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Les pharmaciens entrepreneurs n’ont rien à craindre »

Publié le 14 avril 2007
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Le Groupement international de la répartition pharmaceutique représente 600 grossistes-répartiteurs de 31 pays européens. Il est devenu un puissant lobby à Bruxelles, au point de réclamer un marché unique des médicaments en Europe. Un entretien avec René Jenny, son président, s’imposait.

« Le Moniteur » : A quoi sert le Groupement international de la répartition pharmaceutique ?

René Jenny : Nous sommes l’organisation faîtière des grossistes-répartiteurs européens, et par cela leur instance de lobbying qui défend leurs intérêts auprès des institutions européennes. Les grossistes européens à assortiment complet représentent plus de 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires et emploient plus de 140 000 collaborateurs. Voilà cinq ans, le G10 a émis une série de recommandations communautaires bien précises en ce qui concerne le médicament, sa distribution, son remboursement, mais nous n’avions pas notre mot à dire. Maintenant, nous commençons à peser un certain poids auprès de la Commission européenne. Je ne veux pas dire par-là que tout ce que nous demandons est accepté, mais au moins on nous écoute et on nous consulte.

De quelle manière ?

Par exemple via le Forum pharmaceutique, créé en décembre 2005, qui a succédé au G10. Il regroupe les 27 Etats membres de l’Union européenne et une dizaine de partenaires, dont les industriels, le Groupement des pharmaciens de l’Union européenne, les médecins, les caisses d’assurance maladie, les assurances privées, les organisations de patients et le Groupement international de la répartition pharmaceutique.

Le Forum pharmaceutique est divisé en trois groupes de travail : « Prix et remboursement », « Information du patient » et « Efficacité du médicament ». Nous sommes représentés dans les deux premiers groupes. Par ailleurs, nous tentons d’apporter une aide aux représentants des pharmaciens en analysant ensemble les nouveaux textes.

Le Forum a-t-il des échéances ?

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Les commissaires européens ont demandé au Forum de proposer au mois de juin prochain toute une série de mesures applicables dans l’Union. Bruxelles ne peut évidemment rien imposer en raison du principe de subsidiarité, mais cherche indéniablement à influencer les politiques de santé de chacun des pays membres. Les représentants des Etats qui sont autour de la table sont quelquefois un peu interpellés. C’était encore le cas il y a quinze jours lorsque fut présentée une « tool box » permettant d’analyser l’impact de chaque mesure, ses avantages et ses inconvénients pour chacun des Etats. Comme une baisse de prix par exemple…

Etes-vous favorable à un prix unique du médicament en Europe ?

Ce n’est guère possible en raison du principe de subsidiarité. En revanche, nous proposons un prix fabricant identique pour toute l’Europe. La construction du prix public issu du système de sécurité sociale de chaque pays membre peut se faire indépendamment. Nous avons toutefois conscience qu’il est impossible d’avoir un même prix public en France ou en Bulgarie en raison des niveaux de vie qui sont différents. Le remboursement des médicaments est du ressort des pays membres en raison du principe de subsidiarité.

Aussi le GIRP propose que des systèmes compensatoires soient négociés entre l’industrie pharmaceutique et chaque Etat membre. Un prix fabricant unique permettrait une mise à disposition beaucoup plus rapide des médicaments innovants, alors que cela peut prendre un à deux ans aujourd’hui. Il permettrait également d’avancer dans la mise en place du marché unique des médicaments.

Et quid de la marge grossiste ?

D’un côté, les industriels essayent de récupérer de la marge sur notre dos – voir le modèle « direct to pharmacy » mis en place au Royaume-Uni -, de l’autre, les pharmaciens tentent de grignoter un peu plus au niveau des remises. Selon les pays, la marge varie de 2 à 15 %, mais quand on regarde la dernière ligne d’un rapport de gestion d’un grossiste-répartiteur, il reste rarement plus de 1,5 %. Le GIRP essaie donc de sensibiliser la Commission européenne sur le fait que l’approvisionnement en médicaments au niveau européen peut être mis en péril si on continue à réduire la marge des grossistes. Si cela devait être le cas, toute une partie de l’assortiment coûterait trop cher à stocker et à commercialiser et disparaîtrait purement et simplement du marché. Je pense notamment aux médicaments orphelins. Je vous rappelle enfin que notre secteur d’activité a des investissements considérables à faire, notamment en matière de sécurité, de traçabilité, etc.

Et des investissements pour lutter contre les contrefaçons ?

Tout à fait. Nous avons lancé au mois de novembre la « Safe Supply Chain Initiative » dans laquelle nous proposons à toute la chaîne légale de distribution du médicament de s’assurer que les médicaments qui passent par elle ne puissent pas être contrefaits. Même si, actuellement, les contrefaçons sont plutôt rares au niveau de la chaîne légale, alors qu’au niveau des sites de vente sauvage de médicaments elles peuvent atteindre près de 20 % des produits vendus.

Justement, les e-pharmacies inquiètent beaucoup les pharmaciens français…

Aux Etats-Unis, elles existent depuis presque toujours et pourtant leur part de marché ne représente pas grand-chose. Et cela ne devrait pas dépasser ce seuil d’une quinzaine de pour cents, car les consommateurs n’ont pas confiance. Le patient européen a de toute évidence plus confiance en son pharmacien. Il a besoin de lui, de ses conseils, de son suivi… Les pharmacies électroniques sont devenues un canal de distribution comme un autre. Il existera toujours mais ne sera jamais prépondérant. Aux Pays-Bas, Doc Morris, pourtant parfaitement légal, n’a pas fait disparaître un seul pharmacien néerlandais. En Suisse, outre Apotheke zur Rose dont les actionnaires sont des médecins, il y a eu trois tentatives de pharmacie par correspondance. Il n’en reste qu’une seule à côté de la Rose. Issues du milieu des caisses d’assurance maladie, elles pouvaient donc influencer le patient pour qu’il leur envoie ses ordonnances. Pourtant, ils en font des cadeaux… Ici, en Suisse, on se bat contre certaines pratiques qui consistent à payer les médecins qui envoient leurs ordonnances à la pharmacie en ligne Apotheke zur Rose. D’autres appelleraient cela du compérage !

Revenons sur les importations parallèles. Quelle est la position du GIRP sur ce dossier ?

Je trouve contradictoire que Bruxelles demande de stopper les importations parallèles au sein de l’Europe alors même que certains Etats membres instaurent des systèmes qui incitent à le faire pour réaliser des économies. Aujourd’hui, le marché unique des médicaments n’est pas une réalité et de ce fait crée un commerce parallèle. Au Royaume-Uni, la part des importations représente 12-14 % du chiffre d’affaires du médicament. Dans ce pays, les pharmaciens doivent ristourner à l’Etat des sommes importantes par rapport au chiffre d’affaires réalisé. En achetant des médicaments importés parallèlement, donc un peu moins chers, ils peuvent payer plus facilement ce discount. En Allemagne, les pharmaciens sont même obligés de réaliser 5 % de leurs ventes de médicaments remboursables en produits importés.

Est-ce si efficace ?

Ces Etats n’ont pas bien compris les mécanismes réels, si vous me permettez cette façon de parler. Ce n’est pas la sécurité sociale qui gagne de l’argent dans cette histoire, pas plus que les grossistes, ce sont en réalité les intermédiaires. Les importateurs parallèles allemands sont devenus très riches très rapidement en écumant toute l’Europe du Sud et en repackageant les produits avant de les réexpédier vers l’Europe du Nord ! Si on applique une part de marché identique à la Grande-Bretagne au marché suisse par exemple, on arrive à une économie pour les caisses d’assurance maladie de 50 millions, sur un marché total de 3,5 milliards. Il faut arrêter, c’est ridicule ! Je suis persuadé qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni cela ne doit pas être vraiment différent.

Pourtant certains grossistes en profitent…

Le grossiste-répartiteur ne dispose pas des autorisations nécessaires pour faire du commerce parallèle. Ce n’est de plus pas son activité de base… En revanche, certains de nos membres ont des filiales spécialisées dans l’import-export.

La France vient d’être attaquée par la Commission concernant le capital des pharmacies. Les grossistes vont forcément se montrer intéressés !

Pas tous. Quoi qu’il en soit, cette possibilité existe depuis longtemps dans d’autres pays de l’Union. Mais, sincèrement, le pharmacien indépendant n’a pas à avoir peur. Si c’est un vrai entrepreneur, un vrai professionnel qui cherche à développer ses services, il aura de meilleures performances que la pharmacie de la chaîne qui est en face ! C’est sûr. C’est une affaire de personnalité, de flamme, d’implication personnelle…

Vous pensez que les pharmaciens vont préférer se rapprocher des grossistes en cas d’ouverture du capital ?

Le pharmacien ne raisonne pas du tout comme cela. Ils vendent au plus offrant ! Mais j’ai envie de leur dire que le grossiste est leur partenaire historique. Une relation de confiance se construit au fil des ans entre eux, et il est d’ailleurs assez rare qu’un pharmacien en change. Et puis, le grossiste apporte de la pérennité, et, pour un pharmacien, c’est important !

Alors, menace ou chance pour le pharmacien ?

Cela va peut-être permettre aux indépendants de se faire de la concurrence, de se remettre en question. Je l’ai vu ici, en Suisse, avec la constitution de groupements de pharmaciens qui ont repris un certain nombre de points forts du modèle de la chaîne mais avec un service personnalisé de très grande qualité. Tout en restant indépendant. Aujourd’hui, on ne peut plus rester individuel…

Certains groupements français tentent de grignoter des parts de marché aux grossistes. Quel est votre point de vue sur la question ?

Quand il s’agit d’obtenir de meilleures remises, c’est bien de se grouper, mais quand on commence à dédoubler les structures logistiques, c’est une aberration.

C’est donc sur les services aux patients qu’ils doivent faire la différence ?

Il n’y a rien à craindre de l’avenir à condition de proposer de nouveaux services. Le pharmacien est le seul qui a une formation de base qui lui permette de détecter des interactions, le seul en mesure d’analyser l’historique médicamenteux de son patient, de lui conseiller un OTC en plus de son médicament prescrit. Il peut aussi proposer toute une batterie de tests à sa clientèle : mesure de la tension, contrôle du diabète… Une chaîne de pharmacies anglaise par exemple vient de faire une grande campagne de mesure de la tension artérielle et les pharmacies sont rémunérées. Ailleurs, des pharmacies, en partenariat avec des laboratoires d’analyses médicales, vous proposent un check-up complet. Vous venez le matin vous faire prélever un peu de sang et l’après-midi vous avez vos résultas complets. Et c’est rémunéré. Il faut juste que le pharmacien innove. Il faut qu’il mette en place des outils de fidélisation de sa clientèle efficaces pour éviter ce qui se passe aux Pays-Bas où la moitié des médicaments de biotechnologie, très chers, lui échappe. Ils sont distribués par des sociétés spécialisées qui s’occupent de facturer et de transmettre à l’assurance maladie pour la prise en charge. Elles garantissent la chaîne du froid, prennent rendez-vous au domicile du patient pour lui livrer le médicament, accompagné s’il le faut d’une infirmière. C’est très efficace, il faut voir la réalité en face… Le pharmacien doit se montrer plus proactif pour être au coeur de ces réseaux, et nous, grossistes, pouvons l’y aider en le mettant en contact avec les industriels et en mettant à sa disposition nos infrastructures efficaces.

Direct to pharmacy : le dossier qui fâche

En signant un accord de distribution exclusive avec Alliance-Boots, Pfizer a déclenché une mini-tornade sur le petit monde de la distribution. Arguments avancés : lutter plus efficacement contre les contrefaçons et les importations parallèles, mais aussi améliorer la marge industrielle. Dans le cadre du « direct to pharmacy » (DTP), c’est le laboratoire qui facture directement les pharmacies, Alliance n’étant qu’un provider de services logistiques, façon DHL… Pfizer connaît ainsi le sell-out en temps réel et peut donc identifier les achats en quantité anormale.

Le DTP aura-t-il pour autant un impact négatif sur les pharmaciens ? Oui, selon René Jenny : « Si on enlève aux grossistes toute une série de produits sur lesquels ils gagnaient de l’argent – Pfizer, c’est 12 à 13 % du marché du médicament en Grande-Bretagne -, ils risquent de ne plus référencer certains médicaments, notamment les orphelins. Pour les patients, ce sera catastrophique. Par ailleurs, il est difficilement imaginable qu’Alliance puisse dans quelques mois livrer 3 à 4 fois par jour 12 000 clients, sans compter les médecins dispensant alors qu’il en livre 4000 aujourd’hui ! »

La solution ? Que les industriels fassent du DTP avec tous les grossistes ou presque ! De nouvelles offres de DTP vont dans ce sens, mais les honoraires reversés au grossiste seraient trop faibles. « Les industriels ne se rendent pas compte de notre rôle », conclut René Jenny.

repères

Le GIRP

– Créé en 1960, le GIRP regroupe 600 grossistes-répartiteurs « fullliners en Europe ».

– Ils emploient environ 140 000 personnes, gèrent les stocks de plus de 3 500 fabricants et livrent plus de 133 000 pharmacies à travers l’Europe.

– Les membres actifs : 24 pays, dont la France, représentés par leurs syndicats professionnels, mais aussi les quatre plus gros groupes/sociétés de répartition en Europe, représentant plus de 50 % du marché total : Alliance Healthcare, Celesio, Phoenix et Secof (regroupant des coopératives dont CERP Rouen).