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Exercice sous surveillance

Publié le 18 février 2006
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En cas de décès du pharmacien titulaire, le conjoint et les héritiers se retrouvent à la tête d’une entreprise. S’ils ne sont pas pharmaciens, ils ne peuvent reprendre le flambeau. L’exploitation de l’officine est alors confiée à un pharmacien gérant, mais les ayants-droit ont leur mot à dire. Mode d’emploi et expériences.

Quand la règle fait-elle place à l’exception ?

L’indivisibilité de la propriété et de l’exploitation de l’officine est un principe édicté par le Code de la santé publique. Première conséquence, une officine ne peut être la propriété d’une personne non diplômée. Et, deuxième conséquence, l’exploitation d’une officine ne peut être confiée à un pharmacien salarié. Exception à la règle, si le titulaire décède, la mise en gérance de l’officine est alors possible. Le conjoint ou les héritiers non diplômés peuvent maintenir la pharmacie ouverte. Reste que cette situation n’est pas une solution pérenne. La gérance ne peut dépasser deux ans.

Qui peut devenir gérant ?

Les héritiers choisiront le pharmacien gérant parmi :

– un pharmacien inscrit au tableau de la section D de l’ordre national des pharmaciens et n’ayant pas d’autre activité professionnelle pendant la durée de la gérance ;

– un pharmacien ayant sollicité son inscription au tableau de l’une des sections de l’ordre national des pharmaciens et n’ayant pas d’autre activité pendant la durée de la gérance ;

– un pharmacien adjoint de l’officine ;

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– un pharmacien cotitulaire de l’officine si celle-ci est exploitée en société ou en copropriété.

Une formalité à ne pas omettre : le pharmacien gérant doit obtenir l’autorisation du préfet. Néanmoins, dès acceptation de la mission qui lui est confiée par les héritiers, le pharmacien peut assurer la gérance de l’officine sans attendre la réponse du préfet.

Quelle indépendance pour le gérant ?

Le pharmacien gérant a le statut de salarié. Sa mission est définie aux termes d’un contrat de travail conclu avec les héritiers. « Néanmoins, sur le plan du fonctionnement de l’officine, il n’existe pas de lien de subordination entre les héritiers et le pharmacien gérant, souligne Alain Fallourd, avocat. Les héritiers n’ont pas à s’immiscer dans la bonne marche de l’officine. » Le Code de la santé publique est clair : « le pharmacien chargé de la gérance d’une officine après décès du titulaire doit, tout en tenant compte des intérêts légitimes des ayants droit, exiger de ceux-ci qu’ils respectent son indépendance professionnelle ». Dans le cadre de ses fonctions, le pharmacien gérant a pleine autorité sur le personnel de l’officine. Un bémol toutefois : en cas d’embauche ou de licenciement, il doit obtenir l’accord des héritiers. Il bénéficie certes d’une indépendance technique, mais il est tenu de rendre des comptes. « Les héritiers gardent un droit de contrôle sur les résultats de l’entreprise, rappelle Alain Fallourd. En cas de gestion désordonnée ou illicite, les héritiers pourront demander la résiliation du contrat. »

Le pharmacien gérant n’est donc pas un salarié comme les autres. Il a les mêmes responsabilités qu’un titulaire, mais le bénéfice retiré de l’exploitation de l’officine fait l’objet d’une distribution entre les héritiers.

Quel salaire proposer ?

Le salaire du pharmacien gérant peut être jusqu’à 75 % plus élevé que celui d’un adjoint au coefficient 400. Embauché en CDD, il peut négocier son salaire selon l’importance de l’équipe qu’il sera amené à superviser. Son salaire est calculé sur :

– le coefficient 500 minimum, si la pharmacie n’emploie pas plus d’un préparateur ;

– le coefficient 600 minimum, si la pharmacie emploie à temps plein au moins deux préparateurs ou au moins quatre employés ;

– le coefficient 700 minimum, si la pharmacie emploie un ou plusieurs pharmaciens adjoints.

Le terme du contrat est marqué par la vente de l’officine ou par l’échéance du délai de gérance. Comme pour tout CDD, le gérant perçoit une indemnité de fin de contrat (ou prime de précarité). Le montant de cette prime est égal à 10 % de la rémunération totale brute due au salarié pendant la durée de la gérance (primes et accessoires divers compris, à l’exclusion de l’indemnité compensatrice de congés payés).

Qu’advient-il après les deux ans de gérance ?

La gérance est aménagée pour permettre aux héritiers d’organiser la succession de l’officine. Ils ont deux ans pour la vendre. Si, au terme de ce délai, la transaction n’a pas eu lieu, les héritiers doivent remettre la licence de l’officine au préfet.

Quand ça dérape

Que cela se passe bien ou mal, la gérance après décès est associée à la notion d’« héritage » avec son lot de rancoeurs et de suspicions. Une affaire traitée en appel par le Conseil national de l’Ordre, en mai dernier, en est un triste exemple.

Un adjoint est embauché par son oncle plus de trois ans avant le décès de ce dernier. Il se met donc naturellement à la disposition des héritiers, ses cousins, l’épouse et l’ex-épouse du titulaire, elle-même titulaire dans une autre officine. L’ex-épouse lui préfère un autre gérant tandis qu’elle se fait nommer administrateur successoral par le tribunal de grande instance. Le gérant, mis en place, écarte le neveu adjoint en lui proposant un reclassement en qualité de préparateur avant de le licencier. L’ex-épouse, qui intervient sur la gestion, lui reproche, pour sa part, d’avoir fait chuter le CA afin d’acheter l’officine à moindre coût. Saisis de l’affaire, le conseil central E puis le Conseil national se refusent à entrer dans ces sombres histoires de famille et décident de ne pas traduire le gérant et l’ex-épouse en chambre de discipline…