Recherche et innovation Réservé aux abonnés

Les cytotoxiques

Publié le 5 juillet 2014
Par Denis Richard
Mettre en favori

Constituant l’arme essentielle du traitement pharmacologique des cancers, les cytotoxiques composent une famille diversifiée mais souvent mal connue.

→ Les cytotoxiques sont indiqués dans le traitement des tumeurs solides ou sanguines (leucémies), comme le sont les immunomodulateurs, les inhibiteurs des tyrosine-kinases et des médicaments d’autres familles thérapeutiques (hormonothérapie, inhibiteurs de l’angiogenèse, etc.), non évoqués ici.

→ Induisant une mort directe des cellules par apoptose, les cytotoxiques ciblent l’ADN, l’ARN ou des protéines indispensables à la division cellulaire. Leur action sur les cellules saines en voie de division explique leur mauvaise tolérance générale.

→ Certains sont efficaces sur toute cellule en voie de division, quel que soit soit le stade de la division en cours ; d’autres le sont seulement pendant une certaine phase du cycle de division.

→ Egalement appelés « antimitotiques » ou « cytostatiques », ils s’administrent selon des protocoles complexes liés à la nature de la tumeur et à son stade d’évolution, et s’associent souvent, de façon séquentielle, à plusieurs médicaments.

→ Leur toxicité et la spécificité de leur reconstitution et de leur administration expliquent que leur prescription soit généralement réservée aux oncologistes, et qu’ils soient parfois réservés à l’usage hospitalier (RH).

Antimétabolites

Antifoliques. L’acide folique (vitamine B9) est indispensable à la production d’ADN et d’ARN : il est utilisé en quantité massive par les cellules cancéreuses. Les antifoliques inhibent diverses enzymes catalysant sa transformation en acide tétrahydrofolique, cofacteur indispensable à la synthèse des bases puriques et pyrimidiques. Cette famille comprend : le méthotrexate (Méthotrexate, Ledertrexate), le 5-fluorouracile (5-FU) et sa pro-drogue administrée par voie orale, la capécitabine (Xéloda). Le pémétrexed (Alimta) bloque plusieurs enzymes.

Publicité

Antipyrimidiques. Ces analogues structuraux des bases pyrimidiques s’incorporent dans l’ADN et/ou l’ARN à leur place et inhibent les enzymes impliquées dans la synthèse de l’ADN. Cette classe comprend le 5-fluorouracile (5-FU, également antifolique), la cytarabine (RH : Aracytine, Cytarabine, Dépocyte), la gemcitabine (Gemzar) et l’azacitidine (Vidaza).

Antipuriques. Voisins des précédents, ils perturbent la synthèse de la guanine et de l’adénine, et sont indiqués essentiellement dans les leucémies : mercaptopurine (Purinéthol), thioguanine (Lanvis), fludarabine (Fludara), cladribine (Leustatine), clofarabine (RH : Evoltra), nélarabine (RH : Atriance), pentostatine (Nipent), un ?inhibiteur de l’adénosine-désaminase.

Médicaments ciblant l’ADN

Agents alkylants. Très réactifs chimiquement, ces médicaments substituent un groupe alkyle à un hydrogène sur l’ADN, ce qui empêche sa réplication et sa transcription. Ils incluent :

– les dérivés du platine : cisplatine, carboplatine, oxaliplatine (Eloxatine).

– les moutardes à l’azote : melphalan (Alkéran), chlorméthine (Caryolysine), chlorambucil (Chloraminophène), cyclophosphamide (Endoxan) et ifosfamide (Holoxan), estramustine (Estracyt).

– les nitrosourées : busulfan (Busilvex : RH, Myleran), pipobroman (Vercyte), lomustine (Belustine), carmustine (Gliadel : RH, Bicnu), fotémustine (Muphoran), streptozotocine (Zanosar), dacarbazine (Déticène), procarbazine (Natulan).

Agents intercalants. Ils bloquent la transcription en s’intercalant entre les deux brins de l’ADN. Ils forment la famille des anthracyclines : doxorubicine (Adriblastine), idarubicine (Zavedos), daunorubicine (Cérubidine, Daunoxome), épirubicine (Farmorubicine).

Agents scindants. Antibiotique cytotoxique, la bléomycine sectionne la chaîne d’ADN.

Inhibiteurs des topo-isomérases. Ils inhibent les enzymes qui, en coupant les brins d’ADN, permettent la mitose : l’irinotécan (Campto) et le topotécan (Hycamtin) bloquent ainsi la synthèse d’ADN dans toutes les cellules en division rapide. L’étoposide (Celltop, Etopophos) est un alcaloïde dérivé de la podophyllotoxine végétale.

Poisons du fuseau

Ces cytotoxiques inhibent la constitution du fuseau indispensable à la mitose cellulaire.

→ Les alcaloïdes de la pervenche (Vinca rosea) déstabilisent la tubuline : vinblastine (Velbé), vindésine (Eldisine), vinorelbine (Navelbine), vincristine (Oncovin).

→ Les alcaloïdes de l’if (ou taxanes) : paclitaxel (Abraxane, Taxol) et docétaxel (Taxotère) figent le réseau de tubules.

Inhibiteurs de protéines

→ La L-asparaginase (Kidrolase) hydrolyse l’asparagine plasmatique, et en prive ainsi les cellules leucémiques incapables de synthétiser de nouveau cet acide aminé.

→ Le bortézomib (Velcade), un inhibiteur sélectif d’une structure enzymatique (le protéasome), catalysant la dégradation de protéines indispensables au cycle cellulaire, est indiqué dans le traitement du myélome multiple.

Quelle iatrogénie ?

L’index thérapeutique des cytotoxiques est étroit : ils agissent sur les cellules saines, et ce d’autant plus qu’elles ont une multiplication rapide (muqueuse, sang), comme sur les cellules cancéreuses.

Ndlr : Les medicaments génériques ne sont pas évoqués.

Sources : Monassier L. (2012), Les anticancéreux, enseignement en ligne de pharmacologie, Université de Strasbourg ; Rudek M.A. et al. (2014), Handbook of anticancer pharmacokinetics and pharmacodynamics, Springer-Verlag NY.

TOXICITÉ CHRONIQUE

• Toxicité hématologique. Les agents alkylants peuvent induire des leucémies iatrogènes.

• Toxicité cardiaque. Oxydées dans les mitochondries, les anthracyclines libèrent in situ de nombreux radicaux libres (participant à leur action anticancéreuse), expliquant leur cardiotoxicité : troubles du rythme, allongement de l’espace QT, mais surtout insuffisance cardiaque sévère observée plusieurs années après la fin du traitement.

• Reprotoxicité. Les cytotoxiques altèrent la gamètogenèse.