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La gestion du DPC s’avère chaotique

Publié le 2 juin 2014
Par Annabelle Alix
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Le développement professionnel continu (DPC) a démarré sur les chapeaux de roues, mais le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) pointe de nombreux dysfonctionnements de l’organisme en charge de sa gestion. Des ajustements s’avèrent nécessaires.

Le développement professionnel continu (DPC) connaît un franc succès. Le nombre de professionnels formés en 2013 a dépassé les prévisions, et les organismes agréés sont déjà nombreux. Mais le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) d’avril 2014(1) pointe de multiples dysfonctionnements du dispositif : budget outrepassé, formations non conformes, retard pour l’indemnisation des professionnels, absence de sanctions en cas de non respect…

Pour Philippe Denry, vice-président de la commission scientifique indépendante des pharmaciens chargée d’évaluer les organismes de formation dédiés, ces dysfonctionnements sont les « erreurs de jeunesse » de l’organisme de gestion du DPC (OGDPC), créé rapidement, « sous la pression politique ». « Certaines mesures ont d’ailleurs été prises depuis la publication du rapport, ajoute-t-il. Pour le reste, les deux premiers scénarios proposés dans les conclusions de l’Igas donnent les pistes » (voir encadré p. 9).

Le DPC vise l’amélioration des pratiques des professionnels, via leur engagement dans une démarche de formation cohérente et continue. Il mêle approfondissement des connaissances et analyse des pratiques selon les critères définis par la Haute autorité de santé (voir Le DPC, qu’est-ce que c’est ?). D’après Philippe Denry, « les mentalités muent en ce sens à l’officine. Les professionnels échangent davantage et s’interrogent de plus en plus sur leurs ordonnances en utilisant les outils développés par les organismes de DPC. » En revanche, pour les préparateurs interrogés par Porphyre, l’information semble avoir du mal à passer. Ils se forment, mais la plupart n’ont jamais entendu parler du DPC…

Formations non conformes ?

Tout l’intérêt du DPC consiste à proposer aux professionnels des formations validées. D’où l’importance de les évaluer (voir Le DPC, kezaco ?). D’après l’Igas, la majorité de ces organismes, « enregistrés administrativement auprès de l’OGDPC mais non évalués, auraient délivré des formations ne valant pas DPC », tout en « bénéficiant des financements publics dans la légalité ». L’Inspection pointe le risque de voir des organismes en lien avec l’industrie et aux objectifs purement mercantiles pénétrer le dispositif. « Le ministère a publié un arrêté autorisant les suppléants à participer à la CSI pour, à terme, jauger les organismes. Par ailleurs, l’évaluation des organismes inscrits a atteint son rythme de croisière », explique Philippe Denry, confiant. Quant aux programmes, « nous prévoyons de les faire examiner par des personnes qui y assisteront de manière anonyme, pour vérifier leur conformité aux critères de durée, de qualité des intervenants, de contenu, etc. »

Ajuster le budget

Autre grief, l’explosion du budget. Les 12 000 pharmaciens formés en 2013 au lieu des 7 000 initialement prévus en sont l’exemple. « 12 millions d’euros ont été dépensés pour la formation des pharmaciens au lieu des 10 millions prévus », confie Philippe Denry. Du côté d’Actalians, qui finance le DPC des salariés de l’officine, « 23 ou 24 millions ont été dépensés au lieu des 20 prévus, alors que ce budget est habituellement à l’équilibre ». C’est un fait, le volume des salariés d’officine envoyés en formation est en hausse. Stéphanie, préparatrice en Isère, en témoigne : « L’an dernier, les pharmaciens se sont formés, mais cette année, le titulaire nous a demandé de nous y mettre. Nous avons suivi une formation sur l’asthme sur Internet, dispensée par un organisme agréé. Par la suite, nous avons rempli les dossiers thérapeutiques des clients concernés avant de mettre en place les entretiens ». Une démarche agréée 100 % DPC ! L’OGDPC a augmenté le budget formation des pharmaciens à 15 millions pour 2014, mais l’élasticité des finances a ses limites. L’Igas propose donc de passer à une obligation triennale au lieu de l’obligation annuelle, « pour passer d’un budget de 600 à 200 millions d’euros par an », complète Philippe Denry.

Des freins à corriger

Malgré le succès du DPC, nombre de préparateurs ignorent jusqu’à la signification du sigle. Et pour cause, les titulaires sont responsables du DPC de leurs préparateurs, mais aucune sanction n’est prévue pour les contrevenants. Cette incohérence a été soulevée par l’Igas, qui propose de mettre en place des mesures incitatives. Philippe Denry évoque l’idée de « primes majorées en fin d’année » pour les bons élèves. Également pointé, le retard d’indemnisation des professionnels formés qui pourrait aussi freiner leur démarche. « Les organismes attendent souvent d’être payés pour envoyer aux professionnels les attestations nécessaires à leur indemnisation », explique Philippe Denry, ajoutant toutefois que « les délais tendent à se raccourcir. » Mais « le professionnel doit retenir que le programme de DPC ne s’achève pas à la fin de la période de formation en présentiel, mais à l’issue du suivi ».

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Pour l’heure, les quatre scénarios de solutions envisagés par l’Igas sont dans les mains du ministère de la Santé.

(1) Contrôle de l’organisme gestionnaire du développement professionnel continu et évaluation du développement professionnel continu des professionnels de santé, Igas, avril 2014.

Chiffres clés

72 129 professionnels de santé se sont formés via le DPC en 2013, dont 21 % sont des pharmaciens.

82 % des pharmaciens se sont inscrits sur le site www.mondpc.fr.

> Les pharmaciens ont suivi chacun deux programmes de DPC en 2013.

Comment s’inscrire à un programme ?

Un préparateur qui souhaite participer à un programme de DPC doit :

> consulter la liste des programmes sur https://www.mondpc.fr/ogdpc/programmes ;

> se rapprocher de son employeur, d’Actalians pour la prise en charge et de l’organisme dispensant le programme.

Les 4 scénarios de l’Igas pour l’avenir du DPC

Scénario 1 : améliorer le dispositif actuel en augmentant les budgets, passer à une obligation de DPC triennale, simplifier les procédures et instaurer au plus vite un contrôle a posteriori des programmes de DPC.

Scénario 2 (préconisé) : l’OGDPC pilote le dispositif, mais la gestion est déléguée aux OPCA (Actalians pour l’officine). Il répartit l’enveloppe annuelle, réalise les programmes pluriprofessionnels, évalue les organismes et leurs programmes et informe les professionnels.

Scénario 3 : recentrer le DPC sur les connaissances critiques. L’État finance le socle de formations minimales relevant de la santé. Les réorientations ou le développement des carrières relèvent en revanche du droit commun. L’évaluation du besoin en formation est individualisée.

Scénario 4 : le DPC est supprimé, retour au droit commun de la formation.

Le DPC, qu’est-ce que c’est ?

Définition.

En vigueur au 1er janvier 2012, effectif un an plus tard, le développement professionnel continu (DPC) est obligatoire pour les professionnels de santé (médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, paramédicaux), y compris pour les préparateurs en CDI ou en CDD. Chaque professionnel doit valider un programme de DPC par année civile, qui s’ajoute au droit individuel à la formation (DIF). L’objectif est d’améliorer ses compétences en analysant sa pratique et en définissant les points à perfectionner. L’employeur fixe l’orientation du plan de formation en fonction des besoins de l’entreprise.

Organisation.

L’organisme gestionnaire du DPC (OGDPC), constitué de représentants de l’État, de l’Assurance maladie et de professionnels, enregistre les organismes de DPC, répartit les enveloppes budgétaires et organise l’information. Les commissions scientifiques indépendantes (CSI) formulent un avis sur les orientations nationales du DPC et évaluent les organismes de DPC sur la base d’un dossier contenant notamment un programme « vitrine ». Les préparateurs dépendent de la commission scientifique du Haut conseil des professions paramédicales (HCPP) ; les pharmaciens d’une commission scientifique indépendante.

Contenu des programmes.

Un programme de DPC associe acquisition/perfectionnement de connaissances/compétences (formation présentielle en colloque, formation e-learning, formation universitaire, etc.) et analyse des pratiques professionnelles (suivi d’indicateurs, réunions de concertations pluriprofessionnelles, etc.). L’organisme de DPC doit être indépendant de l’industrie. Il dépasse le cadre des formations « classiques ». Les méthodes utilisées lors du DPC doivent être validées par la Haute autorité de santé (HAS). L’OGDPC est chargé d’estimer les programmes en aval, mais aucun dispositif d’évaluation n’est encore mis en place actuellement.

Prise en charge.

L’OGDPC finance le DPC de libéraux (pharmaciens titulaires, etc.). Le DPC des préparateurs est pris en charge par Actalians sous la forme de forfaits.

Contrôle.

Le titulaire doit s’assurer du respect de l’obligation de DPC par ses préparateurs. L’Ordre s’assure tous les cinq ans du respect de cette obligation des pharmaciens, via le recueil d’attestations de participation. L’absence de DPC est susceptible de constituer une insuffisance professionnelle, mais aucun décret ne prévoit la définition de cette insuffisance, qui diffère actuellement selon les professions.