Accro à la prise en charge des addictions
Impliqué depuis toujours dans le sevrage des toxicomanes, Alain Gaubert se bat aujourd’hui au sein de l’association Pharm-Addict pour transmettre ses bonnes pratiques à toute la profession, et faire entendre la voix des officinaux auprès des pouvoirs publics.
Paris, métro Barbès-Rochechouart. La foule, les klaxons, la pollution… Mais à peine poussée la porte de la Pharmacie Gaubert, le patient se retrouve dans un havre de sérénité. Fontaine à eau, plantes vertes, musique douce…, rien ne laisse présager, si ce n’est le vigile à l’entrée, que l’officine assure le suivi de près de 250 toxicomanes par mois. Alain Gaubert préfère parler de « patients usagers de drogue ». Question de respect. Tous les patients étant traités avec les mêmes égards (accueil, cadeaux de fin d’année…), quels que soient leur traitement ou leur apparence.
L’importance du dossier patient
« Quand je me suis installé boulevard Magenta, il y a 20 ans, je me suis retrouvé au coeur du quartier parisien de la drogue, explique Alain Gaubert. Les conditions sanitaires étaient catastrophiques ! Comme il n’y avait pas de seringues en vente libre, on nous achetait des produits injectables. Petit à petit, le contact s’est fait. J’ai découvert des gens dans des situations de galère et de rejet social extrêmes. Comment rester insensible à une telle détresse ? » C’est ainsi qu’il prend contact avec des médecins pour ensemble trouver des solutions, à une époque où le sevrage se limitait au Temgésic et au sulfate de morphine injectable. Ils montent Repsud, l’un des premiers réseaux dédiés au sevrage des toxicomanes, aujourd’hui intégré à VIH Paris Nord.
« La chaîne de solidarité entre acteurs de santé et travailleurs sociaux est indispensable pour une bonne adhésion à la thérapeutique », assure le pharmacien. Avec un agencement naturellement propice à la confidentialité, sans « guichet » méthadone. Alain Gaubert a tout fait pour ne pas transformer son officine en « ghetto à toxicos ». A commencer par édicter un protocole strict de délivrance. « A chaque nouvelle ordonnance nous appelons le médecin et vérifions l’identité du patient. Puis nous engageons toujours le dialogue. Toutes les informations sont enregistrées dans un dossier dont nous conservons l’historique cinq à six ans. » Une excellente façon de limiter abus et trafics. « Nous avons toujours fixé un code de bonne conduite qui repose sur le respect et la confiance réciproque », détaille le titulaire. Les règles sont claires : l’équipe s’engage à assurer la disponibilité des traitements (jamais de rupture de stock) et, en retour, exige que ses interlocuteurs se comportent comme tout le monde. Dès lors, les personnes trop agressives sont écartées.
Une équipe impliquée à l’unisson
Cette activité pose-t-elle des problèmes parmi l’équipe ? « Tous mes salariés sont impliqués au même titre. Dès l’embauche, j’aborde la prise en charge de la toxicomanie. La période d’essai est un bon test mais en général tout se passe bien. » Toute l’équipe joue la même partition : pas de port de blouse pour faciliter les échanges, accueil avec tact et amabilité, détection des ordonnances falsifiées, connaissance des produits, confidentialité assurée par la robotisation et la mise sous sac opaque, explications détaillées… Au fil des années, Alain Gaubert a acquis une expertise rare en respectant toujours les exigences d’un travail sérieux. Au bénéfice de ses patients et de l’image de toute la profession. « Je suis persuadé que de nombreux pharmaciens sont amenés à prendre en charge des patients toxicomanes mais sont souvent isolés. »
Pharm-Addict* est donc née de ce besoin en formation. « Nous n’avons pas voulu nous limiter à la toxicomanie car la démarche d’accompagnement est la même pour toutes les conduites addictives », explique Alain Gaubert, trésorier de l’association. Particulièrement actif dans le domaine du sevrage tabagique, il est persuadé que le rôle du pharmacien dépasse largement le cadre de la délivrance des substituts nicotiniques. Son credo : ouvrir le dialogue pour assurer une prise en charge personnalisée. Il partage avec ses collègues du bureau de l’association (tous impliqués dans le suivi des toxicomanes) le même objectif : enseigner les bonnes pratiques à ses confrères, mais aussi aux pharmaciens adjoints et, à terme, aux préparateurs. Pour le moment, ils s’en tiennent à l’addiction aux drogues et au tabac mais comptent bien aborder le problème de l’alcool et des troubles du comportement alimentaire. Pour sa part, Alain Gaubert n’a jamais cessé de se former au cours de son exercice : prise en charge de la toxicomanie, des patients séropositifs, des personnes atteintes d’hépatite… « S’il veut conserver son monopole, le pharmacien doit acquérir des connaissances et montrer son utilité en santé publique. »
Porte parole auprès du gouvernement
Créée en novembre 2006, Pharm-Addict compte déjà 80 adhérents. Mais les objectifs vont bien au-delà. « Nous souhaitons créer un réseau de pharmaciens sur toute la France pour avoir une véritable représentativité auprès des pouvoirs publics », annonce Alain Gaubert. Le but n’est autre que de faire peser la voix des officinaux dans la balance décisionnaire de l’administration. Avec ses collègues, il a déjà participé à des réunions à la Haute Autorité de santé ou à l’Afssaps. L’été dernier, il a été consulté par Xavier Bertrand à propos du Subutex et de son retrait de la liste des stupéfiants. Et semble avoir été entendu. « Je milite depuis toujours pour la simplification de la gestion des stupéfiants. Le système actuel décourage beaucoup de pharmaciens », assure-t-il. Rien que dans son officine, la gestion des stocks de méthadone mobilise durant de longues heures une personne toutes les semaines.
« Notre activité demande une rigueur et une vigilance de tous les instants », reconnaît le pharmacien, en avouant que « tout n’est pas rose tous les jours » et que « les patients ne sont pas tous gentils ». Alors pourquoi poursuit-il ? « Ma satisfaction dans ce métier est de savoir que j’ai sauvé des vies. J’ai connu des loques humaines qui aujourd’hui ont retrouvé un travail. La reconnaissance que j’ai de ces patients n’a pas de prix. » En prime, la majorité de sa clientèle soutient son engagement et lui est reconnaissante d’avoir contribué à l’amélioration de la sécurité du quartier.
* Pour adhérer : Pharm-Addict, 26, rue de Paris, 93100 Montreuil-sous-Bois (st.robinet@wanadoo.fr).
Envie d’essayer ?
les avantages
Avoir un rôle intéressant d’acteur de santé publique.
S’investir dans son quartier.
Créer un lien privilégié avec des patients chroniques, en demande de prise en charge.
Fédérer toute l’équipe autour d’une action de prise en charge globale harmonisée.
Les difficultés
L’implication dans le suivi des addictions demande un grand investissement personnel de toute l’équipe.
Certains patients en cours de sevrage aux opiacés peuvent être agressifs et voler à l’étalage…
Le suivi des toxicomanes impose une vigilance de tout les instants, qu’elle soit administrative ou relationnelle.
Les conseils d’Alain Gaubert
« Accueillir tous les patients avec les mêmes égards. »
« Rester sérieux et rigoureux. »
« Ouvrir le dialogue et ne pas être avare d’explications. »
« A partir du moment où le pharmacien s’engage à délivrer une ordonnance de traitement de substitution aux opiacés, il doit s’arranger pour ne jamais être en rupture de stock au moment du renouvellement. »
« Prendre contact avec les médecins prescripteurs et intégrer si possible des réseaux de soins. »
« Assurer la confidentialité aux patients »
Les avantages de pharm-addict
Bénéficier d’informations et de formations dans le domaine des addictions.
Profiter de conseils d’experts.
Sortir de son isolement
Echanger avec d’autres pharmaciens impliqués dans la délivrance des traitements de substitution aux opiacés.
Avoir une représentation auprès des pouvoirs publics.
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