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DÉFIER LE TEMPS
Matériaux, design, fonctionnalité… A l’ère de l’obsolescence programmée et face aux incertitudes qui planent sur l’exercice de la pharmacie, peut-on encore penser « durable » en matière d’agencement ? Et quelles solutions privilégier ? Réponses d’agenceurs et de pharmaciens décidés à miser sur la durée.
Aujourd’hui plus que par le passé, les pharmaciens peuvent être incités à prolonger la durée de vie de leur agencement pour des questions budgétaires. En même temps, ils ont besoin qu’il évolue afin de rester “dans le coup”. » Jean-Pierre Demeyère, président de JCD Agencement, résume ainsi l’équation délicate à laquelle sont confrontées les officines, également sommées de ne pas oublier leurs fondamentaux : l’image sécurisante qu’elles se doivent de renvoyer à leurs patients est susceptible d’être perturbée par des repères trop souvent bousculés… ou l’utilisation de matériaux bon marché. La tendance à un renouvellement beaucoup plus fréquent en matière d’aménagement officinal ces dernières années est-elle justifiée ? « La question de la pérennité ne vient pas forcément à l’esprit de professionnels qui ne savent pas de quoi demain sera fait, constate François Guillot, responsable de TH Kohl en France. La préoccupation centrale est celle d’une rentabilité maximale de l’investissement, sur fond de budgets en baisse et de frilosité des banques, des données auxquelles l’agenceur lui-même doit s’adapter. »
Dans ce contexte tendu, les pièges sont légion : « Certaines propositions de relooking n’apportent rien à l’officine alors qu’une solution d’agencement qualitative et évolutive sera plus coûteuse mais plus rentable à terme », note ainsi François Guillot. Même analyse du côté de Jean-Marc Dominguez, P-DG de Fahrenberger : « Le meilleur investissement n’est pas toujours le plus bas mais celui qui va permettre à la pharmacie de se développer en tant qu’entreprise. Des étapes peuvent être définies, en fonction d’un budget à un moment donné, sans perdre de vue la direction définie à l’avance. » Les exigences d’efficacité économique peuvent donc rejoindre pour le meilleur une vision à long terme, et même prospective. C’est aussi le meilleur moyen d’éviter l’obsolescence rapide de concepts mal pensés. Les professionnels de l’agencement sont ainsi unanimes à rappeler l’importance de la réflexion en amont de toute démarche d’agencement ou de réagencement, adossée à une stratégie d’entreprise et à un audit généralement réalisé par le prestataire.
Un espace adapté mais aussi adaptable selon la conjoncture
Une pharmacie où l’on se sent bien résistera mieux à l’épreuve du temps… En ce sens, la prise en compte de l’architecture des lieux dans le projet d’agencement est essentielle : « Des volumes bien proportionnés améliorent le confort visuel et la fluidité des circulations, des atouts très appréciables sur la durée », relève Luc Mayelle, codirigeant de l’agence Mayelle. Une approche globale de l’espace permet aussi d’en appréhender les potentialités, loin de l’époque où « l’agencement relevait du décor de théâtre, avec des éléments qui se tiennent entre eux, sans aucune flexibilité », évoque François Guillot. « Une officine qui dure est une officine dont on sait se servir, poursuit Luc Mayelle. Il ne s’agit pas d’imiter le concurrent, mais bien de créer un outil de travail adapté à ses besoins et à ses envies. »
Cette adéquation entre l’officine et son titulaire sera ressentie par le client, qui doit bien rester au centre des préoccupations. « Au vu des attaques subies par la profession, nous plaidons pour des pharmacies recentrées sur leur image médicale. En insufflant un état d’esprit porté vers le conseil, l’écoute, le sérieux, elles passeront mieux le cap des années qu’un concept à la mode », estime l’architecte d’intérieur. Pour François Guillot, « l’aménagement du point de vente doit traduire l’idée que la pharmacie est le bon endroit pour parler santé sous toutes ses formes, de façon à augmenter la fréquence des visites et à créer une relation fidélisante avec ses clients. » Cette logique doit être poussée au-delà de ce qui fait le cœur de métier du pharmacien et s’approprier les évolutions en cours : « Les concepts actuels d’agencement doivent impérativement anticiper l’intégration de nouveaux services dans l’espace de vente, même si leur mise en place n’est pas immédiate, voire l’absorption d’une nouvelle officine en cas de regroupement », insiste Bernard Deniel, directeur de Média6.
Enfin, pas question de faire l’impasse sur les contraintes réglementaires, comme l’accessibilité pour les personnes handicapées, obligatoire à partir du 1er janvier 2015. Rendre les lieux plus fonctionnels passe aussi par une recherche d’ergonomie et de rationalisation de l’espace. A ce titre, « les robots permettent un gain de place et, au comptoir, différentes solutions d’automatisation existent pour améliorer le service au client », rappelle ainsi Robert Castany, directeur de l’agence Castany. Quant au back-office, « même s’il est revu dans un second temps pour des questions budgétaires, il doit lui aussi être conçu pour faciliter le travail au quotidien, avec tous les équipements nécessaires, un sas de livraison, une cellule de déstockage et une vraie pièce de stockage », détaille Luc Mayelle.
Des matériaux robustes, sobres et réutilisables
On peut s’en réjouir, « la qualité des matériaux disponibles actuellement est largement à la hauteur des contraintes propres au métier de la pharmacie », note Jean-Pierre Demeyère. Ils savent en outre se plier à des usages de plus en plus divers, y compris pour des éléments de décoration. A noter qu’un mobilier solide, c’est aussi la possibilité de le réutiliser dans le cadre d’un transfert, d’un agrandissement… Le mélaminé, le verre et le métal ont démontré leur résistance à l’usure, à l’humidité, aux déformations. Les associations peuvent être aussi gagnantes : « Nous avons doté notre mobilier en bois de chants de 2 ou 3 millimètres en PVC pour encaisser les chocs malencontreux », explique Bernard Deniel. Par ailleurs, le « durable » peut également s’entendre au sens écologique : de plus en plus d’agenceurs mettent en avant le caractère naturel et recyclable des matériaux auxquels ils font appel, tel le concept de « pharmacie 3.0 » d’AMLab (Alfonso Maligno), qui les conjugue à une vision très contemporaine de l’officine.
Côté sol, les matériaux les mieux armés face à l’épreuve des piétinements incessants sont les PVC haut de gamme, le grès teinté dans la masse, ou pourquoi pas, « un plancher vieilli pleine masse de 20?millimètres qui va se patiner », comme le suggère Luc Mayelle, qui préconise également de privilégier les dalles grand format. L’éclairage doit faire l’objet de choix tout aussi étudiés. « On doit pouvoir le mettre à profit pour la scénarisation de l’espace, la mise en avant de certains produits, en évitant d’agresser le client avec des sources trop directes », fait valoir Luc Mayelle. « Les LED apportent un éclairage plus feutré que l’iodure métallique ou une ampoule fluocompacte, et leur surcoût est amorti en deux ou trois ans », indique Bernard Deniel. Côté vitrine, l’aluminium a fait ses preuves en façade, et les diodes ont permis d’améliorer la durabilité des enseignes, y compris sous la forme de bloc LED en Plexiglas qui conjugue solidité et épaisseur réduite. Dans tous les cas, il faut exiger des garanties concernant les composants des équipements prévus dans le cahier des charges.
En matière de goûts et de couleurs, « la sobriété correspond bien au métier et à son éthique tout en étant intemporelle », arguë Luc Mayelle. Mieux, elle est tendance : « Aujourd’hui, les intérieurs chargés ont vécu : on recherche une sensation d’espace, qui passe par des plafonds plus hauts, moins de cloisons, des lignes épurées, un mobilier moins apparent, des consoles qui se fondent dans les murs… », énumère François Guillot. Avantage évident de la plupart des matériaux cités plus haut, ils savent, en dépit de leur solidité, se faire discrets. De même, « les coloris neutres, naturels, sont dans l’air du temps », relève Bernard Deniel. « Tout se démode ! », rappelle pour sa part Jean-Pierre Dominguez. « Les pharmacies ont ceci de particulier qu’elles accueillent un public très large, donc on se doit de concevoir des lieux accessibles à tout le monde, avec du caractère mais sans ostentation… », synthétise l’agenceur, qui prône la personnalisation par le décor, les matières, les imprimés…
Changer pour mieux durer ou l’ère du modulable
Incontestablement, « le durable est devenu synonyme d’évolutif dans le temps », assure Robert Castany. Derrière ce principe, une nécessité intégrée par la grande distribution et les grandes enseignes, qui font peau neuve au minimum tous les cinq ans, et à laquelle l’officine est incitée à se plier… pour son bien : « Un relooking ou un réagencement a toujours une répercussion sur le chiffre d’affaires », justifie ainsi l’agenceur.
La solution, déclinée aujourd’hui par la plupart des agenceurs, consiste en une structure de base pérenne, agrémentée d’éléments amovibles. A la clé, la possibilité de reconfigurer à moindre coût les espaces et de moduler et compléter dans le temps ses équipements pour accompagner ses évolutions, quelles qu’elles soient. « Par exemple, le titulaire qui veut monter en qualité remplacera ses tablettes en métal par des tablettes en glace », illustre Thierry Trasbot, directeur commercial de Boursin Agencement, qui propose une gamme de structures autoporteuses en métal avec des fonds interchangeables permettant de recevoir tous types de matériaux et accessoires ainsi que des gondoles rehaussables.
Chez TH Kohl, le concept XF se distingue par une structure porteuse en aluminium reposant sur des pieds réglables, qui se prête à des configurations transparentes mais peut aussi accueillir des panneaux arrière translucides ou opaques. Ultraléger, ce système, enrichi d’une gamme d’accessoires, permet de réaliser aussi bien des gondoles d’exposition, des comptoirs de vente que des postes de conseil. Le mobilier Galilée de Média6 est quant à lui constitué d’une ossature indéformable en aluminium démontable et personnalisable associée à divers éléments eux aussi personnalisables : tablettes en verre réglables en hauteur, panneaux de fond en mélaminé, en verre ou Plexiglas à souhait, bandeau image. L’agenceur a également conçu un comptoir doté d’équipements standardisés mais aussi accessoirisable et réglable en hauteur.
On peut être sobre, communicant mais aussi, ponctuellement, « flashy »
Tous ces équipements offrent également des supports pour des éléments de communication, renouvelables et interchangeables à souhait, des visuels et des couleurs jusqu’à la signalétique. L’impression numérique sur PVC, plus résistante et plus durable que l’adhésif classique, est une alliée de choix en ce sens. On peut ainsi « donner une image dynamique de l’officine tout en informant au mieux des clients amenés à être de plus en plus autonomes », souligne Jean-Pierre Demeyère, mais aussi « réveiller la sobriété d’un agencement par des touches flashy sur des éléments facilement changeables », suggère Bernard Deniel. Au pharmacien de se prendre au jeu…
Quand ça ne peut plus durer
Un certain nombre d’indicateurs doivent inciter le pharmacien à remettre en question, pour tout ou partie, son agencement : la baisse du chiffre d’affaires, un nouveau contexte concurrentiel, un outil de travail inadapté ou sous-dimensionné par rapport à une activité en croissance, de nouveaux besoins ou des évolutions dans l’offre, une image que l’on perçoit en décalage avec le marché, voire, tout simplement, l’envie de donner un coup de fouet à sa motivation. « Après un réagencement, les titulaires sont plus heureux et on les voit davantage dans l’espace de vente », assure Jean-Marc Dominguez, P-DG de Fahrenberger.
Les conseils de Philippe Lévy, dirigeant de NeoParma
• Envisager les évolutions possibles dans le projet d’agencement
La conjoncture actuelle se caractérise par un manque de visibilité qui conduit les pharmaciens à privilégier des solutions pragmatiques devant prouver rapidement leur efficacité, et par ailleurs modulables pour s’adapter à de nouveaux événements. Pour éviter toutefois d’investir dans du carton-pâte, je recommande aux pharmaciens d’envisager dès la conception de leur agencement plusieurs modèles d’évolutions pour la surface dont ils disposent. A partir de là, on pourra imaginer une structure de base qui restera pérenne tout en intégrant techniquement des possibilités futures d’aménagement. Si le coût est plus élevé au départ, l’investissement sera rentabilisé le jour où il faudra procéder à des changements qui auraient nécessité des travaux conséquents s’ils n’avaient pas été anticipés.
• Utiliser des éléments amovibles pour transformer l’espace
Aujourd’hui, on ne peut se permettre d’être en décalage trop longtemps vis-à-vis des attentes des consommateurs. La santé a beau être un domaine à part, ils réagissent en effet aux mêmes stimuli de consommation que les autres commerces et fortement liés à l’air du temps en la matière. Le mauve peut être tendance à un moment, ringard le lendemain… A l’image des grandes enseignes, il faut donc faire preuve de créativité en utilisant des éléments de décor variés, faciles à bouger en fonction des saisons et des modes.
• Ne pas négliger le back-office
S’il y a une économie à ne pas faire, c’est bien celle de l’organisation arrière, car c’est de là que tout part. Pour le coup, elle s’inscrit plus dans le long terme et on peut y prévoir un mobilier fixe. Mais il est aussi possible d’anticiper dans cet espace la mise en place de futurs services, par exemple une cabine conseil, ou un système d’automatisation.
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