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Chili ou la dictature des chaînes

Publié le 25 août 2007
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A quoi ressemble un réseau pharmaceutique soumis aux seules lois de la concurrence ? A l’heure où l’Europe cherche à imposer la déréglementation comme religion, y compris dans la santé, le Chili montre un « bel » aperçu de ce que l’expérience peut donner dans le domaine pharmaceutique. Voyage aux antipodes.

L’après-dictature chilienne, depuis 1988, a été caractérisée par un libéralisme à tout crin. La santé n’a pas échappé au phénomène et, dans ce petit pays de 15,6 millions d’habitants, dont le tiers vit à Santiago, les prix des médicaments ou les installations de pharmacies ne sont pas régulés. Rien d’étonnant donc à ce qu’au Chili les pharmacies indépendantes soient de plus en plus rares. Elles ont été soit rachetées par des chaînes, soit intégrées dans une franchise. Les indépendants ont en effet beaucoup de mal à résister à la terrible guerre des prix que se livrent les chaînes. Et pour cause : « Mardi et jeudi, 50 % sur les génériques », « 40 % sur tous les médicaments ». Voici deux exemples de messages qui fleurissent dans les vitrines des pharmacies chiliennes ou dans la presse, notamment les gratuits de Santiago. On trouve aussi des tickets à gratter pour découvrir le bon de réduction auquel on a droit ! Tous les moyens sont bons dans un contexte de concurrence qui fait rage. Corrélativement, la livraison à domicile se développe. Certaines centrales de livraison sont ouvertes 24 heures sur 24.

Une surdensité officinale dans les villes

Si vous demandez à un pharmacien chilien pourquoi le prix du médicament n’est pas fixé par l’Etat ou un organisme régulateur, il rira probablement et vous répondra que c’est le marché qui fixe le prix du médicament. Première conséquence de cet ultralibéralisme, l’existence d’un marché parallèle. « Certains médicaments sont achetés sur ordonnance à bas prix et revendus sans ordonnance au marché noir », indique un pharmacien. Illégal mais bien réel… et manifestement peu contrôlable.

De même, si vous évoquez la notion de quorum ou de numerus clausus, n’espérez pas vous faire comprendre ! Là aussi, pas de régulation, si ce n’est la loi d’un libéralisme débridé.

S’il y a en moyenne une pharmacie pour 10 000 habitants dans le pays, on les trouve surtout là où beaucoup de monde transite. Dans les zones pauvres il y en a beaucoup moins. Il n’est pas rare de passer devant plusieurs officines côte à côte ou d’en voir une occuper chaque partie d’un carrefour. Nombreuses sont également celles accolées à des centres commerciaux.

Il n’existe pas plus de réglementation concernant les horaires. Les officines sont souvent ouvertes de 8 h 30 à 22 h, parfois jusqu’à minuit. Certaines sont ouvertes 24 heures sur 24, notamment à proximité des hôpitaux. Il y a des tours de garde entre les différents salariés, sachant que du lundi au vendredi le « chimiste pharmacien n° 1 » (le gérant) doit toujours être là (lire ci-dessus). Le patient, lui, ne paye pas plus cher la nuit ou le dimanche…

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Piles, chocolat et développement photo

Dans les pharmacies chiliennes, on peut y trouver du pain, du chocolat, des pâtes, des téléphones, des peluches, des piles… Certaines développent même les photos en guise de service supplémentaire offerte à la clientèle. Et un Chilien peinant à trouvez un distributeur de billets de banque peut pousser la porte d’une pharmacie où il n’est pas rare que ce service soit aussi proposé. En revanche, les officines chiliennes ne louent pas de matériel médicalisé. D’autres prestataires occupent ce marché.

Rien d’étonnant, vu le contexte, à ce que le Chili soit l’objet de batailles entre chaînes. Les cinq principales sont Cruz Verde, Ahumada, Salcobrand, FarmaLider et une petite nouvelle qui se développe dans la région de Santiago, Doctor Simi. Les trois premières totalisaient 90 % du marché il y a deux ans (dont environ 40 % pour Cruz Verde et 30 % pour Ahumada). Chacune a ses propres marques de génériques.

Le leader possède 500 officines dans le pays (contre 40 en 1995), dont l’unique officine de l’île de Pâques. En 2006, son challenger, le groupe mexicain Ahumada, a ouvert plus de 20 officines et prévoit de terminer l’année avec près de 300 points de vente. Salcobrand, qui en possède à peu près autant, annonce dans les cinq prochaines années l’ouverture de petits centres commerciaux de 1 500 à 5 000 m2 équipés d’une pharmacie.

Guerre commerciale sur fond de génériques

La guerre entre les chaînes joue évidemment sur les prix et, comme partout en Amérique du Sud, le générique est un enjeu. 50 à 100 pesos, c’est le prix de certains génériques, soit 10 à 30 centimes d’euros. Dr Simi, filiale d’un groupe mexicain (Farmacias Similares revendique 3 450 officines au Mexique), s’est justement spécialisé dans la vente de médicaments génériques. Son patron, Victor Gonzáles Torres, que certains surnomment « le milliardaire philanthrope », affirme être venu au Chili « pour vendre beaucoup et gagner peu ». Présent au Salvador, au Honduras, au Nicaragua, au Costa Rica, en Equateur, au Pérou, en Argentine et, depuis le printemps 2006, au Chili, il cherche à avoir, selon le quotidien La Nación, 4 000 officines au total. Il s’est lancé au Chili en proposant 75 % de rabais sur les génériques ! Son arrivée a donc exacerbé la compétition. Après un an de présence, il dispose d’une cinquantaine d’officines dans le pays.

Farmacias Ahumada est également une filiale d’un groupe mexicain (Fasa) implanté aussi au Pérou. C’est la plus importante chaîne d’Amérique latine. Fasa détient 5 % du marché privé des génériques. Il s’est associé en septembre à 50-50 avec les laboratoires Volta qui en détiennent 15 %. Ensemble ils forment PharmaGenexx, structure dédiée à l’importation, l’exportation et la commercialisation de génériques et de médicaments propres. Cruz Verde se positionne aussi sur ce marché en proposant des réductions spéciales de 50 % sur les génériques.

Freiner le train fou de la dérégulation

Chacun a le choix de cotiser soit au fonds national de santé (l’Etat prélève 7 % du salaire), couvrant 70 % de la population, soit à une assurance ou une mutuelle. Une vingtaine d’Isapres (ou Institutos de Salud Previsional) collectent ainsi les cotisations destinées au secteur privé (30 % de la population). Certaines mutuelles ont des accords avec des pharmacies : avec sa carte, le patient obtient des rabais dans certaines chaînes selon l’accord passé. Restent les populations précaires, généralement sans couverture, sauf, pour certaines maladies graves, une vingtaine au total (diabète, hypertension, certains cancers comme celui du sein, la dépression…), pour lesquelles les traitements sont pris en charge par l’Etat. Pour ces maladies, tous les médicaments sont gratuits pour le patient. La pharmacie se fait rembourser par les pouvoirs publics.

Pouvoirs publics qui semblent avoir pris conscience des lacunes dans le système de soins provoquées par ce trop grand libéralisme. Une réforme a été lancée en 2004, destinée à réduire la fracture sanitaire dans l’accès aux soins, avec un plan de prise en charge de 56 pathologies prioritaires. L’un des soucis de la réforme : accroître la régulation du système de soins. Mais cette volonté concerne essentiellement les établissements de santé avec la mise en place d’un système d’accréditation pour les cliniques privées. Pour l’instant, aucune velléité n’a cependant été montrée d’étendre la régulation à la pharmacie de ville.

Le pharmacien chilien est aussi « chimiste »

Il faut avoir le diplôme de « chimiste pharmacien » pour tenir une pharmacie au Chili. Pour l’obtenir, il faut suivre des cours de biologie mais aussi d’administration, de gestion… Les études comptent cinq ans de théorie un stage de 240 heures en officine, un internat de trois mois pour découvrir les autres catégories de pharmacies, par exemple à l’hôpital. Il faut également faire une thèse et un mémoire (six mois pour les deux) ainsi qu’un stage de six mois dans un laboratoire ou à l’hôpital. La spécialisation arrive en fin de parcours, au niveau du doctorat.

L’université chilienne offre cent places chaque année. On peut aussi faire pharmacie à l’Université catholique ou dans une école privée de Valparaiso. Mais le privé est généralement deux fois plus cher que le public.

Les grandes chaînes n’hésitent pas à embaucher des étudiants dès la cinquième année en guise de chimistes pharmaciens les jours fériés, les dimanches et durant les vacances…

Il est également un numéro !

Les officines comptent en moyenne deux chimistes pharmaciens. Rien n’interdit d’en avoir plus mais un chimiste pharmacien ne peut travailler que dans une officine. Le « numéro un » a la responsabilité de l’officine. Il est gérant en quelque sorte. Le salaire de base du « pharmacien chimiste numéro deux », l’assistant, tourne autour de 800 000 à 1 million de pesos (1 200 à 1 500 euros).

Les autres salariés sont des vendeurs et/ou s’occupent des stocks. On trouve également dans le personnel un garde. La durée légale du travail est de 45 heures par semaine. Les heures supplémentaires ne peuvent excéder 2 heures par jour, avec 3 semaines de vacances par an pour les salariés.

Quatre modes de délivrance

Il existe quatre types de prescriptions : sans ordonnance, sur ordonnance simple (rendue au patient), sur ordonnance (que le pharmacien garde) et sur « ordonnance hypercontrôlée », avec vérification que les stocks restent en conformité avec la quantité vendue. Il y aurait eu beaucoup d’abus sur le Valium. D’où la création d’« ordonnances chèques », émises comme des billets. Elles sont remplies avec les données du pharmacien et celles de la personne qui est venue chercher les médicaments, même si ce n’est pas celle qui va les consommer.

à noterUn marché à prix cassés

En 2006, l’ambassade de France évaluait à un milliard de dollars le marché pharmaceutique chilien.

– Le prix moyen du médicament est de 3,03 $.

– Le prix moyen des médicaments innovants (produits et vendus par les multinationales) est de 8,10 $, représentant 18 % du marché en volume et 42,6 % en valeur.

– Le prix moyen des médicaments produits localement :

– « similaires » (généralement des copies vendues ensuite sous nom de marque) : 4,60 $ ;

u génériques : 0,60 $ (46 % du marché en volume, 8,2 % en valeur).

Petit-gris contre points noirs

Au Chili, on trouve en très petit nombre des pharmacies mapuches, du nom d’une communauté indienne vivant dans le sud du pays. Les Indiens mapuches (ou « Peuple de la terre ») représentent 10 % de la population du pays et leurs pharmacies sont plutôt des herboristeries, liées à la médecine chamanique. Leurs « médecins » n’utilisent que des produits naturels : plantes, fruits, champignons, écorce d’arbres et… bave d’escargot qui serait, à en croire certains blogs, efficace contre l’acné, les cicatrices, les rides… Les Mapuches ont aussi leurs produits de beauté. Ils viennent d’ailleurs de lancer une gamme fabriquée selon les traditions ancestrales.