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S’armer jusqu’à l’aidant
Pas une officine qui n’en reçoive au comptoir. Ils sont peu ou prou 10 millions de proches aidants en France, difficiles à catégoriser, tant leurs situations et celles des personnes dont ils s’occupent diffèrent. Il est donc utile de s’intéresser de près à cette population et de lui proposer des solutions appropriées. Certains groupements en ont fait un axe de développement stratégique pour leurs pharmaciens. A chacun de s’en emparer ou de s’en inspirer.
Des couverts adaptés, une barre de lit, un siège de bain… Ce n’est pas pour lui, mais pour son proche âgé ou en situation de handicap, que l’aidant trouvera en pharmacie un appui technique pour préserver son autonomie et sa mobilité. C’est en permettant à leurs adhérents de répondre à ce type de besoin que les groupements et enseignes posent une première brique dans la thématique spécifique de l’aide aux aidants. Et encore, faute de temps, de place ou d’expertise, toutes les pharmacies ne s’engagent pas au même niveau dans leur offre de matériel médical. « Nous proposons des catalogues et nous apportons le conseil pour le meilleur choix possible. C’est d’ailleurs plus facile quand l’aidant est un proche plutôt qu’une aide au domicile, qui vient se renseigner mais ne prendra pas de décision pour la personne », relève Benoît Fagiani, président de la commission produits au sein du groupement Giphar. Ce pharmacien titulaire à Autun (Saône-et-Loire) se rend volontiers au domicile du patient pour évaluer les besoins. « J’encourage les pharmaciens à se déplacer. Si cela n’est pas possible, cette intervention peut être déléguée à notre prestataire. » Pour Benoît Fagiani, les aidants pourraient être un pivot afin d’anticiper avec l’officine le retour au domicile de leur proche hospitalisé.
La télésurveillance en point de chute
Puisqu’il se déplace, le pharmacien peut en profiter pour trier l’armoire à pharmacie ou rassembler des médicaments dispersés dans tous les recoins du domicile. C’est l’objet du service « Ma pharmacie à la maison » lancé en 2018 par la coopérative Welcoop sous l’enseigne Wellpharma en même temps que l’audit des besoins en matière d’aménagement du domicile. Une centaine d’officines l’ont mis en place. « Ce service vient en complément d’une livraison. En quittant le domicile, le pharmacien envoie un SMS de confirmation au proche aidant », précise Florian Gérard, directeur marketing d’Objectif Pharma, groupement de la coopérative Welcoop. L’intervention peut donner lieu à une proposition de pilulier, d’un bilan partagé de médication ou de télésurveillance. « Les aidants culpabilisent souvent de laisser leur parent seul. A travers des tables rondes, nous avons constaté leur besoin d’être écoutés, orientés et aussi rassurés.» C’est ici que l’intelligence artificielle entre en action. Le système Noviacare relève et analyse les activités quotidiennes de la personne âgée grâce à des capteurs placés à des points stratégiques du domicile. Ils détectent les situations anormales (non-lever matinal, non-retour au domicile, etc.) et d’éventuelles chutes. Puis alertent un centre de téléassistance opérationnel en permanence ou l’entourage pour une prise en charge immédiate. Concernant la problématique spécifique de la chute, Welcoop a voulu aller plus loin en s’adossant au plan lancé par le gouvernement en février 2022. L’enjeu est important : chaque année, 130 000 hospitalisations se produisent à la suite d’une chute. Depuis le début de l’année, plus d’une cinquantaine d’officines expérimentent un dispositif de sensibilisation et de détection du risque. Il s’appuie sur des outils de communication au sein de la pharmacie (affiches, dépliants, badges, etc.) et sur des e-mails personnalisés adressés aux personnes concernées et aux aidants. Sont également déployés un questionnaire au comptoir et une formation pour les officinaux. Cette opération d’envergure est ouverte à l’ensemble des pharmacies, avec mise à disposition d’outils et de données. « Nous visons un déploiement national au cours des trois prochaines années », assure Florian Gérard. A la clé, une économie de plusieurs centaines de millions d’euros pour l’Assurance maladie. Et aussi une dynamique pour l’entreprise officinale : le chiffre d’affaires sur le matériel médical des officines expérimentatrices a grimpé de 71 % en moyenne par rapport à 2022.
Un appui certifié lors de cancer
Aider les aidants, c’est aussi les accompagner dans le soutien au patient lorsque celui-ci est touché par une pathologie chronique. Le réseau de pharmacies Totum n’a pas souhaité adopter une stratégie spécifique vis-à-vis des aidants. Mais il les a intégrés dans sa certification de service OncoPharma. Il s’agit d’accompagner les patients atteints de cancer au-delà de l’entretien pharmaceutique conventionné. « C’est aussi l’occasion d’orienter les aidants vers des professionnels de santé paramédicaux et du bien-être », explique Grégoire Vergniaud, chargé de la communication de l’enseigne. Pas moins de 13 conditions sont à remplir pour obtenir cette certification dans laquelle sont engagées une cinquantaine de pharmacies. L’une d’entre elles est, par exemple, d’établir une cartographie des soins de support. Le travail en équipe pluriprofessionnelle est requis. Cette démarche nécessite une formation pour le référent en oncologie de la pharmacie (42 heures) et les adjoints impliqués dans cette thématique (7 heures). « La principale appréhension, c’est de savoir communiquer avec les patients et leurs aidants. Cela s’apprend. Puis, avec la pratique, la confiance et l’aisance finissent par s’installer. » Dans un tout autre registre, l’enseigne a développé la certification Iphan, axée sur la nutrition infantile et le soutien à la parentalité. « Il y est aussi question de la dépression du post-partum. C’est un sujet encore tabou dans ce contexte heureux. Environ 20 % des femmes sont concernées, c’est un vrai sujet d’aidant ! », assure Grégoire Vergniaud. Ces certifications sont accessibles à tous les pharmaciens et pas seulement à ceux du réseau Totum, auquel elles contribuent tout de même à renvoyer une image professionnelle. « C’est un vecteur de recrutement pour des officines et de reconnaissance auprès des patients. »
Projet d’entreprise global
La prise en charge des patients atteints de cancer et de leurs aidants fait l’objet d’un protocole spécifique mis en place par Pharmodel Group pour ses officines. Ce dernier déploie depuis une dizaine d’années la démarche la plus aboutie pour l’appui aux aidants. « A l’époque, ils étaient très peu reconnus. En organisant des réunions avec des médecins, des professions paramédicales et des associations de patients, nous avons rapidement identifié les difficultés des personnes qui œuvrent aux côtés d’un proche atteint de la maladie d’Alzheimer ou du diabète », retrace Evelyne Bessières-Grosjean, directrice marketing et retail de Pharmodel Group. Et de tirer ce constat : « Le passage obligé des aidants, c’est la pharmacie. » Le groupement se lance dans une offre de formation approfondie. Un e-learning de 14 modules développe les solutions préconisées quelle que soit la pathologie du patient. Une formation en présentiel complète le dispositif pour permettre une approche de l’aidant en situation réelle. « Cela peut être contreproductif de vouloir apporter une aide à quelqu’un qui n’en veut pas ou qui n’est pas encore prêt à la recevoir. La personne peut éprouver une culpabilité à ce que l’on s’occupe d’elle. L’accroche est de lui proposer de l’épauler en faisant passer son proche en premier. » A ce jour, une vingtaine d’officines sous enseigne « D docteurs en pharmacie » et une centaine de pharmacies Pharmodel déploient le programme « Etre utile aux aidants ». Elles délivrent un kit opérationnel regroupant autoquestionnaires, plan de suivi et carnet de rendez-vous. Pour les officinaux, les formations font désormais intervenir des experts de cet accompagnement par le biais de vidéos et de webinaires. L’engagement est renforcé par différents partenariats. Avec le réseau d’entraide La Compagnie des aidants, qui a lancé la caravane « Tous aidants », un tour de France avec des étapes proposant rendez-vous personnalisés et temps d’échanges pluridisciplinaires. L’opération est répercutée par la pharmacie de l’enseigne la plus proche. En outre, Pharmodel a intégré à l’intranet de ses adhérents le site de référence Ma Boussole Aidants, qui répertorie les appuis de proximité. Dans l’officine, un espace présente des propositions spécifiques aux aidants et un écran permet de visualiser les solutions mises à leur disposition. Pour Evelyne Bessières-Grosjean, « L’officine doit être en capacité de mettre en place ce parcours. Cette spécialisation ne se fait pas sur un marché ou un domaine comme la nutrition, l’incontinence, le petit matériel médical, mais sur une approche conceptuelle et globale de prise en charge. Cependant, il n’y a pas nécessité d’être hyperspécialisé pour proposer une réponse immédiate, anticipée et cadrée, à ce type de besoin ». Le degré d’investissement est fonction de son appétence personnelle, de sa zone de chalandise et de son niveau de priorités.
À retenir
– L’accompagnement des proches aidants peut constituer un projet global d’entreprise décliné sur différents canaux : formation aux équipes, communication, propositions spécifiques, partenariats, etc.
– A minima, il est possible de mettre en place une offre de matériel médical pour préserver l’autonomie et la mobilité des proches.
– L’accent est mis en particulier sur la prévention, notamment pour ce qui concerne la chute au domicile, facteur de fragilité pour la personne âgée.
– Les pharmaciens peuvent professionnaliser leur appui aux aidants en développant, par exemple, une certification en oncologie.
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