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Plus rien n’arrêtera l’OTC
Roselyne Bachelot vient de se déclarer favorable au passage du médicament familial « over the counter », dans un contexte de « restructuration » de la pharmacie. La ministre, qui remet à l’ordre du jour un dossier controversé au sein de la profession, paraît bien décidée.
Les attentes des patients, qui sont aussi des consommateurs, ont évolué. Ils sont de mieux en mieux informés et sont désireux de pouvoir prendre en charge leurs inconforts passagers sans avoir à consulter un médecin. […] Je serais donc favorable à la mise à disposition devant le comptoir de médicaments non remboursables. » Même si Roselyne Bachelot a employé le conditionnel, quand un membre du gouvernement s’exprime en ces termes, l’issue ne fait guère de doute. Il s’agit alors d’une question de timing.
Alors, inéluctable l’OTC ? « J’ai surtout retenu que la ministre remettait le dossier sur le haut de la pile. Nous serons donc amenés à discuter des conditions de mise devant le comptoir des produits OTC », commente prudemment Pierre Leportier, président de la FSPF, qui semble souhaiter ici « donner du temps au temps ». « Surtout, ces déclarations ne tiennent pas compte du rapport Coulomb », relève Jean-Luc Audhoui, trésorier de l’Ordre.
L’institution va donc rappeler au ministère que le groupe de travail sur l’automédication, où ne régnait pas une franche convergence de vues, avait prévu comme préalables une étude de la Haute Autorité de santé, une clarification de l’offre remboursable/non-remboursable, ainsi qu’une définition des types de produits que l’on pourrait éventuellement placer devant le comptoir. « Or, on n’a plus entendu parler de tout cela », s’étonne Jean-Luc Audhoui. Claude Japhet, président de l’UNPF, a son propre décryptage de l’allocution « Le signal, c’est adaptez-vous, changez vos mentalités, sinon nous avons toutes les structures pour que l’on trouve ailleurs ce que vous ne voulez pas faire chez vous. »
Autre prérequis à un plan de développement de l’automédication : un accord de modération sur les prix avec les industriels. Du moins était-ce un préalable voulu par Xavier Bertrand, prédécesseur de Roselyne Bachelot. Les industriels semblent pourtant réticents. Pour certains, il s’agit même d’un faux débat, à l’origine d’une perte de temps dans l’avancée du dossier. Gilles Bonnefond, secrétaire général de l’USPO, n’est pas d’accord : « Les industriels doivent baisser leur prix, c’est le pendant indispensable de cette évolution. »
Chiffres en demi-teinte
« Le libre accès de l’OTC est une chance pour la pharmacie, assène Eric Maillard, président de l’AFIPA. Aujourd’hui, les chiffres montrent qu’il y a encore du chemin à faire. » « On entend toujours que la France est loin derrière les autres en matière d’automédication. Elle est en fait cinquième en Europe (à 27,61 Euro(s)/an/personne), juste derrière l’Allemagne (60,51 Euro(s)) et la Pologne (30,86 Euro(s)). Mais on oublie que le Français est le premier consommateur de remboursable (682 Euro(s)/an, comparé à 153 Euro(s)/an en Pologne), rétorque Jean-Luc Audhoui. Alors, effectivement, les Français pourraient prendre en charge eux-mêmes leurs petits bobos. Mais faut-il que les malades consomment plus de médicaments pour accroître le PIB ? Il faudrait surtout qu’ils consomment autrement. On a affaire là non pas à un projet de santé publique, mais à un choix marketing. » Une opinion finalement pas si éloignée de celle de Gilles Bonnefond, qui dit « oui à un espace conseil permettant une meilleure accessibilité sous contrôle du pharmacien et une visibilité améliorée sur les prix. Mais cette zone ne doit pas virer à un espace de consommation où il faudra contourner des pyramides d’antitussifs ! ».
Une annonce attendue
« Je ne suis pas étonné. Il suffisait d’écouter les ministres et la DGCCRF il y a 6 mois pour comprendre que cela arriverait », lance pour sa part Lucien Bennatan, président de PHR, qui s’était fait violemment rappeler à l’ordre au sein de la profession pour avoir voulu lancer des expérimentations d’accès direct dans la foulée du rapport Coulomb, qui évoquait la possibilité de tels essais. Pour Pierre Leportier, cependant, « on ne peut pas préjuger de l’issue des futures négociations ». D’autant que tout le monde n’est pas d’accord, même côté industriels. Avant les déclarations de la ministre, il se murmurait que deux laboratoires français menaçaient de démissionner de l’AFIPA pour divergence d’opinions. Reviendront-ils sur leur décision ?
Roselyne Bachelot veut du conseil…
C’est dans ce contexte que PHR relance à partir de cette semaine une expérimentation, dans une cinquantaine d’officines, de mise en accès libre de produits sans AMM, tels que la nouvelle gamme Humex Reflex qui surfe très clairement sur les nouvelles tendances de l’automédication. Ces références seront présentées dans des meubles qui avaient été conçus pour les expérimentations, comprenant le slogan « Je peux me servir, mon pharmacien me conseille ». PHR pourrait étendre rapidement son opération à ses 1 600 adhérents. « Ce sera un bon entraînement en vue du moment où des produits avec AMM seront concernés », lance encore Lucien Bennatan. Reste une sérieuse interrogation sur les produits concernés. La sélection est l’un des enjeux de l’automédication. « Il faut faire le nettoyage pour que le pharmacien ait des produits à la fois sûrs et efficaces à sa disposition. Or on n’a toujours rien clarifié en ce domaine », regrette Jean-Luc Audhoui, qui s’interroge justement sur le statut de produits comme Humex Reflex, sans AMM mais avec allégations thérapeutique.
Le conseil est le fond du problème. Effectivement, « qu’on les appelle médicaments d’automédication ou de médication familiale, l’essentiel est que cette forme de médication puisse être accompagnée d’un conseil pharmaceutique avisé », a encore commenté Roselyne Bachelot. Le discours ne dit pas si ce conseil pharmaceutique doit forcément trouver sa place dans une pharmacie…
Peut-on craindre que l’OTC ne soit que le prélude à la sortie de certains médicaments du monopole ? Si aucune valeur ajoutée n’est apportée par la profession dans ce cadre, indéniablement oui. « Bien que très informés, les patients n’ont pas forcément les repères, d’où un risque de dérive complète. Le pharmacien doit redevenir ce repère », martèle Claude Japhet. Pas d’inquiétude pour Eric Maillard de ce côté. « Il faut renforcer cette idée que l’officine est un centre d’excellence pour les soins au quotidien. Cela contribuera à en faire la première étape du parcours de soins », distille-t-il avec un optimisme de bon aloi.
Un peu plus loin dans son propos, la ministre réaffirmait son « accord » sur le principe du monopole… Pas par principe, justement, mais « parce qu’il permet de mieux garantir, pour le plus grand bénéfice des patients, un service de qualité, compétent et responsable ». La qualité, il faudra plus que jamais la justifier à l’avenir…
… et plus de concurrence
« Nous devons être meilleurs pour être irremplaçables, estime Lucien Bennatan. Développons notre service, c’est ça qui nous sauvera. Nous avons pour cela la proximité, la connaissance des clients, des produits, des fournisseurs, pour être meilleurs que ceux qui voudront venir sur notre marché. Bien sûr, cela demande un petit effort… »
Pour la ministre, l’accès libre « permettrait une plus grande transparence, un exercice de la concurrence plus performant et une information mieux structurée concernant le bon usage des médicaments ». Davantage de concurrence grâce à l’OTC ? L’argument ne convainc pas tout le monde. « Réglons d’abord les problèmes de lisibilité des prix pour le patient. Ensuite le problème de la mise à disposition se posera tout autrement car je ne vois guère en quoi la mise devant le comptoir réglera les problèmes de concurrence », estime Pierre Leportier.
« Restructurations »
La ministre a évoqué l’OTC dans un cadre plus global : « Réinventer la pharmacie de demain en opérant les restructurations nécessaires. » Restructuration, le mot tabou est lâché. « Nous agissons pour le progrès non pour la conservation d’un héritage. La bonne stratégie n’est pas défensive mais résolument offensive. Une politique ambitieuse nécessite de regarder la réalité en face », a-t-elle déclaré.
« Il faut réorganiser le réseau qui ne répond plus aux exigences de demain », admet Claude Japhet.
« Nous n’avons jamais été défavorables à l’idée d’évoluer, réagit Pierre Leportier. Nous serons porteurs de tout ce qui peut apporter de la croissance à l’officine mais cela doit se faire dans le bon sens. » Gilles Bonnefond ajoute qu’« il faut favoriser les regroupements, les transferts à partir des zones à trop fortes densités ». Mais il fait aussi remarquer que « les garanties liées au gel des licences pendant 10 ans en cas de regroupement ne sont pas suffisantes. Il faut cumuler les licences et des incitations financières ». Claude Japhet demande par ailleurs un réamendement du projet sur les SEL « en s’intéressant aux SELAS. Laisser à un non-exploitant la possibilité d’avoir la majorité du capital, mais en réservant la participation aux officinaux seuls. Des capitaux autres, cela n’a pas de sens pour l’instant ». Pour l’instant ?
« Libre accès responsable » : bilan mitigé de Pharmodel
Les officinaux de Pharmodel ont été les premiers à tenter une action de libre accès, dès le mois de mars. Il s’agissait de mettre à disposition des boîtes vides pour le sevrage tabagique afin de favoriser ensuite le dialogue pharmacien-patient au comptoir. « Nous avons mis en place dans la foulée une formule reconduisant le concept pour des produits de saison (cétirizine, Synthol) », explique Florian Chevalier, directeur des opérations du groupement.
Bilan de l’opération ? « Un réel impact sur les ventes », peut-on lire dans une analyse réalisée par le groupement. « Au niveau qualitatif, c’était pas mal. Mais au niveau quantitatif, le CA n’a pas vraiment décollé », analyse cependant Florian Chevalier. Le groupement pensait que l’impact serait plus net sur les produits de saison que sur le sevrage tabagique. Résultat : + 21 % par exemple sur le Synthol liquide (soit 6 boîtes de plus par mois), + 19 % sur Humex Rhinite allergique (+ 5 boîtes), + 13 % sur Humex Rhume des foins (+ 4 boîtes). Mais la hausse est en fait surtout notable sur juillet, qui a été particulièrement bon par ailleurs.
« Compte tenu du fait que cette démarche nécessite un vrai investissement pour obtenir de nombreux boîtages vides et créer le matériel d’information, l’opération, pour dégager une forte marge, nécessite d’être « industrialisée » pour réaliser des économies d’échelle », analyse le groupement. « Dans l’immédiat, nous laissons tomber. Nous verrons comment les choses évoluent », informe Florian Chevalier.
En substance, une véritable mise à disposition de produits « over the counter », et pas seulement de leurs conditionnements, intéresserait le groupement.
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