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Du perso au boulot mais pas trop

Publié le 30 août 2023
Par Christine Julien
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Faire cohabiter vie privée et vie professionnelle. Pour que le « perso » et le « pro » interagissent sereinement, adoptez une attitude mesurée, tout en conservant votre empathie.

Le « perso », késaco ?

Tout ce qui n’est pas public

La vie privée concerne l’ensemble des activités qui relève de l’intimité, de sa vie personnelle. Son respect est un droit inscrit dans le Code civil (Article 9). La loi n’en définit pas les contours mais différents jugements ont notamment considéré comme « privé » la vie sentimentale, sexuelle, familiale (filiations, lieux de vacances…), la santé, les convictions politiques et religieuses ou la situation financière. Par opposition, l’activité professionnelle appartient à la vie publique.

Vecteur de cohésion

Dispute de couple, nuit perturbée par un enfant malade ou projet de mariage, il est tentant d’en faire part à ses collègues… Pour Agnès Rettel, psychothérapeute et coach, « il est tout à fait normal d’avoir envie de partager un peu de votre vie avec ceux que vous voyez tous les jours ou presque ». Les discussions personnelles dans le back-office aident à dédramatiser une situation mais aussi à créer ou maintenir un lien social. « Elles peuvent donner à l’équipe un vrai sentiment de cohésion. »

Établir sa frontière

Soyez mesuré

Vous répandre sur votre vie personnelle risque de « saouler » vos collègues avec à la longue un effet de rejet. La jouer « motus et bouche cousue » peut renvoyer une image de vous hautaine, méprisante, voire de personne peu intéressante. « Quoi que vous disiez ou taisiez, quelle que soit votre attitude, ce sera toujours interprété », prévient Agnès Rettel avec humour. Il n’y a pas de recette miracle mais éviter les attitudes extrêmes est une bonne base. Votre choix est sans aucun doute celui de la mesure !

Pesez vos mots

→ Éviter les regrets. Avant de se confier, la seule question à se poser est : est-ce que je risque de le regretter ? Réfléchissez et dressez la liste de ce qui est privé mais sans danger, voire gratifiant pour votre travail : capitaine d’une équipe sportive, présidente d’association, cinéphile… Et ce qui peut vous desservir : soucis de santé, familiaux… Comparez le bouche-à-oreille à la pharmacie aux réseaux sociaux et interrogez-vous sur ce que vous pourriez rendre public sans craindre de conséquences.

→ Évaluer les risques selon son environnement de travail. Livrer certaines informations personnelles sur sa vie affective ou ses difficultés financières peut impacter négativement son image professionnelle : manque de fiabilité, incapacité à gérer un budget, indécision, petits arrangements avec la vérité… Un titulaire pourrait hésiter à confier la gestion de rayons à une personne qui n’arrive pas à se gérer !

→ Bannir les sujets intimes. Ce qui relève de l’intime n’a pas sa place sur le lieu de travail. Sexualité, politique ou religion sont sources de clivages importants. Dans tous les cas, pas de zèle pour convaincre, ni de propagande.

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→ Gare au téléphone et aux réseaux sociaux. Évitez de répondre à votre téléphone privé dans l’espace de travail et gare aux réseaux sociaux. Ne laissez pas « publiques » des photos trop personnelles, gérez les paramètres de confidentialité…

→ Au cas par cas. Soirée avec conjoints, verre après le travail sont à éviter sauf si nécessaire ou si toute l’équipe est conviée.

Bien se conduire

Soucis ponctuels

Parent ou enfant malade, examen médical en vue, intervention chirurgicale délicate… il est parfois difficile de cacher son humeur morose au travail. « Il vaut mieux expliquer qu’on est inquiet, préoccupé et préciser pourquoi, conseille Agnès Rettel. Cela évite à nos collègues de se demander ce qu’ils ont fait pour mériter notre morosité. » En dire quelques mots limite les sources d’incompréhension, mais inutile de décortiquer la situation. « Il n’y a aucune raison de se justifier. Cela peut donner l’impression qu’on est en tort. »

Projets en vue

→ Personnels. Bébé, mariage ou long voyage, les événements heureux sont une occasion de partager. L’équipe peut se réjouir, mais elle pense aussi « organisation ». évitez les annonces trop tardives pour limiter le « clash » organisationnel. Avertissez le titulaire en amont.

→ Professionnels. Si vous recherchez un nouvel emploi ou comptez changer de métier, mieux vaut vous taire. Vous ne savez pas toujours qui vous avez en face de vous.

Nouvelle équipe

« L’observation est nécessaire avant de participer à son tour à la vie de l’officine », conseille Agnès Rettel. Cela permet de comprendre les règles non écrites qui régissent son fonctionnement. Commencez par des informations « sociales » pour créer du lien sans trop vous dévoiler : j’ai aimé cette pièce de théâtre, je chante dans un groupe Après quelques mois, vous pourrez échanger progressivement sur votre vie privée en suivant toujours la règle : je partage seulement ce que je ne risque pas de regretter.

Un entrant

Lorsqu’un nouveau collègue arrive, trois règles sont à respecter :

→ laissez-lui le temps et les moyens de l’observation en vous comportant comme d’habitude avec vos autres collègues ;

→ évitez toute question intrusive sur sa vie privée : « Tu es en couple ? », « Tu veux des enfants ? », « Tu fais quoi le week-end ? » ;

→ ne partagez pas d’informations personnelles sur un collègue sans lui avoir d’abord demandé son accord : Léo a fait une dépression l’année dernière, Mélanie est en instance de divorce…

Doser l’esquive avec la clientèle

Restez professionnel

Diabète, acné, pilule du lendemain, cancer… vous pouvez vous aussi être confronté à des soucis de santé. Vous pouvez alors être tenté de partager votre expérience avec un patient concerné. « Il faut garder une réserve, prévient Agnès Rettel. On peut donner des conseils mais il faut se positionner en tant que professionnel de santé, jamais comme patient. » Évitez : « Quand c’était mon cas… ». Préférez : « Dans votre cas, je vous conseille… »

Repoussez les curieux

« Vous avez un copain ? », « C’est pour quand le bébé ? » : les clients sont parfois curieux. L’intention est souvent bonne, mais attention aux débordements si vous laissez une ouverture. Placez quelques phrases toutes faites pour couper court avec humour : « Je tiens à ma vie privée », « Vous savez, je suis une autre personne quand je porte ma blouse »…

Recentrer les épanchements

Certains collègues s’épanchent sur leur vie privée, jusqu’à envahir votre esprit ! Voilà comment éviter de se laisser déborder, tout en restant empathique.

→ Limitez les moments propices à la confidence : tête à tête dans le back-office ou à la pause repas, tâches en binôme. S’entourer d’autres collègues évite la relation exclusive.

→ Contournez la conversation. Partir discrètement ou recentrer sur un sujet professionnel : « Il faut que je te parle rapidement de l’ordonnance de Madame D. »

→ Restez discret. Pour ne pas encourager la confidence, évitez tout sujet personnel et bottez en touche en cas de questionnements appuyés : « Tu sais, je n’ai rien d’intéressant à raconter », « Je ne suis pas une grande bavarde »

→ Mettez les points sur les « i ». « À l’officine, je préfère qu’on garde une relation de travail », « Je comprends tes soucis. Je te conseille d’en parler à un professionnel. »

Parler positif

Le DESC

→ Utilisez le DESC. Cet outil permet de dire ce que l’on pense à quelqu’un tout en maintenant une relation constructive.

→ D pour décrire. Il s’agit de décrire de façon simple la situation en s’appuyant sur des faits : « J’ai remarqué que tu parlais beaucoup dans la journée avec nous tous de ta vie personnelle »

→ E pour exprimer. Exprimez vos sentiments et la gêne que vous ressentez : « Pour être honnête, tes confidences me dérangent/me mettent mal à l’aise/nuisent à ma concentration… »

→ S pour solution. Proposez, sans imposer, une modification qui pourrait résoudre le problème : « Parler de questions personnelles à la pause serait plus approprié »…

→ C pour conséquences. Mettez en avant les conséquences positives : « Cela serait plus agréable pour moi/pourrait te servir dans d’autres circonstances », et négatives : « Sinon, cela pourrait te desservir »

L’OSBD

Cette méthode permet d’entrer en contact avec ses besoins pour mieux communiquer, en laissant s’exprimer sa bienveillance. La méthode OSBD est basée sur quatre points.

→ Observation des faits, sans jugement pour court-circuiter l’analyse : « Aujourd’hui, j’ai été interrompue dans la plupart de mes tâches. »

→ Identifier et exprimer des Sentiments. « Je me sens mal quand je n’arrive pas à me concentrer »

→ Reconnaître et exprimer ses Besoins, indépendamment de la personne : « J’ai besoin de concentration pour travailler ». Pas de : « J’ai besoin que tu te taises. » En disant « je », ce que vous dites vous appartient et il n’y a pas de polémique possible. Vous avez le droit d’être frustré. La discussion peut s’engager.

→ Demander, formuler une requête. Dites ce que vous attendez de l’autre, de façon positive, négociable, avec des verbes d’action. « Serais-tu d’accord pour que nous nous parlions à la pause ? » Éviter : « J’en ai marre que tu me parles tout le temps de ta vie privée. » Rajoutez : « Si cette solution ne te va pas, que pourrais-tu proposer qui te convienne aussi à toi ? »

Mon collègue est devenu un ami

De belles relations d’amitié peuvent naître dans le travail, reste à les préserver.

→ Ne pas tout mélanger. Gardez les conversations amicales pour la pause ou une sortie et évitez les conversations de boulot à ces occasions ! Cela aussi vous évitera le commérage.

→ Éviter la connivence à l’excès et les allusions aux projets communs devant l’équipe qui risque de se sentir écartée et d’écarter à son tour.

Avec l’aimable collaboration d’Agnès Rettel, psychothérapeute, coach et formatrice en communication.