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« Direct-to-pharmacy » en France, si c’est possible !

Publié le 8 septembre 2007
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Le contrat d’exclusivité signé par Pfizer avec Alliance Unichem au Royaume-Uni depuis le printemps a jeté un pavé dans la mare. Or d’autres laboratoires lui emboîtent le pas. Ce principe peut-il traverser la Manche ? Le Moniteur a voulu en avoir le coeur net : conclusion, les labos y pensent et la DGCCRF ne dit pas non. Shocking.

Le circuit de distribution du médicaments est en pleine mutation en Europe. La signature du contrat d’exclusivité de la filiale britannique de Pfizer avec Alliance Unichem a donné des idées. D’autres pourraient lui emboîter le pas : Sanofi-Aventis, AstraZeneca, Novartis et Lilly ont fait savoir qu’ils étudiaient un changement de leur mode de distribution outre-Manche. Selon nos informations, ces géants de l’industrie pharmaceutique seraient même en pourparlers afin de distribuer leurs produits via un seul grossiste-répartiteur en Grande-Bretagne.

Raison officielle : la contrefaçon

Officiellement, il s’agit de limiter les risques de contrefaçons. A raison. D’après l’OMS, 6 à 10 % des médicaments sont contrefaits sur la planète, pour un CA de 32 Md$. Pire : le rapport d’activité 2006 des douanes françaises révèle que 594 465 médicaments contrefaits en transit ont été saisis dans l’Hexagone, contre 16 665 en 2005. En réaction aux nombreuses contrefaçons, notamment de Viagra, Pfizer a pris le taureau par les cornes. « Pfizer craignait que ces contrefaçons n’entachent sa réputation et mettent en cause sa responsabilité », explique Yves Romestan, porte-parole d’Alliance. Seule solution pour maîtriser son circuit de distribution ? Travailler avec un seul distributeur. Mais la lutte contre les contrefaçons n’est que la partie immergée de l’iceberg.

Le recours au direct to pharmacy est aussi une façon astucieuse, pour le laboratoire, de réduire l’érosion de ses marges en accroissant son contrôle sur la chaîne de distribution du médicament.

Une thèse que vient confirmer et expliciter une étude du géant du consulting, Booz Allen Hamilton(1) publiée en septembre 2006.

Une stratégie de laboratoire

Cette étude décrit le direct-to-pharmacy comme l’une des réponses possibles des laboratoires pour faire face à la révolution en marche dans la distribution pharmaceutique européenne. Face à la concentration qui se fait jour dans l’UE (rachats d’officines et créations de chaînes par les grossistes-répartiteurs), face au succès des commandes par Internet avec Doc Morris en Allemagne, Zur Rose en Suisse ou Healthexpress.co.uk au Royaume-Uni(2), « l’incapacité des laboratoires à agir handicapera sévèrement leur activité commerciale en Europe avec une érosion de leur profits », note l’étude. Les consultants pointent la possibilité pour un grossiste puissant d’exclure certains produits de son catalogue. Ils notent que, partout en Europe, les lois empêchant la constitution de chaînes de pharmacies sont assouplies et peu à peu supprimées. La montée en puissance des répartiteurs qui en résulte constitue une « menace significative pour les fabricants », analysent-ils. « Ils seront capables d’exercer une influence considérable sur le point de vente, par exemple en substituant des génériques par leur propres marques. » Et c’est ce qui se passe effectivement déjà sur le continent américain. Pointée du doigt : l’exigence probable de discounts plus importants, de rabais, de contreparties pour référencer les produits. Quant aux pharmaciens « ils ont déjà acquis une influence commerciale terrible » avec les génériques, et la volonté de plusieurs gouvernements européens d’accroître leur rôle de conseil (dont la consultation pharmaceutique) « pourrait influencer les décisions des patients sur le point de vente ». Y compris via « une substitution aggressive de produits sous brevets par des produits d’importation parallèle ». Enfin, justement, le développement des importations parallèles (des pays de l’UE à bas prix vers les pays de l’UE à prix hauts) est « une question fondamentale pour l’industrie », avec une baisse de ses revenus à la clé. Pour les consultants, non seulement l’instauration du direct-to-pharmacyse justifie dans les pays d’importations parallèles, mais aussi dans les pays d’exportation où il y a risque de ruptures de stocks, ceci « en vue d’éviter un risque pour les patients, les dommages aux marques et les pertes financières ». Or les pays les moins chers restent la Grèce, l’Espagne… et la France.

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Globalement, pour réagir aux mutations en cours, Booz Hamilton propose 4 voies :

1. Passer des accords avec les grossistes, avec deux gros inconvénients : le laboratoire reste dépendant du grossiste et n’a pas d’accès au point de vente.

2. On l’a vu, le direct-to-pharmacy. Avantages notables, l’accès au point de vente et une relative transparence. Inconvénients, un certain risque opérationnel et financier, et surtout un risque de représailles de la part des autres acteurs.

3. Le rachat des grossistes par les laboratoires, avec deux « gros moins » : des investissements lourds et la méconnaissance du de ce « business », ainsi que le fort risque de mesures de rétorsion des acteurs.

4. L’instauration de circuits de distribution « maison », avec ici un très gros risque de mesures de rétorsion.

On voit quelle est la mesure intermédiaire…

Quoi qu’il en soit, ce nouveau type de distribution pourrait traverser la Manche. « Pfizer réfléchit au niveau des pays européens à l’évolution de son mode de distribution », confirme Bernard Peyrical, porte-parole de Pfizer France. Dans l’Hexagone, le recours à un seul distributeur serait légalement possible. Selon la DGCCRF, « la signature d’un contrat d’exclusivité entre un laboratoire et un grossiste-répartiteur ne peut pas être une entrave aux pratiques anti-concurrentielles, à condition que le grossiste ne refuse pas de vendre les produits qu’il distribue aux officinaux ». On ne peut pas être plus clair. Quant à l’argument selon lequel une telle mesure ne pourrait voir le jour en France vu l’obligation, pour les répartiteurs, d’avoir en catalogue 90 % des spécialités, il avait fait pouffer de rire des représentants de labos lors d’un colloque du CIP, au printemps.

Ce qui peut changer pour les pharmaciens

Pour autant, les pharmaciens doivent-ils se faire du souci ? Le risque de l’émergence de ce nouveau modèle est bien entendu de changer la donne entre officinaux et grossistes-répartiteurs. Car, contrairement aux pratiques actuelles, le grossiste-répartiteur pourra fixer ses propres règles. Sans négociation possible. Une crainte dont se défendent les pionniers de ce nouveau modèle de distribution, comme l’explique Yves Romestan, d’Alliance Unichem : « En Grande-Bretagne, les modalités de mise en oeuvre de ce nouveau mode de distribution avaient été négociées avec les associations de pharmaciens, affime-t-il. Nous leur avons notamment garanti la rapidité de livraison et l’égalité de traitement entre tous les clients et 98 % de nos clients pharmaciens sont satisfaits de ce mode de distribution ». Cela suffira-t-il à convaincre les officinaux hexagonaux de l’intérêt du direct-to-pharmacy ? Rien n’est moins sûr.

« Comment les laboratoires peuvent accroître la sécurité du patient et sauvegarder leurs revenus en augmentant leur contrôle sur la distribution du médicament ». Booz Allen Hamilton est un cabinet de conseil pour les directions générales des grandes entreprises, présent sur les six continents.

(2) Le mail-order est légal dans six pays européens.