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Ubérisation : s’y préparer pour ne pas être pris de court !
Depuis quelques mois, une start-up, Nexum Pharma, propose aux officines un service de livraison à domicile de produits de parapharmacie par Uber Eats. Faut-il y voir une nouvelle tentative d’ubérisation des officines ou une simple adaptation à des modes de consommation qui changent ? Avis d’experts…
La livraison de produits de parapharmacie en quinze minutes par des livreurs Uber Eats. Telle est la promesse faite aux officines par la start-up Nexum Pharma, grâce au contrat d’exclusivité signé avec la plateforme de livraison qui compte en France sept millions d’utilisateurs par mois. Economiste spécialisé dans les questions de protection sociale et de santé, Frédéric Bizard ne voit pas dans ce service une réelle menace pour les officines. « Il correspond à une forme de consommation immédiate et à distance qui est déjà une réalité dans tous les secteurs, avec des acteurs privés qui essayent de conquérir tous les marchés. Cela ne me choque pas. En revanche, je pense que les pharmaciens n’ont aucun intérêt à se lancer dans ce type d’activités, sauf peut-être les officines positionnées sur un modèle de grande distribution comme Lafayette ou Pharmabest. Le marché me semble trop restreint, puisqu’il cible les jeunes adultes des grandes villes qui ne vont plus dans les magasins parce qu’ils ont tout ubérisé. »
La menace Amazon
La vente de médicaments sur Internet, via des plateformes comme Amazon ou Walmart aux États-Unis ou Zur Rose en Suisse, constitue en revanche une réelle menace pour la pharmacie, estime Frédéric Bizard. « Même si aux Etats-Unis, ces nouveaux acteurs n’ont pas mis en péril les chaînes de drugstores, le jour où les verrous de la prescription en ligne et du monopole de la délivrance des médicaments par les pharmaciens d’officine sauteront en France, ces derniers risquent de se retrouver court-circuités. Les ordonnances des médecins pourront aller directement dans une pharmacie virtuelle tenue par des acteurs comme Amazon qui emploieront leurs propres pharmaciens, rappelle l’économiste. Mais je ne crois pas du tout à ce scénario car ce serait scier la branche sur laquelle notre système de santé est assis. Je vois mal un gouvernement prendre le risque d’ubériser les officines alors qu’elles développent des activités absolument indispensables pour la transformation de notre système de santé : la téléconsultation, les entretiens pharmaceutiques, la vaccination… Il est donc dans l’intérêt des pouvoirs publics et des citoyens de conserver un réseau très large de pharmacies de proximité. »
Philosophe, professeur à l’Essec Business School et spécialiste de l’innovation, Xavier Pavie envisage, lui, un tout autre scénario. « Pour lutter contre la désertification médicale et pharmaceutique, avec un système de santé qui explose, il va bien falloir trouver des solutions, prévient-il. En Chine, où les déserts médicaux sont légion, Tencent a déployé des petites camionnettes de téléconsultation bourrées de technologies qui parcourent tout le pays avec à leur bord un chauffeur et un aide-soignant chargés d’accompagner les patients pendant les téléconsultations avec des médecins installés à Shangaï ou Pékin. Ce modèle pourrait parfaitement être introduit en France, avec des camionnettes qui se déplaceraient au fin fond de la Corrèze ou du Cantal. Il pourrait aussi être dupliqué sur les médicaments. Dans un contexte où une officine ferme en France tous les jours, ce type de solution pourrait permettre de maintenir l’accès aux traitements, et ainsi faire réfléchir le gouvernement sur l’opportunité ou non d’assouplir la réglementation. »
La livraison à domicile dans le viseur
Les regards des experts divergent aussi sur les services de livraison de médicaments à domicile qui se sont développés ces dernières années. Pour Frédéric Bizard, ils ne doivent pas être perçus comme une menace : « Tant que le pharmacien restera l’unique source de délivrance des médicaments, cela n’affectera pas les officines, considère-t-il. Il y aura danger le jour où l’on ouvrira la porte à une ubérisation du pharmacien. Mais encore une fois, je ne crois pas du tout à cette hypothèse. » Pharmacienne et experte des questions pharmaceutiques à l’Institut Sapiens, Brigitte Saunier pense, elle, que ce service est appelé à se développer. « La société évolue en ce sens, on ne pourra donc pas l’éviter, pronostique-t-elle. Il correspond en plus à un vrai besoin pour les patients qui doivent faire 20 ou 30 kilomètres pour aller à la pharmacie la plus proche. Idéalement, ce serait aux officines de s’organiser pour aller livrer les médicaments et fournir aux patients les indications utiles à la prise de leurs traitements. Mais comme elles ne sont pas rémunérées pour cela, et qu’elles sont confrontées à un manque de ressources humaines, on peut comprendre que des sociétés spécialisées [La Poste, Livmed’s, etc., NdlR] se soient lancées sur ce marché. Elles devraient cependant être davantage contrôlées. Je suis effarée de voir qu’il suffit de transmettre une photo de son ordonnance et de sa carte vitale pour se faire livrer… » Xavier Pavie, estime, lui aussi, que la livraison à domicile des médicaments va continuer à se développer, et que cela pourrait accélérer l’ubérisation des officines. « Pour l’instant, elles résistent bien, car elles sont essentiellement fréquentées par des personnes âgées, souligne-t-il. Il n’y a néanmoins aucune raison que les jeunes adultes d’aujourd’hui et de demain continuent de se rendre à la pharmacie pour aller y chercher leurs médicaments. Ils préféreront se les faire livrer, comme ils le font déjà pour tous leurs achats. Et si l’on considère que grâce à l’intelligence artificielle générative [capable de générér du texte, des images ou d’autres médias en réponse à une demande, NdlR], nous disposons déjà d’outils capables de remplacer le pharmacien d’officine sur tout ce qui relève de la connaissance du patient, de l’analyse pharmaceutique, et de la détection d’éventuelles interactions, il n’y aura plus besoin de se déplacer à l’officine pour être conseillé. Tout est donc en place pour une disruption des pharmaciens qui devrait entraîner la disparition de la moitié des officines le jour où la barrière de la régulation tombera. »
Préparer demain
Pour Xavier Pavie, la profession aurait donc tout intérêt à s’emparer de ces sujets. « Si j’étais pharmacien, je commencerais par m’intéresser à la data et à l’intelligence artificielle qui m’aideront à remplir mon rôle d’expert du médicament et à faire en sorte que tous les patients se voient délivrer rapidement leur traitement. Je reste aussi persuadé que le pharmacien sera le mieux placé pour collecter les données de santé de manière réglementée, avec l’accord des patients, et contrôler les analyses pharmaceutiques effectuées par les outils d’intelligence artificielle. Demain, le pharmacien a donc vocation à devenir une sorte de data analyste, qui devra être associé au caractère humain des officines afin de préserver un avantage concurrentiel vis-à-vis des mastodontes que sont les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) ou les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). » Sans croire à l’ubérisation des pharmacies d’officine, Frédéric Bizard estime lui aussi que la profession va devoir se réinventer. « Lorsque vous écoutez les pharmaciens, tous vous disent être confrontés à énormément de transformations, confie l’économiste. Or, les officines ont finalement assez peu changé et ne me semblent pas suffisamment tournées vers l’avenir. Dans un système de santé en bout de course, la place de la pharmacie d’officine reste à imaginer. Si demain son rôle se limite à la délivrance des médicaments, nous n’aurons alors probablement plus besoin du réseau officinal de proximité tel qu’il existe aujourd’hui. À l’inverse, si elle devient la porte d’entrée du système de santé pour les soins de premiers recours et la prévention médicalisée et non médicalisée, si elle accompagne et conseille les patients chroniques, et si elle s’empare de la data pour améliorer le suivi des patients ou garantir la disponibilité des médicaments, aucun gouvernement ne prendra le risque de casser le réseau officinal. »
Se réinventer
Brigitte Saunier invite, elle aussi, les pharmaciens à anticiper et accompagner toutes les évolutions à venir. « La profession doit résolument entrer dans le XXIe siècle, suggère-t-elle. En repensant le rapport du patient avec le médicament, en s’emparant des nouvelles missions qui lui sont confiées, en se lançant dans la téléconsultation ou le télésoin, en investissant davantage le champ de l’éducation thérapeutique, en diversifiant la composition de leurs équipes avec des acheteurs, des logisticiens et pourquoi pas demain des collaborateurs chargés de livrer les médicaments à domicile… À condition bien sûr que le problème de la juste rémunération du pharmacien pour ces nouvelles activités soit résolu. » Pour Brigitte Saunier, les pharmaciens devront enfin accompagner le mouvement générationnel qui s’annonce : « Ils devront répondre aux attentes des jeunes adultes ayant aujourd’hui entre 20 et 30 ans, qui ont l’habitude de tout acheter sur Internet et d’être livrés rapidement, qui utilisent les réseaux sociaux ou des applications pour obtenir des informations ou se coacher… Ils seront donc aussi très ouverts aux applications de santé susceptibles de les aider à prendre en charge leur pathologie ». Quel sera le rôle du pharmacien d’officine dans dix ans ? « Il est urgent que l’Ordre des pharmaciens et les syndicats se penchent sérieusement sur LA question », avertit-elle.
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