alain Marcillac.
Autre solution, l’Ordre et la FSPF se retrouvent pour demander la création d’un numéro d’appel d’urgence réservé aux soignants. L’objectif est qu’en cas de problème un pharmacien puisse contacter un centre d’appel capable d’identifier immédiatement la pharmacie au bout du fil et d’enclencher le dispositif de secours adéquat, souligne Alain Marcillac. Nous sommes par ailleurs favorables à l’installation dans les officines de boîtiers de géolocalisation qui permettraient, en appuyant sur un bouton, de déclencher l’alerte et de faire venir rapidement la patrouille de police ou de gendarmerie. Nous allons également continuer de demander aux municipalités de maintenir un éclairage public à proximité des officines. De plus en plus de mairies, pour des raisons d’économie d’énergie, décident de supprimer l’éclairage la nuit. Ce qui provoque un fort sentiment d’insécurité chez les pharmaciens lors de leurs gardes de nuit. »
De son côté, la FSPF milite pour l’instauration d’une aide financière afin de permettre aux pharmaciens de s’équiper en dispositifs de sécurité, d’alarmes et de vidéosurveillance, « comme ont pu en bénéficier les buralistes, précise Yorick Berger. Nous aimerions aussi que les personnes qui se montrent agressives ou violentes puissent être convoquées par les autorités pour, a minima, un rappel à l’ordre ou pour des sanctions et des condamnations lorsque les faits sont plus graves. Trop souvent, les incidents ne sont pas suivis d’effets. »
Pierre-Olivier Variot souhaiterait, lui, que l’Assurance maladie s’attaque aux fraudeurs. « Trop de patients se présentent au comptoir avec des ordonnances frauduleuses, et se montrent agressifs afin d’obtenir les traitements, car elles savent que si elles se font prendre, elles ne risquent pas grand-chose », estime le président de l’USPO qui aimerait également que la police réinvestisse la protection des pharmacies de garde. « Dans de plus en plus de villes, les commissariats se désengagent du dispositif de régulation qui avait été adopté pour les pharmacies de garde après 23 heures. Avant de venir à la pharmacie, un patient était obligé de passer au commissariat. Or, désormais, de plus en plus de commissariats refusent de recevoir les patients, prétextant qu’ils n’ont plus le temps pour faire cela. » La FSPF est sur la même longueur d’onde. « Face à la montée des agressions et des actes de vandalisme pendant les émeutes, nous allons demander au ministre de la Santé et de la Prévention la mise en œuvre d’un système de régulation et de sécurisation de la permanence des soins. On ne peut plus courir le risque d’envoyer les pharmaciens seuls la nuit dans leur officine », estime Yorick Berger.
Les émeutes de juin
Les instances représentatives de la profession espèrent voir figurer tout ou partie de leurs propositions dans la feuille de route sur la sécurité des soignants qui devait être annoncée avant la fin du mois de juin par Agnès Firmin-Le Bodo, la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Les récentes émeutes en ont décidé autrement. « Ces événements rappellent à quel point il est urgent d’agir pour garantir la sécurité des pharmaciens d’officine, une trentaine d’officines ayant été vandalisées, deux ont même été incendiées. Notre métier, c’est d’accueillir et de soigner tout le monde. Pas de venir au travail le matin avec la boule au ventre parce que les clients sont de plus en plus agressifs ou parce que l’équipe se fait menacer sur les réseaux sociaux. Sur le long terme, ce ne sera pas tenable », conclut Yorick Berger.
Les agressions contre les équipes officinales explosent : + 17 % entre 2019 et 2022. Le chiffre est sous-estimé, selon l’Ordre.
Former les pharmaciens, les aider à s’équiper en matériel de sécurité, mettre en place un dispositif d’alerte ou encore sécuriser les gardes de nuit font partie des propositions apportées.
Le ministère de la Santé est en train d’élaborer une feuille de route sur la sécurité des soignants, qui devrait être présentée prochainement.
À retenir
Les agressions contre les équipes officinales explosent : + 17 % entre 2019 et 2022. Le chiffre est sous-estimé, selon l’Ordre.
Former les pharmaciens, les aider à s’équiper en matériel de sécurité, mettre en place un dispositif d’alerte ou encore sécuriser les gardes de nuit font partie des propositions apportées.
Le ministère de la Santé est en train d’élaborer une feuille de route sur la sécurité des soignants, qui devrait être présentée prochainement.
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