Téléconsultation : elle a toute sa place à l’officine 

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Téléconsultation : elle a toute sa place à l’officine 

Publié le 8 août 2023
Par Yves Rivoal et Matthieu Vandendriessche
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Si la tentative d’installer la téléconsultation en hypermarché a échoué, la pharmacie se révèle, assez logiquement, le lieu tout désigné pour implanter des bornes. Un intérêt tant en zone rurale qu’urbaine, dans un quartier de bureaux ou un centre commercial. Témoignages de titulaires convaincus.

Les téléconsultations ont enfin pris leur envol. Celles qui sont assistées à l’officine ont vu leur part multipliée par 2,6 en un an, passant de 6 % à 16 % (cumul fixe à fin novembre 2022 comparé à la même période de 2021, selon le Gers). La tendance est marquée à la concentration : 2 % des pharmacies opèrent la moitié des téléconsultations et 8 % en effectuent 90 %. « Certaines enregistrent des flux qui dépassent le millier par an, rapporte Nathaniel Bern, cofondateur de la société Medadom. En moyenne, une pharmacie réalise une cinquantaine de téléconsultations par mois, soit entre deux et trois par jour. » Un chiffre confirmé par Jordan Cohen. Selon le président fondateur de Tessan, « le développement de la téléconsultation se fera à la pharmacie et au sein de mairies ». Pas vraiment en grande surface comme il l’a escompté un temps. La cabine de téléconsultation installée par Tessan au milieu d’un hypermarché Carrefour à Montesson (Yvelines) n’a pas rencontré son public. Le test lancé en avril 2022 n’aura duré qu’une année. « Des discussions sont également en cours avec Monoprix pour retirer la dizaine de cabines qui ont pris place dans l’espace La Santé au quotidien », confie Jordan Cohen. Il estime que la marge de progression est encore importante dans les pharmacies, de plus en plus nombreuses à s’équiper. Avec des particularités qu’elles ont appris à connaître. « Les flux d’une officine sont plus importants notamment en fin de journée et le week-end lorsque les cabinets médicaux situés à proximité sont fermés », souligne Nathaniel Bern.

L’opportunité d’élargir la clientèle

Quel que soit l’emplacement, en zone rurale ou urbaine, c’est bien sûr de l’environnement médical que dépend le recours à la téléconsultation. Cotitulaire à Sorgues, dans le Vaucluse, Stéphane Mangin a profité du transfert de sa pharmacie dans un centre commercial pour le proposer. Ce n’est pas seulement pour renforcer l’image d’une officine positionnée comme un pôle de soins de premier recours que le titulaire a opté pour ce service. Mais aussi du fait de la pénurie de médecins dans cette ville de près de 20 000 habitants. En un an, près d’un millier de téléconsultations ont été réalisées. « Depuis que nous l’avons installée en décembre 2021, la salle entièrement consacrée aux téléconsultations ne désemplit pas. » Stéphane Mangin travaille en bonne entente avec les deux maisons médicales de Sorgues. « Elles sont souvent saturées et nous envoient régulièrement des patients, assure le titulaire qui n’a pas fait de publicité particulière pour lancer le service. J’ai simplement ouvert un compte sur Doctolib en proposant des créneaux toutes les demi-heures. Le bouche-à-oreille a fait le reste. » Ici, les téléconsultations portent le plus souvent sur des douleurs ou des symptômes aigus. Le service a élargi sa clientèle : 40 % des personnes qui téléconsultent ne fréquentent pas l’officine habituellement. Dans une zone de bureaux, sur les bords de Seine du XIIe arrondissement de Paris, Ayessoro Renard, titulaire de la pharmacie de Bercy, a misé sur la téléconsultation pour les mêmes raisons. « Dans le quartier où je suis installée, il n’y a ni médecin ni centre médical à proximité. Recevant peu de prescriptions, j’ai décidé de proposer ce service en espérant générer des flux d’ordonnances et faire entrer une nouvelle patientèle dans mon officine. » La pharmacie est elle aussi présente sur la plateforme Doctolib, qui génère 80 % de ses flux en matière de téléconsultation. Le reste ne nécessite pas de rendez-vous. « Lorsqu’une patiente au comptoir souffre visiblement d’une infection urinaire, je lui demande si elle a quelques minutes pour téléconsulter. » Dans cette officine parisienne, les pathologies saisonnières tiennent le haut du pavé. « Nous traitons également beaucoup d’allergies et de renouvellement d’ordonnances ». La titulaire réalise entre cinq et six téléconsultations par jour. Et se félicite : « Je bénéficie d’un flux de prescriptions auprès d’une patientèle qui, sans la téléconsultation, n’aurait jamais poussé les portes de ma pharmacie. »

Faire connaître le service aux médecins

En zone rurale, aussi, on s’investit dans ce service. « 15 % des adhérents ont déjà aménagé une cabine ou une borne de téléconsultation, indique Laurent Filoche, président du groupement Pharmacorp. A la campagne, ce pourcentage double. La nécessité de maintenir une activité de prescription y est plus forte qu’ailleurs. En permettant à leurs patients d’accéder à un médecin en cas d’urgence, ou pour renouveler une ordonnance sans avoir besoin de faire 20 ou 30 km en voiture, les officines rendent un service de santé publique à la population. » Car c’est bien là le principal intérêt de cette mise en œuvre à l’officine : « Apporter une solution aux gens qui n’ont plus de médecin traitant. Cinq millions de Français sont dans ce cas », rappelle Emmanuel Bertrand, vice-président commerce de Cegedim Santé, qui commercialise la plateforme Maiia. Les pharmaciens y voient aussi une opportunité d’être partie prenante dans l’écosystème sanitaire de leur territoire via les communautés professionnelles territoriales de santé. « Nous invitons d’ailleurs tous les titulaires qui s’équipent à se rapprocher des médecins aux alentours pour les inciter à pratiquer la téléconsultation pour les patients ayant juste besoin d’un renouvellement d’ordonnance ou qui ont du mal à se déplacer », complète Emmanuel Bertrand. Sans oublier « que le véritable atout de la téléconsultation en officine est d’éviter de se rendre inutilement aux urgences car il y a souvent une pharmacie ouverte ou de garde », argumente-t-il.

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