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Surstock : arrêtez les frais !

Publié le 8 septembre 2007
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L’environnement économique du pharmacien le pousse de plus en plus à trouver de nouvelles poches de rentabilité et à gagner des points de marge à tous les niveaux de fonctionnement de son entreprise. Le surstock est une source d’immobilisation de trésorerie et de perte de chiffre qu’il ne mesure pas toujours. Et la rationalisation de la « supply chain » passe par une maîtrise totale du stock. Explications.

Pour Manuel Servio, consultant en « supply chain management »* et directeur associé de la société Goodwill Management, la maîtrise du stock est un des facteurs clés de la rationalisation de la chaîne logistique dans de nombreux secteurs d’activités. Et, par conséquent, une source potentielle de pertes ou de gains substantiels. Si la pharmacie s’y est encore peu intéressée jusque-là, c’est parce que le service des grossistes joue un rôle tampon, masquant partiellement le problème du surstockage. Lorsque les répartiteurs ne livreront plus qu’une fois par jour, voire moins, le problème deviendra crucial.

La plupart des entreprises ont en effet d’ores et déjà mis en place l’ECR (efficient customer response). Ce concept commercial né au Etats-Unis repose, entre autres, sur l’efficacité de la réponse apportée au consommateur : un choix de produits de qualité, disponibles dans de nombreux points de vente, au moindre prix. Equation fort simple qui relève à la fois du « mix-marketing » et de moyens logistiques globaux répondant à une logique encore plus simple : « plus je déplace mon produit, plus je le stocke longtemps, plus il me coûte cher ». Donc, « plus il va coûter cher au consommateur final et plus je perds mes avantages concurrentiels ». « Pour être plus concurrentiel et/ou pour augmenter sa marge, le pharmacien doit réduire tous les coûts logistiques dont ceux qui sont liés à la phase de stockage. On ne peut en aucun cas raisonner uniquement selon la politique du zéro manquant qui est préjudiciable à la santé financière de l’entreprise », estime Manuel Servio.

Trouvez l’équilibre

Surstocker, sur la partie parapharmacie-OTC en particulier, c’est ne pas tenir compte des phénomènes de mode (la vague bio par exemple), de sensibilité à la nouveauté, à l’innovation et donc de l’obsolescence du stock (minceur, anti-âge, compléments alimentaires…), de l’impact publicitaire… qui modifient en permanence les pulsions d’achat. « Augmenter le stock pour prévenir la rupture est une mauvaise réponse. Dans le calcul du coût du surstock interviennent différents paramètres à étudier minutieusement et au cas par cas : le temps de négociation et de passation de la commande, la réception de la commande, le suivi de la commande, le rangement, les temps de manipulation, l’occupation de l’espace (coût au mètre carré), l’immobilisation de trésorerie (en fonction des échéances de paiement), le manque à gagner (en envisageant un placement de l’argent dormant), la marge des produits surstockés, la destruction éventuelle du produit après péremption… Mais il faut également intégrer les remises obtenues (ne jamais oublier que le laboratoire rémunère aussi le surstock !). Il s’agit donc pour le logisticien de déterminer la bonne balance entre le nombre de passations de commandes (impact sur le coût de livraison, les remises), le volume du stock, le taux de service », développe Manuel Servio.

Si le pharmacien est très « sensible » au « sous-stock » (la chasse aux manquants est un combat quotidien), il se préoccupe moins du surstock qui lui semble un moindre mal. L’expérience de Manuel Servio, qui travaille depuis un an en pharmacie avec Philippe Levy (Néo Pharma) lors des missions d’audit, montre que le coût du surstockage en officine peut atteindre 1 % du CA. Une officine de 4 à 5 millions d’euros présente en moyenne 5 à 8 semaines de stock global immobilisé. Un constat qu’on ne pourra relativiser qu’après des études poussées, en cours de réalisation, pour répondre à des questions comme celle du temps de stockage optimal pour chaque famille de produits – voire chaque produit – selon les types d’officines, celle du taux de service de la pharmacie (disponibilité des produits, taux de reconversion vers un autre produit, taux de non-achats, taux de perte de clientèle). Autant de données qui permettront à terme une rationalisation plus importante du stock.

De plus, la question du surstockage doit se placer dans une problématique globale d’entreprise. Il importe par exemple d’y intégrer la mobilisation du personnel en front-office dans des tâches de back-office à faible valeur ajoutée (20 % de temps du personnel diplômé en officine), la sous-exploitation notoire de l’outil informatique de gestion des stocks liée au manque de sensibilisation et de formation à la logistique (mauvaise utilisation des alarmes, des filtres, des comparateurs, manque de finesse dans le paramétrage…) et la multiplicité des intervenants qui paramètrent l’outil. D’où le choix de certains pharmaciens de déléguer la logistique à des consultants moyennant finances (5 000 Û), et ce pour un assainissement immédiat et dont le coût est amorti rapidement.

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Attention au piège de la remise !

Philippe Levy constate que la phase d’automatisation – lorsqu’elle a lieu – est l’un des principaux révélateurs des dysfonctionnements dans la gestion des stocks. « Il faut s’interroger sur les produits stockés au-delà de 6 mois. La présence dormante du produit dans l’officine doit être étroitement liée à son délai de paiement. Un produit payé à 60 jours doit être vendu dans les 75 jours suivant son stockage. Un produit payé à 90 jours doit être vendu dans les 105 jours. Il faut sortir de l’effet pervers lié à l’achat de la remise ! On estime qu’au bout d’un mois un produit stocké a déjà coûté au pharmacien 2,5 à 3 % de sa valeur d’achat. Concrètement : un titulaire qui obtient 10 % de remise s’autorise simplement à majorer son temps de stockage de 3 mois. L’immobilisation du produit annule au fil du temps l’effet positif de la remise. »

Lors de l’étude des stocks avant automatisation, Philippe Anglade, directeur de Tecnilab France, détecte, dans une première approche, jusqu’à 4 à 5 % de produits à sortir du stock. Sur un stock moyen en officine de 300 000 Û, cela représente tout de même 15 000 Û ! Une étude plus approfondie et un paramétrage fin permettent d’agir sur 10 % du stock. « Inutile de préciser que cette récupération financière entre dans l’amortissement de la solution d’automatisation », signale le directeur de Tecnilab, dont le logiciel permet notamment de paramétrer boîte par boîte les produits sensibles et/ou chers et d’effectuer des inventaires tournants.

Pour Philippe Levy, il faut aussi sortir de la fausse équation « stock = service ». Il importe de déterminer les produits clés qui font revenir les clients à l’officine (produits de base et d’appel) et d’éliminer les produits qui ne sortent pas pendant plus de six mois. Ces produits n’entrent plus dans la notion de service à la clientèle. Mieux vaut alors mettre en place des procédures d’urgence : recours au grossiste, rétrocession ou portage. Ces produits sensibles représentent 10 à 15 % de la valeur du stock actuel des officines.

Toujours selon Philippe Levy, il faut sortir du cercle vicieux « plus j’ai stocké, plus je me lie à un laboratoire, plus j’en suis dépendant pour la reprise des invendus qui est liée et proportionnelle à la nouvelle commande ». Les laboratoires continuent à miser sur le fait que s’ils surstockent les pharmacies, ils poussent le « sell-out ». Sans oublier la structure des gammes qui ne va pas dans le sens d’une diminution du surstock : seuls 20 % des produits sont des « best-sellers », mais les laboratoires, en ouverture de compte, exigent un référencement complet, y compris des produits de niches (« nanars » inclus !) qui représentent jusqu’à 15 à 20 % de la gamme. « Il faudrait que la relation entre le laboratoire et le pharmacien se fasse sur la base d’un engagement de chiffre d’affaires à l’année, avec pour corollaire la livraison des produits qui tournent au fil de l’eau et pas sur le réassort ponctuel et les nouvelles commandes contre reprise des invendus », insiste Philippe Levy.

Rationaliser le stock par l’informatique

La gestion du surstock est également l’une des préoccupations premières des SSII aujourd’hui. Sophie Conrad, responsable de la communication chez Pharmagest Interactive, rappelle que 90 % des pharmaciens équipés LGPI sont en gestion de stock contre 65 % des pharmaciens en général, notamment pour des raisons liées à la facilité d’utilisation : générateurs d’états permettant d’éliminer très régulièrement le stock dormant depuis 6 à 12 mois, comparateurs de produits équivalents (doublons, triplons…) grâce aux codes Emphra et GPM, anticipation des commandes directes en cours lors des commandes automatiques aux grossistes… « Nous avons développé un partenariat avec IMS Health qui permet à nos clients de connaître la liste de tous les produits qui ne se vendent pas chez eux et sur leur zone de chalandise, ce qui permet une approche fine tenant compte de données de géomarketing. Le critère retenu par IMS Health : les produits qui se vendent à moins de 500 unités sur l’ensemble du réseau client (hors marques de niche à politique particulière). C’est un argument important lors des négociations avec les laboratoires », explique Sophie Conrad.

L’anticipation du surstock passe aussi par des astuces informatiques comme par exemple le filtre « premier achat » qui évite qu’une nouvelle molécule ou un nouveau produit n’entre immédiatement dans le système d’automatisation des commandes. Pharmagest propose également au pharmacien un service d’audit et d’aide au paramétrage et à l’optimisation du stock (Optistock) en fonction des historiques de vente et des cas particuliers comme les sorties de la réserve hospitalière (système de commande planifiée). Ce service permet l’identification d’un surstock qui peut se chiffrer dans certains cas en dizaines de milliers d’euros.

Périmés et commandes directes en ligne de mire

Winpharma a également focalisé ses dernières recherches sur le sujet. L’objectif affiché : récupérer les marges perdues suite à la baisse des prix, des remises et des déremboursements, sans augmenter le stock ni augmenter les manquants. Le surstock se gérant bien entendu au niveau des achats, il s’agit pour l’outil informatique de trouver la répartition optimale des achats entre grossiste, short-liner et laboratoires en direct.

Winpharma a donc proposé un simulateur de stock qui permet, au bout d’une semaine de calcul sur l’ordinateur, de donner au pharmacien les paramètres optimaux selon le niveau de stock et de manquants souhaité et la prévision précise de marge supplémentaire à gagner. Plusieurs pharmacies ont mis en place ce concept dans des contextes différents (grossistes, short-liners, plates-formes de groupements). Ils ont pu augmenter leur marge dans des proportions allant de 300 à 900 Û par mois. Gildas Le Roux est l’un des pharmaciens qui ont présidé à l’élaboration de cette fonction informatique. Il précise cependant que la détermination des principaux paramètres relève de chaque pharmacien : en ce qui le concerne, il retire tous les mois les produits stockés depuis plus de 12 mois car son grossiste ne reprend que les produits ayant une date de péremption supérieure à 9 mois. Seul problème : les produits livrés par le grossiste avec une date de péremption de moins de 9 mois, donc jamais repris et qui n’auraient même pas dû être livrés. « Nous seront fortement aidés lorsque les dates de péremption figureront systématiquement dans les codes EAN », espère Gildas Le Roux.

Ce pharmacien précise que son stock (330 000 Û) représente 7,2 % de son CA (pour une moyenne française de 8 à 10 %), dont 3 000 Û de marge brute de périmés. Un ratio jugé très correct par son comptable : « Or 3 000 Û de marge, c’est 30 000 Û de chiffre d’affaires. Le pharmacien perd ainsi de 1,5 à 2 % de sa marge tous les ans. Je ne parle même pas du coût de visite des représentants qui entre aussi dans le coût du stock. Chaque été, je suspends les commandes directes pour éviter de remplacer le personnel en vacances : nous assumons à huit le travail assumé habituellement à douze ! Il faut donc aussi, pour bien gérer son stock, refuser de recevoir les laboratoires qui n’offrent pas 30 % de marge en parapharmacie et 40 % en médication familiale. »

Depuis que logiciel Winpharma gère les invendus et le surstockage, un tableau de bord des commandes directes a été mis en place qui permet au pharmacien de savoir instantanément où il en est de ses commandes avec les laboratoires (montant et composition de la commande en temps réel en fonction des dernières conditions obtenues, des délais de paiement, du franco), avec des indices de prise de décision et la possibilité de différer la visite du commercial.

Au titulaire donc de demander des formations et une assistance à sa SSII, voire des développements, de faire éventuellement appel à un consultant, de se renseigner auprès de son grossiste et de rationaliser ses relations avec les représentants pour restaurer sa marge. Il en va de son économie !

* Logistique étendue incluant la gestion de l’ensemble de flux, du consommateur au fournisseur du fournisseur.