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Les pros de l’interpro
Informatisation commune, dossiers médicaux partagés, télémédecine, échanges permanents entre professionnels de santé… Dans le Pays Combraille en Marche, dans la Creuse, pharmaciens, médecins et infirmiers inventent la médecine rurale de demain.
Depuis le printemps dernier, les dossiers médicaux partagés de patients sont consultés sur son ordinateur par Josette Martin, pharmacienne à Boussac, dans la Creuse. Cette officinale fait partie de la première vague de professionnels de santé à pouvoir échanger entre eux par informatique dans le cadre de Combraille Réseau Santé (CRS). Ce réseau fédère 45 professionnels (médecins généralistes et spécialistes, infirmiers, pharmaciens…) sur un territoire de 1 573 kilomètres carrés, constitué de 76 communes et comptant près de 27 500 habitants. Soit une densité de 17,5 habitants par kilomètre carré.
Lancé il y a plusieurs années, ce projet porte enfin ses premiers fruits. « Tout a commencé avec les élections municipales de 2008, explique Jean-Marie Fouquet, également pharmacien à Boussac. Dans la nouvelle équipe élue se trouvent un médecin, une infirmière et deux pharmaciens. Tous ont conscience qu’il faut travailler sur le sujet de la santé tant qu’il y a encore assez de praticiens… » L’objectif est triple : améliorer les conditions d’exercice des professionnels installés, attirer de nouveaux médecins et améliorer, ou tout au moins maintenir, une offre de soins de qualité. Si, à l’époque, le concept de maison de santé existe déjà, les exemples sont encore rares. Pour donner corps à son projet, l’équipe des nouveaux élus crée une association regroupant un maximum de professionnels du bassin de vie de Boussac. Succès immédiat. Tous, absolument tous, qu’ils soient médecins, infirmiers ou pharmaciens, y adhèrent. Le projet de maison de santé et son financement deviennent alors intercommunaux. « Si l’association pour la maison de santé puis le réseau CRS ont immédiatement fédéré, c’est parce que cela vient des professionnels eux-mêmes, pas des élus », estime Hervé Noïnsky, médecin généraliste à Boussac depuis 25 ans et président du CRS. Et lorsque ces professionnels sont aussi des élus…
Conseiller municipal, conseiller communautaire, Jean-Marie Fouquet est aussi membre du Pays Combraille en Marche dont la présidente, Valérie Simonet, est infirmière libérale. L’idée est de dupliquer le principe de collaboration interprofessionnelle mise en place à Boussac. Et d’obtenir, pour y parvenir, des financements en devenant pôle d’excellence rurale (PER). En 2012, une nouvelle association, Combraille Réseau Santé, est ainsi créée, le label PER et les financements (385 500 euros) qui lui sont associés sont obtenus, permettant de recruter un animatrice-coordinatrice pour le réseau et offrant une enveloppe conséquente pour les deux axes retenus : la création de maisons de santé et la mise en réseau informatique.
Pour mieux définir le cadre et la mise en place du réseau, une étude est menée par un cabinet de conseil spécialisé, Diotima. « Quatre secteurs géographiques ont ainsi été définis, avec chacun ses spécificités et ses objectifs », explique Hélène Peintre, l’animatrice-coordinatrice du CRS, qui précise que 8 des 15 officines du territoire adhèrent au réseau. Le secteur de Boussac est le plus avancé avec les 17 professionnels de la première vague d’informatisation et la maison de santé opérationnelle depuis septembre 2013. La zone ouest, pour sa part, dispose déjà d’une maison de santé. Mais il s’agit plutôt d’une juxtaposition de cabinets médicaux sans projet de soin, avec seulement 2 des 4 officines, les plus éloignées, impliquées dans le CRS. Les deux autres zones viennent d’achever les dossiers préparatoires (plans, terrains, financements) de leurs maisons de santé respectives, et tous les pharmaciens sont impliqués.
Parmi eux Joël Souchal, à Chambon-sur-Voueize, devenu le référent télémédecine du CRS. Il a notamment contribué à ce que l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de Chambon s’équipe, avec l’appui de fonds européens, d’un chariot de télémédecine. Les examens pratiqués sur place sont interprétés à distance par des spécialistes (voir Le Moniteur n° 3036). « Cela ouvre des perspectives d’autant plus intéressantes que les maisons de santé du CRS seront accolées à des EHPAD. Les chariots serviront donc aussi à la population ! » En effet, outre les libéraux et les collectivités locales, le réseau intègre des structures sanitaires et médico-sociales. Ce qui rend possible la mutualisation d’équipements, la création de passerelles et une meilleure transmission des informations. « Pour les sorties d’hôpital, par exemple », souligne Josette Martin. « C’est bénéfique que l’informatisation du réseau s’effectue avant l’ouverture des maisons de santé. Ainsi, même les officines qui en sont éloignées peuvent commencer à créer des dossiers… », estime Joël Souchal. L’officinal se fait iconoclaste : « Les maisons de santé, c’est déjà dépassé ! Il en faut mais, pour attirer de jeunes médecins, il faut aussi leur proposer un réseau d’accompagnement professionnel et un ensemble d’infrastructures pour la vie privée avec cinéma, piscine, halte-garderie… Tout cela, nous l’avons ici. Et sans les inconvénients des grands centres urbains. »
Jean-Marie Fouquet, lui aussi, extrapole. Quitte à choquer : « Imaginons que les 15 officines du réseau travaillent avec le même laboratoire de génériques. Les patients auraient toujours le même conditionnement. Et nous aurions un réel poids économique pour négocier les prix, obtenir des avantages tels que des formations, des financements pour le réseau… »
Les médecins du réseau se disent prêts à déléguer
Pour l’heure, Josette Martin, la pharmacienne de Boussac, en revient à la création des dossiers médicaux partagés (DMP) : « C’est une nouvelle façon de travailler. Nous avons toujours eu de nombreux échanges avec les différents professionnels mais, désormais, nous serons en contact quotidien. » Afin d’être certaine que la confidentialité soit préservée, Josette Martin a installé le logiciel (Chorus) sur l’ordinateur du bureau, uniquement accessible à elle-même et à ses deux adjointes. Frédéric Torret, l’associé de Jean-Marie Fouquet, doit lui aussi en équiper son officine.… avant juillet 2015, date limite de la subvention accordée pour cet équipement, soit près de la moitié des 3 200 euros nécessaires. Il va lui aussi limiter l’accès aux DMP : « La confidentialité est essentielle ! » Que l’autre pharmacie de Boussac en soit équipée avant lui ne lui pose pas de problème. « Nous ne sommes pas dans une logique de concurrence, nous sommes dans le même bateau. »
Joël Souchal et Jean-Marie Fouquet acquiescent. Avec jusqu’à deux réunions tardives par semaine pendant plusieurs années, la naissance du CRS a été chronophage. « Les pharmaciens sont sans doute les professionnels qui se sont le plus impliqués dans le réseau, mais notre place est difficile à trouver. Il y a eu au début des difficultés de compréhension entre les différents professionnels. Puis cela a évolué. Il a fallu plusieurs années de rencontres et d’échanges pour comprendre que nous avions à travailler ensemble et autrement. » Joël Souchal poursuit : « Les médecins restent le premier maillon de la chaîne. Avec les infirmières, ils forment un binôme naturel. Nous, pharmaciens, nous devons sortir de notre boutique pour être actifs dans l’apport de soins ! Faute de quoi, à la moindre perte d’autonomie du patient, nous le perdons de vue. »
Le docteur Hervé Noïnsky approuve : « C’est maintenant que les pharmaciens vont pouvoir mieux trouver leur place. Les médecins du réseau sont prêts à déléguer : aide au suivi de traitement, information et éducation thérapeutique… C’est cela l’esprit du CRS, le travail en équipe ! »
Les dates clés
• 2008 Création de BVBS (Bassin de vie Boussac Santé) pour l’aménagement d’une maison médicale.
• 2010 : Naissance du projet de réseau à l’échelle du pays. Dépôt du dossier de pôle d’excellence rural.
• 2012 Obtention du label pôle d’excellence rural et des financements. Création officielle de Combraille Réseau Santé. Recrutement de l’animatrice du réseau.
• 2013 Choix du logiciel Chorus.
• 2014 Première vague d’informatisation, création des premiers dossiers médicaux (avril-mai). Ouverture de la maison de santé de Boussac (septembre).
L’AVIS DE L’ÉQUIPE
« Pour l’heure, nous ne sommes pas réellement informés de ce que le réseau va changer dans notre pratique quotidienne, explique Cécile Chézeau, préparatrice à la Pharmacie Fouquet-Torret. A priori, le dossier médical partagé est très intéressant puisque nous disposerons des informations nécessaires sur les pathologies, les prescriptions… Mais attention à la confidentialité ! » Un avis partagé par David Gibard, préparateur dans la même officine : « Avoir la même informatique pour tous les professionnels, c’est très positif. Et le réseau est indispensable. Quand on pense à la taille des secteurs de garde et aux kilomètres que doivent parcourir les médecins… »
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