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L’optique a la frite

Publié le 2 décembre 2014
Par Yves Rivoal
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Dans un contexte de tension économique, de plus en plus de pharmacies investissent dans l’optique pour offrir un nouveau service et profiter des marges généreuses pratiquées dans le secteur. Comment se lancer ?

Avec un CA de 6 milliards d’euros, le marché de l’optique est le deuxième marché de la santé derrière les 30 milliards d’euros du médicament. Pour prendre position sur ce secteur d’activité qui attire les convoitises, plusieurs stratégies sont possibles. Première option : vous jeter seul à l’eau, comme l’a fait en 2008 Sylvain Guiochet en consacrant à l’optique 70 m2 lors du transfert de son officine vers un local de 250 m2 de surface de vente. Au total, le titulaire a investi 40 000 € dans l’opération, « auxquels il faut ajouter le salaire de l’opticien que j’ai recruté deux mois avant l’ouverture de la nouvelle pharmacie, complète-t-il. C’est lui qui a acheté le matériel, sélectionné les marques et choisi la centrale d’achats Alliance Optique, dédiée aux opticiens indépendants, par qui transite aujourd’hui la quasi-totalité de nos commandes de montures et de verres auprès de notre fournisseur Novacel. »

Quel partenaire ?

Ceux qui ne souhaitent pas se lancer seuls sur un marché inconnu pour eux s’appuient sur un partenaire comme Carré de l’optique, qui a déjà déployé ses corners dans 43 officines en France. Moyennant un ticket d’entrée de 100 000 € qui inclut le mobilier, le matériel professionnel, l’accès à la centrale d’achats et la constitution du stock, Carré de l’optique aménage dans votre officine un espace d’une vingtaine de mètres-carrés. « Nos responsables de secteur accompagnent aussi les pharmacies en amont en réalisant pour elles une étude de marché et un budget prévisionnel, précise François Menge, le président d’Unilens, la société qui a lancé en 2007 le Carré de l’optique. Ils les aident aussi à recruter et à former l’opticien qui sera salarié par l’officine. » Salaire qui en général avoisine celui d’un pharmacien adjoint : autour de 36 000 €.

Troisième cas de figure : vous avez envie de tester l’optique, mais sans prendre de risques. Il faut alors privilégier des solutions qui évitent d’avoir à rémunérer un opticien et à financer le stock. C’est le cas d’Otiko, qui a déjà installé ses corners optiques dans une dizaine de pharmacies du groupement CEIDO. Pour un droit d’entrée de 5 000 €, Otiko propose un package qui intègre la formation agréée et remboursée des équipes officinales, deux meubles d’exposition en bois blanc et cent montures d’exposition à la marque. « Notre package comprend également un iPad Air et l’application qui permet de mesurer l’écart pupillaire et de transmettre les informations aux opticiens de la plateforme Otiko qui se chargent de fabriquer les verres et de les monter sur la monture, complète Romain Fréton, son président fondateur. Nous assurons également la livraison des lunettes à la pharmacie, trois jours plus tard pour les verres unifocaux, cinq jours plus tard pour les verres progressifs. »

Quel emplacement ?

Une fois la solution retenue, reste à déterminer l’agencement et le positionnement de l’offre. Sylvain Guiochet a installé son corner optique de 70 m2 dans un coin de la pharmacie, à gauche d’une des deux portes d’entrée. Dans cet espace conçu en forme d’arc de cercle, sont disposées pas moins de douze descentes pour les montures, plus une pour les accessoires. « Pour l’agencement, nous avons décidé de traiter le corner optique avec la même charte visuelle que le reste de la pharmacie, précise Sylvain Guiochet. Mais je suis en train de changer d’avis sur le sujet car j’envisage de lui donner une identité propre afin de mieux le différencier. » Cotitulaire avec Loris Lancereaux de la pharmacie F.L. à Toul, Jérôme Florémont a lui aussi saisi l’opportunité du transfert de sa pharmacie il y a deux ans dans un nouveau local de 200 m2 pour inaugurer un Carré de l’optique d’une vingtaine de mètres-carrés. « Pour qu’il soit visible, nous l’avons positionné entre la porte d’entrée et la porte de sortie de l’officine », précise-t-il. Les cinq meubles en bois blanc, avec leurs présentoirs sécurisés et leur signalétique de couleur bleue, s’intègrent parfaitement avec le reste du point de vente, qui est dominé par le blanc et le noir.

Quel positionnement prix ?

Le positionnement de l’offre dépend de la solution retenue. Le Carré de l’optique privilégie la qualité et l’innovation en référençant l’ensemble des grandes marques que l’on retrouve chez les opticiens traditionnels, et en travaillant exclusivement avec Essilor pour les verres. Deux forfaits sont proposés : 99 € pour une monture avec des verres unifocaux, 199 € pour une monture avec des verres progressifs durcis, amincis et antireflet. Chez Otiko, l’offre est segmentée en quatre forfaits qui vont de 39 € à 199 €. « Grâce à ces prix qui s’appliquent à toute la collection de montures et à toutes les corrections optiques, nous apportons une réponse aux 3 millions de Français qui renoncent ou diffèrent leurs soins d’optique, souligne Romain Fréton. Nous offrons par ailleurs une garantie de deux ans sur les verres et les montures, ainsi que la garantie “satisfait ou remboursé pendant 30 jours”. » Même s’il s’est lancé tout seul, Sylvain Guiochet parvient à proposer des forfaits compétitifs, tout en pratiquant la deuxième monture gratuite et des opérations du type – 50 % sur la monture et les verres. Pour communiquer sur cette nouvelle activité, Sylvain Guiochet a placé au-dessus de sa vitrine une monture de lunettes rouge qui clignote à côté de la croix de la pharmacie. Dans l’officine, le corner est mis en avant par des flyers et par de l’affichage vidéo. Un ou deux mois avant le transfert, Jérôme Florémont a demandé à son équipe officinale d’expliquer aux patients que la nouvelle pharmacie allait héberger un corner optique.

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Quelle rentabilité ?

« L’accueil a été plutôt bienveillant et, dès le départ, l’activité a bien démarré », se souvient Jérôme Florémont. Pour maintenir la dynamique, l’équipe engage systématiquement la conversation avec tous les patients qui arrivent à la pharmacie avec des ordonnances ophtalmologiques. Elle réalise également des opérations gratuites de dépistage. « Les patients qui nous font confiance pour leurs médicaments savent qu’ils trouvent chez nous un opticien compétent, qui les connaît et qui les conseille efficacement », souligne Jérôme Florémont. Deux mois après avoir inauguré un corner Otiko dans le cadre d’une expérimentation menée par son groupement, le CEIDO, Michel Jeanjean, titulaire de la pharmacie Centrale à Saint-Raphaël (83), juge lui aussi positivement la réaction de ses clients. « En général, ils sont sensibles à l’argument du prix avec une qualité optimale. Nous n’avons par ailleurs jamais eu de questions sur notre légitimité. Les patients savent que nous vendons déjà des lunettes-loupes et que nous traitons leurs ordonnances de soins et de collyres ophtalmiques. Nous sommes donc au cœur des nouvelles missions du pharmacien. » En deux mois, Michel Jeanjean a d’ailleurs déjà atteint le point mort grâce à la mobilisation de son équipe et aux commissions, d’en moyenne 35 % sur le CA réalisé. À la fin de la première année d’exploitation de son Carré de l’optique, Jérôme Florémont était lui aussi à l’équilibre. « Sur le second exercice, l’activité a même présenté un bénéfice net après IS toutes charges déduites (salaire de l’opticien, achats et stock, leasing sur équipement) » Même son de cloche chez Sylvain Guiochet, où l’optique s’autofinance. « J’envisage d’ailleurs sérieusement de développer cette activité pour augmenter la marge globale de la pharmacie. C’est aussi un service supplémentaire que je rends à mes clients, et ils l’apprécient », conclut-il.

Tendance +

La tentation du réseau

Certains groupements ont décidé d’attaquer le marché de l’optique en lançant leur propre réseau. C’est le cas de Lafayette Conseil, qui a déjà ouvert vingt magasins sous enseigne Optique Lafayette. « Nous avons décidé de séparer l’optique de nos officines car il s’agit d’un métier à part entière, explique Hervé Jouves, directeur général de Lafayette Conseil. L’autre grande raison, c’est que pour exposer un large choix de marques, vous devez disposer de 50 à 80 m2, espace qu’il est souvent impossible d’allouer dans une pharmacie. Enfin, les magasins d’optique ne sont pas contraints par le Code de la santé publique en matière de communication. » Avec des tarifs qui commencent par un forfait à 20 € pour une monture de marque et verres correcteurs pour les enfants, et à 29 € pour les adultes, la stratégie initiée en 2009 par Optique Lafayette vise clairement à dupliquer le succès du modèle low-cost des pharmacies de l’enseigne.

De son côté, Leader Santé vient de lancer un premier Leader Santé Optique à Aubervilliers, à proximité de la pharmacie dirigée par Alexis Berreby, le cofondateur du groupement. Un an après l’inauguration, les premiers résultats sont encourageants avec un CA qui devrait atteindre les 400 000 €. « La synergie entre la pharmacie et l’optique fonctionne, avec un adressage qui se fait naturellement dans les deux sens », se félicite-t-il. Pour l’heure, Leader Santé n’a pas programmé de réelle stratégie de développement. « Nous invitons nos adhérents à se lancer dès qu’une cellule commerciale se libère à proximité de leur pharmacie », confie Alexis Berreby.

KLS-Lunettes

Service animation

La marque KLS-Lunettes proposera à partir du premier trimestre 2015 des animations optiques dans les officines. « Nos opticiens se déplaceront gratuitement dans les pharmacies pour présenter nos collections de montures 100 % made in France », explique Audrey Cattoz, la fondatrice de KLS-Lunettes. Pour animer le point de vente, l’opticien organisera également des ateliers visagisme et colorimétrie, dans le but de mettre en harmonie le type de lunettes avec la carnation de la peau, la couleur des cheveux et des yeux… Il assurera en outre l’intégralité du cycle de vente : traitement de l’ordonnance, mesure de l’écart pupillaire, commande des verres auprès du partenaire français Novacel… « Nous proposerons également aux patients de se faire livrer leurs lunettes par un opticien à la pharmacie, sur leur lieu de travail, ou à leur domicile », conclut Audrey Cattoz. Le pharmacien sera rémunéré par KLS comme apporteur d’affaires.